ROME, Jeudi 25 mars 2010 (ZENIT.org) - Le Nicaragua a été ravagé par la guerre civile, par les dictatures et les catastrophes naturelles. Aujourd'hui, ce pays est l'un des plus pauvres du monde occidental.
Mgr David Zywiec, capucin, est l'évêque auxiliaire du vicariat de Bluefields. Sa juridiction embrasse presque toute la moitié Est du pays, y compris la plaine côtière connue sous le nom de « Mosquito Coast ».Agé de 62 ans, il originaire d'East Chicago, dans l'Indiana. Dans l'entretien ci-dessous, il parle de la situation au Nicaragua.
Q - Pouvez-vous nous expliquer comment un Polonais Américain a pu finir à Bluefields, au Nicaragua ?
Mgr Zywiec - Ce sont mes grands-parents, il y a environ 100 ans, qui ont traversé l'océan en partant de la Pologne. Personnellement, je suis devenu prêtre attiré par les franciscains capucins, qui me paraissaient un groupe très heureux.
Je suis allé au séminaire et après avoir écouté des récits sur leurs missions au Nicaragua je me suis offert comme volontaire. Mes supérieurs m'ont répondu en disant : « Nous avons besoin que tu ailles là-bas ». J'ai été ordonné en juin 1974, et en janvier de l'année suivante je me trouvais déjà au Nicaragua.
Q - Quelle a été votre première impression en arrivant là-bas ?
Mgr Zywiec - Quand je suis arrivé, j'étais un peu surpris. J'y suis allé avec un camarade de classe, au volant d'une jeep qui avait été offerte et que nous devions apporter au Nicaragua. Je pensais que nous aurions été reçus un peu comme des héros.
Mais le fait est qu'environ une semaine avant notre arrivée il y avait eu un enlèvement et le président avait imposé loi martiale et couvre-feu dans le pays. Nous ne le savions pas. Si bien que nous sommes arrivés vers 21h00, traversant la frontière peu avant la fermeture.
L'accueil des autres missionnaires a été : « Quoi ? Vous arrivez à cette heure-ci ? Vous ne savez pas qu'il y a le couvre-feu ? Les soldats auraient pu vous tirer dessus et vous laisser morts sur la route ». Nous avons aussitôt pris acte de la violente réalité locale. Voilà donc quelle a été notre première impression.
Q - Avez-vous déjà été menacé ou vous est-il arrivé de vous sentir menacé au Nicaragua ?
Mgr Zywiec - Oui, une fois, alors que je travaillais dans la jungle. Aussitôt après mon arrivée dans le pays, ils ont envoyé « les missionnaires plus vieux aux villages et les plus jeunes dans la jungle ».
C'était l'époque des sandinistes, l'organisation qui se rebellait contre le gouvernement. Des membres de la guérilla étaient cachés dans la jungle et je savais que des bombardements étaient en cours là-bas ; j'avais un peu peur.
Je me disais à moi-même : « Mes parents paient leurs impôts au gouvernement américain et le gouvernement américain aide celui du Nicaragua, et dans cette zone des bombes sont lâchées contre les guérilleros ».
Je n'ai jamais vu une de ces bombes, mais la chose me faisait un peu peur. Grâce à Dieu je suis maintenant ici pour vous le raconter.
Q - Quelles sont les difficultés que vous avez dû surmonter ou auxquelles vous avez dû vous adapter dans votre nouvelle vie au Nicaragua ?
Mgr Zywiec - Je suis arrivé en 1975, donc tout de suite après le Concile Vatican II. Quand j'étais au séminaire, en train d'étudier la théologie, j'étais content car nous avions une nouvelle théologie et des instructions pastorales. Je me sentais à jour par rapport aux missionnaires plus âgés.
Puis l'armée du gouvernement a arrêté des personnes et les a torturées. Certains ont « disparu », d'autres, comme on le saura après, ont été tués. Si on fait les comptes, en l'espace de deux ans, les forces gouvernementales avaient séquestré 300 personnes.
Que faire dans ce genre de situation ? Nous n'étions pas préparés à cela !
Q - Vous n'auriez jamais imaginé d'être confronté à cela ?
Mgr Zywiec - Non. On ne parlait pas de ça dans nos cours de théologie. Nous avons eu un peu d'instruction pastorale, sur l'apostolat des jeunes, mais c'était une situation de crise. La seule chose que j'ai pu faire c'est de rapporter toutes mes informations à l'évêque, Mgr Schlaefer, qui m'a beaucoup rassuré.
Q - Le Vicariat de Bluefields comprend aussi la « Mosquito Coast ». D'où vient ce nom?
Mgr. Zywiec - La partie orientale du Nicaragua, qui se trouve à l'intérieur du Vicariat de Bluefields, n'a jamais été conquise par les Espagnols et les Indiens Miskito qui l'habitent sont restés autonomes. Cette population avait jadis une sorte d'empire qui partait de la côte caribéenne de Panama, traversait le Costa Rica et le Nicaragua, pour s'étendre jusqu'au Honduras. Ils étaient alors très puissants, au XVIII siècle.
Q - Le vicariat apostolique de Bluefields couvre un territoire de plus de 50.000 km2. C'est énorme ! Pouvez-vous nous décrire un exemple de visite pastorale dans les villages, au milieu des paroissiens ?
Mgr Zywiec - D'habitude je demande quatre choses. Tout d'abord du temps pour écouter les confessions. Puis pour célébrer la messe, dans le cadre d'une confirmation ou d'un autre sacrement comme le baptême ou le mariage.
Puis je demande de rencontrer les responsables de l'Eglise. C'est pour moi une manière d'instaurer un bon dialogue.
Enfin je dis : « Je voudrais quelque chose à manger ». Généralement, quand l'évêque vient, et vu qu'ils n'ont pas d'électricité, ils abattent une vache ou un cochon car ils n'ont pas la possibilité de conserver la nourriture. Comme ça, il y a de quoi manger pour tous et nous mangeons tous ensemble!
Q - Le vicariat apostolique de Bluefields couvre aussi la moitié de tout le Nicaragua. Vous êtes 25 prêtres. N'êtes-vous pas un peu surchargés ?
Mgr Zywiec - Oui, en effet, et c'est un problème. Nous avons à peu près 1.000 églises et seulement 14 paroisses. Une petite paroisse peut avoir environ 30 églises à assurer. Un prêtre du Milwaukee, qui a près de 80 ans, visite plus de 100 églises.
Chaque dimanche, dans les églises, il y a une célébration de la Parole. Les personnes qui assurent ces célébrations sont les « délégués de la Parole ». Normalement nous en avons deux par église, de manière à ce que si l'un tombe malade, l'autre soit prêt à le remplacer.
Puis nous avons un catéchiste pour les baptêmes, un pour les premières communions et les confessions, un autre pour la confirmation et un pour les mariages.
D'habitude, une fois par an, ces catéchistes suivent un cours de formation. Certaines paroisses ont aussi des cours pour musiciens. Et puis il y a les mouvements. Nous appelons cela des « mouvements de retraite ». C'est une manière d'aider à faire grandir la foi, à former de vrais leaders. Nous dépendons beaucoup des laïcs.
Q - Combien de missionnaires êtes-vous ? Vous avez dit que beaucoup d'entre vous sont devenus âgés. D'où viennent les nouvelles recrues ? Y-a-t-il des vocations au Nicaragua ?
Mgr Zywiec - Les prêtres sur lesquels nous pouvons compter sont ceux qui proviennent du vicariat de Bluefields ; il y a des missionnaires et des personnes qui nous aident, mais nos prêtres diocésains sur place sont ceux sur lesquels nous pouvons le plus compter, et nous avons vu que beaucoup de nos vocations viennent de familles qui tiennent un rôle de premier plan dans une communauté.
Par exemple, là où il y a un diacre marié, ou un délégué de la Parole, on vit cet engagement chrétien, qui est un terrain fertile pour les vocations, pas seulement au sacerdoce mais à la vie religieuse aussi. Par exemple, dans un village de près de 10.000 âmes, ces vingt de
rnières années, 15 jeunes filles sont entrées au couvent. Je pense que c'est très beau de voir ça.
Q - Quelles manifestations de foi populaire ou de dévotions avez-vous au Vicariat ?
Mgr Zywiec - On fait beaucoup de processions. Ce que je sais, c'est qu'aux Etats-Unis, les processions se déroulent d'habitude à l'intérieur. Mais au Nicaragua le climat est plus chaud et les personnes sont habituées à faire les processions en plein air, comme celle pour la Semaine Sainte.
Pour la Semaine sainte, dans certains villages il y a des processions pour le Chemin de Croix tandis que pour la veillée pascale, le cierge pascal est béni en plein air puis on entre en procession dans l'église.
Pour les fêtes patronales aussi il y a des processions. On accompagne la statue du saint patron à travers tout le village, en chantant et en récitant le chapelet. C'est normal. C'est une partie normale de la vie de l'église. Mais nous prions aussi pour qu'il ne pleuve pas trop !
Q - Mise à part la taille du territoire, qu'est-ce qui est selon vous le plus difficile dans l'évangélisation de la population miskito ?
Mgr Zywiec - Bien que le territoire soit grand, ce n'est pas tant sa dimension qui est un problème mais la question du transport et des communications. Je crois que dans toute cette région, il y a environ 100 kilomètres de routes goudronnées, tandis que le reste est formé de routes caillouteuses. Il pleut beaucoup et on s'embourbe souvent.
Un autre point est que sur les 1.000 églises, 100 sont de langue miskito ; alors que dans les autres on parle espagnol. Il y a essentiellement des paysans qui pratiquent une agriculture de subsistance et s'adonnent quotidiennement à la culture et l'élevage.
Une des principales préoccupations est peut-être que les gens puissent non seulement recevoir les sacrements, être baptisés, mais qu'ils puissent aussi apprendre davantage sur leur foi et sur ce que signifie vivre quotidiennement une évangélisation plus profonde. Je pense qu'il est très important pour nous de promouvoir les vocations, pour qu'il y ait demain de nouvelles générations de prêtres.
La promotion humaine aussi est importante, à travers les écoles et les programmes sanitaires, pour que les personnes puissent écouter la Parole de Dieu, mais qu'elles puissent aussi vivre de manière plus humaine et participer en toute conscience à la vie nationale, afin qu'on ne les oublie pas.
Fin de la première partie. La deuxième partie sera publiée dimanche prochain, toujours dans la section « Où Dieu pleure ».
Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l'émission télévisée « Où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
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