ROME, Lundi 7 juin 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le discours que le sous-secrétaire du Conseil pontifical Cor Unum, Mons. Gianpietro Dal Toso a adressé, samedi 5 juin, aux assistants de la Jeunesse Etudiante Catholique Internationale, dans le cadre de leur rencontre, à Rome, du 4 au 8 juin.
Les réalités de la pastorale de l’Eglise aujourd’hui face aux défis de la foi dans le magistère de Benoît XVI
(Jeunesse Étudiante Catholique Internationale)
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Chers amis,
C’est avec un grand plaisir que je réponds à l’invitation qui m’a été faite de participer à la session internationale de formation des aumôniers de la JECI et vous en remercie.
Ayant peu de temps à disposition, j’aborderai directement le centre de ma réflexion concernant la pastorale de l’Eglise dans le magistère de Benoît XVI.
Quelle est le cœur de ce magistère ? En guise de réponse je vous citerai une lettre que le Saint Père a écrite dans un moment de souffrance particulière pour lui et pour l’Eglise. Je me réfère à sa lettre du 10.3.2009, adressée aux évêques de l’Eglise catholique, au sujet de la levée de l’excommunication infligée aux quatre évêques ayant ordonnés par Mgr Lefebvre. A cette occasion, le Saint Père déclarait que : « Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible (c’)est la priorité suprême et fondamentale de l’Église et du Successeur de Pierre aujourd’hui ». Cette mission de l’Eglise ne peut être escomptée. En effet, le Saint Père a dû à nouveau insister sur le fait que c’est l’expérience de la foi qui est au centre de la mission de l’Eglise. Il ne s’agit donc pas pour l’Eglise d’avoir en premier lieu un rôle social, politique ou économique, bien que cela soit important, mais il s’agit pour elle d’exercer sa première mission qui est l’annonce de la foi, car c’est à la lumière de cette dernière que tout le reste acquiert sa signification ultime.
Il me semble important de souligner cet aspect alors que je me trouve devant vous qui êtes des aumôniers de la JECI. Souvent nous sommes tentés de considérer la foi comme quelque chose qui va de soi, qui est déjà présent. Nos programmes sont construits sur des thématiques variées qui ont trait à la société, à la politique ou l’économie. Et avec raison : ces domaines appartiennent au champ d’action des fidèles laïcs. Le Concile le dit très clairement dans son décret Apostolicam actuositatem: Je cite : « Les laïcs exercent leur apostolat multiforme tant dans l’Église que dans le monde. Dans l’un et l’autre cas leur sont ouverts divers champs d’action apostolique. Nous nous proposons de rappeler ici les principaux d’entre eux: les communautés ecclésiales, la famille, les jeunes, les milieux sociaux, les secteurs nationaux et internationaux » (A.A.9).
Mais notre tâche essentielle, en tant que prêtres, consiste à amener à la connaissance du Christ, moyennant l’acte de foi. De cela dépend la qualité de l’engagement dans la société.
Cette tâche me semble particulièrement importante aujourd’hui dans la mesure où nous vivons dans une société, qui peut-être pour la première fois dans l’histoire, brandit l’absence de Dieu comme un drapeau. Je vous propose de parcourir rapidement l’historique de ce développement culturel en ciblant quelques étapes fondamentales. Cet exercice comportera inévitablement des raccourcis qui sont des défauts inhérents à toute synthèse.
Le Moyen-Age offre encore une culture où la présence et l’action du Dieu chrétien sont substantiellement admises par tous, ce qui produit une sorte d’identification entre société et Eglise, identification qui en amont implique un certain type de rapport entre foi et raison. Dans notre cas la raison est projetée directement vers la foi.
C’est pourquoi le rationalisme a voulu proposer un système de valeurs qui seraient universellement partagées, etsi Deus non daretur, comme disait Groetius. Pourquoi en arrive-t-on à cette situation ? Si la relation entre raison et foi n’est pas considerée uniquement sous l’aspect de la continuité, mais aussi sous celui de la discontinuité, la foi peut devenir superflue. Donc le divin n’apparaît plus comme le fondement nécessaire qui avait garanti jusqu’alors un vivre social ou une éthique individuelle. Dieu devenait un « plus » qui n’était plus nécessaire à la raison ou à la société. De fait, la Révolution française remplacera le culte au Dieu chrétien par le culte à la déesse Raison.
3. Dans la troisième phase de ce développement nous assistons à un glissement. Comme Dieu n’est plus nécessaire, l’homme peut très bien s’en passer. Par la suite on affirmera que Dieu n’existe pas. Ainsi la pensée athée, développée par les courants philosophiques du XIXe siècle, devient une réalité tragique avec l’apparition des grandes dictatures politiques au XXème siècle : je me réfère aux communismes et aux fascismes.
Plus tard, dans les dernières décennies, cet athéisme s’est transformé, dans nos sociétés occidentales, en une façon de vivre. Nous nous trouvons face à un athéisme pratique où l’homme, plus que jamais dans l’histoire, a peut-être le sentiment de pouvoir vivre sa vie de tous les jours « comme si Dieu n’existait pas ». Ceci vous pouvez le constater par la disparition progressive des signes religieux dans les maisons. Surgit l’impression que Dieu n’est plus là…Le Cardinal Newman en 1873, avait déjà eu l’intuition de ce processus, lorsqu’il évoquait dans une homélie, l’esprit d’incrédulité des temps modernes, qui de convictions purement privées s’est transformé en idées courantes et populaires.
Il y a toutefois des signes de réveil car l’homme ne peut vivre sans transcendance. Cela dit, il me semble que la tâche essentielle de ce pontificat est de proposer à l’homme d’aujourd’hui le défi de l’existence de Dieu. Quelques jours avant d’être élu Pape, le Cardinal Ratzinger, dans un discours célèbre prononcé à Subiaco, avait insisté sur le fait que la reconstruction d’un fondement pour un « vivre en commun » en Europe, pouvait avoir comme point de départ, philosophiquement parlant, l’hypothèse selon laquelle Dieu existe : etsi Deus daretur. « La tentative, poussée à l’extrême, de façonner les choses humaines en se passant totalement de Dieu, nous conduit toujours plus au bord de l’abîme, vers l’éloignement total de l’homme. Nous devrions, alors, inverser l’axiome des penseurs des siècles des Lumières et dire: même ceux qui ne réussissent pas à trouver la voie de l’acceptation de Dieu devraient toutefois chercher à vivre et à orienter leur vie « veluti si Deus daretur », comme si Dieu existait. » (Joseph Ratzinger, L’Europe dans la crise des cultures, Subiaco, 1 avril 2005).
Ceci n’est pas uniquement un problème occidental. Malheureusement le phénomène de la globalisation atteint aujourd’hui toutes les cultures avec le risque de les vider de leur identité. C’est pourquoi l’Eglise toute entière doit à nouveau relever le défi de la foi. Mais de quelle foi parlons-nous ?
– La foi n’est pas premièrement une tradition, c’est à dire un ensemble de doctrines, d’expériences, passées à travers le filtre des générations passées et transmises aux générations futures, en vue de garantir une solidité à la civilisation d’un peuple.
-Il ne s’agit pas non plus, premièrement, de coutumes, c’est à dire d’un ensemble de valeurs et d’usages qui se sont sédimentés dans un peuple et qui caractérisent sa façon d’agir.
-La foi n’est pas non plus, d’abord, une connaissance intellectuelle. En effet, nonobstant la conviction de certains philosophes, Dieu n’est pas une idée. S’il était u
ne idée avec laquelle mesurer des convictions ou un concept grâce auquel construire des raisonnements, le rapport avec lui ne serait plus que l’apanage des intellectuels et la foi serait une école de pensée comme tant d’autres.
-La foi n’est pas non plus, premièrement, un sentiment et ne doit pas être confondue avec le sentiment religieux qui est commun à tous les hommes. Le fait de se poser des questions sur le sens de la vie, de s’émerveiller devant les beautés de la création, d’avoir une certaine perception du mystère qui nous entoure, d’éprouver l’exigence d’un Surnaturel auquel se référer, tout cela fait partie de la dimension naturelle du sentiment religieux de l’homme. Ce n’est pas encore la foi et nous ne pouvons pas la considérer comme existant a priori en quiconque se dit religieux.
-La foi n’est pas non plus un projet social, un ensemble de valeurs pour construire une société parfaite où il ne manquerait ni le pain ni le travail pour tous, un projet, en somme, qui proposerait le paradis sur terre. A ce sujet, il est en train de se produire aujourd’hui, même dans l’Eglise, un processus qui, à mon avis, envahit dangereusement les différents niveaux de l’Eglise. Ce n’est pas par hasard si le Saint Père, au moment de clôture de la II Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques, en 2009, soulignait que :« Le thème « Réconciliation, justice et paix » implique certainement une forte dimension politique, même s’il est évident que la réconciliation, la justice et la paix ne sont possibles sans une profonde purification du cœur, sans un renouvellement de la pensée, une « metanoia », sans une nouveauté qui doit résulter justement de la rencontre avec Dieu. (…)C’est pourquoi, la tentation pouvait être celle de donner une dimension politique au thème, de moins parler en qualité de pasteurs que d’hommes politiques, avec une compétence qui n’est pas la nôtre » (Salut du Saint Père aux Pères Synodaux et autres Participants à la II Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, le 24 octobre 2009 ).
Un des dangers de la sécularisation est de réduire l’Eglise à une entité politique. En effet si l’on oublie la présence de la grâce dans notre agir, cette grâce que l’on reçoit dans l’écoute de la prédication de la Parole et dans les sacrements, alors, même l’action des membres de l’Eglise perd son horizon transcendant et se raplati dans une dimension purement humaine ayant pour but de construire une société parfaite ici -bas.
Il ne s’agit pas minimiser la valeur de ces éléments que sont la tradition, la coutume, la connaissance intellectuelle, le sentiment religieux et l’agir social, mais ces derniers sont insuffisants pour décrire ce qu’est l’acte de foi. Celui-ci est fondamentalement la rencontre personnelle avec le Christ dans la communauté de l’ Eglise. La foi, dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique, « est une adhésion personnelle de l’homme tout entier à Dieu qui se révèle » (CEC 150). Et en citant ici l’encyclique Deus caritas est, au N° 1 « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ». Si la liberté est la prémisse de toute rencontre personnelle, alors la foi implique la liberté de Dieu qui se donne et la réponse libre de l´homme. Elle est donc grâce de Dieu et oui de la personne humaine.
Concernant notre réponse, aucune structure ou individu ne peut se substituer à la rencontre personnelle du croyant avec le Christ. C’est un acte éminemment personnel. En tant que tel, il doit être renouvelé, à chaque génération, par tout chrétien.
J’aimerais conclure en citant un passage-clé du discours que le Saint Père a prononcé à Lisbonne, le 11 mai dernier : « Souvent nous nous préoccupons fébrilement des conséquences sociales, culturelles et politiques de la foi, escomptant que cette foi existe, ce qui malheureusement s’avère de jour en jour moins réaliste. On a peut-être mis une confiance excessive dans les structures et dans les programmes ecclésiaux, dans la distribution des responsabilités et des fonctions ; mais qu’arrivera-t-il si le sel s’affadit ? » (Homélie de Benoît XVI à Terreiro do Paço de Lisboa, le 11 mai 2010).
Il me semble que, dans les grandes lignes, le défi de la pastorale aujourd’hui se situe ici. J’aimerais dire, en paraphrasant St Jean, que c’est un commandement ancien et pourtant toujours nouveau. Depuis toujours l’Eglise a réfléchi sur comment transmettre la foi aux générations nouvelles. Cependant c’est aussi une question neuve car elle se pose de façon dramatique dans un monde qui semble avoir perdu la trace de Dieu. Toutefois nous constatons que de nombreuses personnes redécouvrent la foi et reviennent à une pratique religieuse. Nous voyons, en plus, que Dieu donne aujourd’hui de nouvelles forces à son Eglise pour relever ce défi. Mais la question de savoir si ce retour à la religion sera, sommes toutes, un « asservissement aux éléments du monde» (Ga. 4, 3) ou une redécouverte du Dieu révélé par les Ecritures, qui conduit l’homme à la vraie liberté, cela dépendra aussi de la réponse que nous saurons apporter. Et nous sommes tous concernés.
Je vous remercie.