Nicaragua : Une Eglise dans les marais (II)

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Entretien avec l’évêque auxiliaire de Bluefields, Mgr David Zywiec

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ROME, Dimanche 4 avril 2010 (ZENIT.org) – Il est facile de s’isoler dans les problèmes de son propre pays, mais selon un évêque engagé auprès des pauvres du Nicaragua il est important de se rappeler que nous vivons dans une communauté mondiale et que nous faisons partie de l’Eglise universelle.

Le franciscain David Zywiec est l’évêque auxiliaire du vicariat de Bluefields, qui couvre presque toute la moitié orientale du pays, y compris la célèbre Mosquito Coast.

L’évêque, âgé de 62 ans, originaire d’East Chicago, dans l’Indiana, a évoqué la vie de l’Eglise au Nicaragua, dans une récente intervention au programme télévisé « Where God Weeps » (Où Dieu pleure) produit par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

La transcription de l’entretien est en deux parties. La première partie a été diffusée sur ZENIT le 28 mars 2010.

Q – Vous avez appris la langue des miskito. Combien de temps avez-vous mis ?

Mgr Zywiec – Je suis encore en train de l’apprendre ! On dit que pour apprendre une langue il faut environ 1000 heures. Une des difficultés que j’ai trouvée c’est qu’il faut être plongé dans le contexte et utiliser la langue constamment. Or, ma situation me conduit à aller parfois dans la région des miskito et parfois dans la zone espagnole.

Q – Vous êtes l’un des rares missionnaires à parler effectivement leur langue.

Mgr Zywiec – C’est vrai. Et le vicariat a la grâce d’avoir cinq prêtres miskito, en plus de quelques jeunes miskito au séminaire. Je pense donc que c’est une grâce de Dieu, qui nous permet d’envisager la construction d’une Eglise native.

Q – Quel appel souhaiteriez-vous lancer, pour votre travail, pour le diocèse, pour le vicariat ?

Mgr Zywiec – La première chose serait certainement de prier, car nous sommes appelés à prier. Le Nicaragua est un des pays les plus pauvres de l’Amérique Latine. Nous avons traversé des guerres civiles, des ouragans, donc la prière est importante.

Très souvent, quand je lis un journal au Nicaragua, je vois qu’on ne parle que du Nicaragua… je vais aux Etats-Unis et on ne parle que des Etats-Unis. Mais nous faisons partie d’une communauté mondiale ; nous faisons partie de l’Eglise catholique. Je pense que cela est important aussi.

Nous entretenons une sorte de partenariats avec plusieurs paroisses et je crois que c’est un très bon moyen pour ne pas se limiter à prier globalement « pour le Nicaragua », mais concrètement pour une personne, une famille. Il ne s’agit donc pas uniquement d’aider quelqu’un ou un lieu tout à fait anonyme, mais d’aider cette personne en particulier, cette famille en particulier, avec leurs besoins. Je crois que c’est cela qui touche les cœurs et je pense que c’est une façon de vivre cette fraternité à laquelle Dieu appelle, que Jésus nous a invités à vivre, comme ses disciples.

Q – La région où vous vivez et dont nous parlons est une région fortement rurale, constituée de nombreuses zones marécageuses et de zones montagneuses. Comment décririez-vous le développement social de la population ? Sont-ils encore très liés aux pratiques traditionnelles ou sont-ils en train de se moderniser ?

Mgr Zywiec – Je dirais que tant de choses ont changé dans le monde rural. Quand je venais d’arriver, je travaillais dans les habitats de langue espagnole, avec les paysans de langue espagnole. Les missionnaires les plus âgés disaient que ces zones voyaient un prêtre une fois par an ou tous les six mois.

Il y avait des femmes qui n’étaient pas en mesure de comprendre qu’un autre homme leur adresse la parole, car elles vivaient tellement isolées que la seule voix masculine qu’elles entendaient était celle de leurs maris. Et aujourd’hui dans certains secteurs, on trouve non seulement des radios à piles, mais aussi des télévisions grâce aux panneaux solaires.

Donc les choses ont changé, mais si cela se fait lentement. Une autre chose que j’avais remarquée en arrivant, il y a 30 ans, était que les enfants, en signe de respect, joignaient leurs mains et disaient « Santito ». Maintenant ils ne le font plus et c’est un petit signe qui montre que les choses ont changé.

Mais il faut dire qu’il y a eu quelque changement positif. Par exemple, certains sont devenus très doués en musique. Quand je suis arrivé pour la première fois, trouver quelqu’un qui jouait de la guitare à l’église était très difficile. Maintenant, dans les églises, nous avons des guitares, des accordéons, des trompettes. Les choses ont donc changé : dans le mauvais et dans le bon sens. Mais je crois que ces choses-là donnent plus de vie à nos célébrations dans les zones rurales.

Q – Vous avez fait allusion avant aux défis sociaux, en particulier aux écoles. Vous avez travaillé durement pour le développement d’un système scolaire élémentaire pour les jeunes de ces zones rurales qui, autrement, n’auraient pas eu accès à l’instruction. Pourquoi était-ce une priorité pour vous ?

Mgr Zywiec – Si vous voulez vivre dans le monde d’aujourd’hui, vous devez savoir lire et écrire. D’autre part, nous assistons à un certain flux migratoire de la campagne vers les villes. Par exemple, un de nos séminaristes vient d’une famille rurale, où il y a 16 enfants. Très probablement, beaucoup d’entre eux se transfèreront en ville et s’ils ne savent pas lire et écrire que feront-ils ? Ils pourront s’adonner à de modestes emplois ou être tentés par le vol. Comme ça, au moins, une personne a la capacité de gagner sa vie de manière honnête et digne.

Q – Quelles autres priorités et projets considérez-vous importants pour ce vicariat ?

Mgr Zywiec – Je crois que l’Eglise doit s’engager dans l’instruction. Il y a eu un passé trop long de désintérêt de la part de l’Etat concernant l’instruction dans cette zone. Nous parlons de 40 ou 50 années. Aujourd’hui il existe un système scolaire avec plus de 400 écoles primaires et plus de 20.000 élèves. Je pense qu’un autre pas serait celui d’ouvrir une école supérieure, une école technique, qui permette aux jeunes de travailler dans l’agriculture…

Q – Pour acquérir des aptitudes, une formation professionnelle… ?

Mgr Zywiec – Exact. Une formation professionnelle. … Un autre défi, dans cet effort général de promotion humaine, est celui de la santé, car les médecins se font rares. Normalement, ils veulent rester dans les villes. Ils ne veulent pas avoir à se déplacer dans les campagnes. Et donc nous avons souvent de petites cliniques… ça aussi c’est un défi.

Comme je l’ai dit, nous sommes très engagés dans l’évangélisation – c’est une priorité fondamentale – avec nos leaders laïcs que nous tenons à bien former. Plus haute sera leur instruction, plus grandes seront leurs capacités à offrir un service de qualité, à expliquer la foi de manière efficace. Et je crois que l’une des choses à faire est de travailler pour le bien commun, pour le sens communautaire.

Les gens ont souvent tendance à penser, en politique, en économie, voire même dans l’Eglise : « Bien, j’ai ce travail, voyons ce que je réussis à en tirer pour moi-même », au lieu de dire : « Je suis ici au service de la communauté, au service de Dieu ». Comme a dit Jésus : « Je suis venu non pour être servi mais pour servir ». Cet esprit de service est un des grands défis que nous avons. Avoir une mentalité de service, une attitude de service comme celle de Jésus. Tout cela fait partie de l’évangélisation. Je crois que nous avons là un des défis les plus importants en Amérique Latine et dans le vicariat de Bluefields.

Comme je le disais à propos de la zo
ne miskito, il y aussi toute la question de l’inculturation de la foi : être capable d’exprimer la foi qui est présente chez les miskito. Par exemple, aujourd’hui nous avons la Bible miskito, un livre de chants, et nous sommes capables d’aider les miskito à exprimer leur foi, leurs sentiments et leur amour de Dieu, à leur façon.

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « Où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

<p>Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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