ROME, Vendredi 12 février 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’intervention de Mgr Yves Le Saux, évêque du Mans, le 26 janvier dernier, au cinquième colloque de Rome organisé par la Communauté de l’Emmanuel sur le thème « prêtres et laïcs dans la mission ».
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Mon propos est celui d’un jeune évêque qui prend la mesure de la question « Prêtres et laïcs dans la mission », dans la situation particulière d’un diocèse français. Mon intention est de vous partager quelques réflexions, tirées de l’expérience qui est la mienne, d’une part de plus de vingt ans de vie et de travail dans le cadre de la Communauté de l’Emmanuel, d’autre part des questions que je rencontre dans la charge épiscopale de mon diocèse.
I Quelques considérations préalables
Permettez-moi de commencer par quelques considérations à partir des situations que j’ai pu rencontrer au cours des années.
1) Dans la dynamique du Concile Vatican II, les laïcs ont pris conscience de manière heureuse et positive que l’Eglise n’était pas seulement les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses, mais l’Eglise est constituée aussi des baptisés. Ils sont l’Eglise. Plus exactement, ensemble, nous sommes l’Eglise. Les laïcs ne se définissent pas simplement à partir des clercs. Il n’y a pas d’un côté les administrateurs et de l’autre les administrés. Leur identité se définit à partir du baptême. Beaucoup d’entre eux se sont engagés au service de la communauté paroissiale. Ils ont pris des responsabilités de manière généreuse, souvent avec compétence. Il serait impossible aujourd’hui d’envisager la vie de nos communautés sans eux. Aujourd’hui, la vie des paroisses, des conseils paroissiaux et nombre d’activités n’est plus imaginable sans cet intense engagement des laïcs.
Les chrétiens ont changé leur perception de ce qu’est la communauté chrétienne. Ils ont compris que ce n’est pas seulement le curé qui gère le service liturgique, pastoral et sacramentel, mais que c’est un ensemble de vie communautaire qui fait la paroisse. C’est l’un des plus beaux fruits du Concile.
Je pense aussi à toutes les initiatives missionnaires et associatives nées sous l’impulsion des laïcs. C’est le cas pour nombre de nouveaux mouvements et communautés nouvelles qui ont été fondés par des laïcs dont la fécondité n’est plus à prouver. Ma propre expérience dans le cadre de la Communauté de l’Emmanuel le prouve. Son fondateur est un laïc, les responsables de la vie communautaire et missionnaire sont tous des laïcs. Des laïcs vivant pleinement leur baptême engendrent des vocations au sacerdoce ministériel. Dans la majorité, ces communautés sont nées à l’initiative de laïcs.
2) Avant même d’être évêque, mais encore plus depuis que j’ai la charge d’un diocèse, je constate un fonctionnement plus problématique. Dans beaucoup de paroisses, les chrétiens réfléchissent et gèrent le rapport des laïcs aux prêtres à partir de la diminution du nombre de prêtres. La question est alors comment va-t-on faire pour remplacer les prêtres. On réfléchit en termes de remplacement. Permettez-moi un descriptif presque caricatural. On commence par se dire que le prêtre est âgé, il ne peut plus fonctionner seul, il faut quelqu’un pour l’aider. Quand il n’y a plus de prêtre, on se dit : « Que faisait le prêtre ? Que peut-on faire sans être prêtre ? » Parfois, on se met en recherche dans la paroisse de quelqu’un qui pourrait être ordonné diacre. Avec un nouveau débat sur ce que peut faire ou ne pas faire le diacre. Dans ce cas, la relation entre prêtre et laïcs se gère en termes de remplacement face à la diminution du nombre de prêtres, et en termes de ce que peut faire ou ne pas faire un laïc.
Nous ne sommes plus dans une chrétienté (je parle pour la France). Le monde qui nous entoure n’est plus chrétien. Nous vivons dans un monde où les repères culturels, les modes de pensée de la majorité de nos contemporains ne sont plus chrétiens. Les habitudes, les monuments, certains rites témoignent de nos racines chrétiennes, mais la façon de vivre ne l’est plus. C’est un fait. Les personnes souffrent, cherchent, sont généreux ou méchants, mais ils ne sont pas chrétiens. Parfois, ce monde manifeste une certaine hostilité qui peut être violente à l’égard du christianisme, en particulier dans les medias. Mais, je pense que pour la plupart, nos contemporains sont ignorants. Quand je tiens de tels propos aux différents responsables de mon diocèse, ils me disent : « vous avez raison, on est d’accord avec vous. » Mais dans le fonctionnement, dans les réflexions, je constate que l’on continue à vouloir travailler et vivre comme si on était encore dans une chrétienté.
On réfléchit en termes de couverture du territoire. Auparavant, il y avait un prêtre dans chaque village. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Alors on confie plusieurs villages à un seul prêtre, pour faire la même chose, mais avec moins de monde. L’étape suivante consiste à faire la même chose, mais avec les laïcs, ou alors, il faut absolument ordonner un diacre. On pense en termes de remplacement.
Dans tout cela, je constate un autre phénomène. Je durcis volontairement un peu la situation. « On baisse le niveau ». Il y a quarante ans, un bon chrétien allait à la messe tous les dimanches, se confessait avant toutes les grandes fêtes, donnait un peu d’argent au denier du culte et participait à une œuvre de charité. Quelques années plus tard, un bon chrétien participe à l’eucharistie une fois par mois ou au moins aux grandes fêtes. S’il rend service dans une œuvre de charité ou associative, son mode de vie privée est laissée à son jugement personnel. Dans l’étape suivante, un bon chrétien est quelqu’un de généreux et qui rend service aux autres. Le reste ne nous regarde pas. Ainsi, on continue à fonctionner en chrétienté.
Je suis sans doute un peu sévère, mais il y a quelque chose de cela.
3) Autre constat. Beaucoup de laïcs sont surtout engagés dans le service de la communauté chrétienne, dans les paroisses, les mouvements, la chorale, le catéchisme, la liturgie…Je ne reviens pas sur le côté positif de tout cela. Il est inimaginable aujourd’hui de penser la vie de nos communautés sans cela. Mais il me semble qu’il y a un véritable risque d’oublier que le premier lieu d’engagement du laïc est dans sa vie familiale, professionnelle, politique, associative, que la première exigence réside dans le rayonnement de la vie baptismale dans le monde. Il y a un risque à proposer comme modèle du laïc engagé quelqu’un qui est au service interne de la communauté chrétienne. Alors que le véritable modèle est celui qui vit pleinement sa vie du baptême au milieu du monde, pour le transformer.
De cette situation, découle une forme de revendication de la reconnaissance d’un statut ecclésial particulier du permanent laïc en pastorale, avec la tentation d’oublier que ce sont le baptême et la confirmation qui fondent la mission du laïc. Parfois, nous assistons à une forme de cléricalisation du laïc. Ces questions ne sont pas propres à la situation des diocèses ou des paroisses. Elles apparaissent également de manière subtile dans les mouvements et communautés nouvelles. Beaucoup ont été fondés et sont animés par des laïcs avec un grand dynamisme missionnaire, et je ne peux que m’en réjouir. Mais, parfois, un certain flou apparaît sur le mode d’exercice du gouvernement, sur la place des ministres ordonnés qui peuvent être réduits au service des sacrements.
4) En France, on parle aujourd’hui de crise des vocations, et les chiffres sont là. Le nombre de prêtres a considérablement diminué. Je pense qu’en réalité il y a une crise de la vie baptismale. Etre
chrétien consiste à fonder sa vie dans le Christ, à accueillir la vie du Christ et se laisser transformer. Comment susciter un élan de sainteté, au sens de l’appel universel à la sainteté du Concile Vatican II, chez tous les baptisés ? Les vocations spécifiques ne peuvent éclore que dans une communauté chrétienne traversée par un véritable élan de sainteté. C’est parce que tous tendent à la perfection de la charité que certains par appel de Dieu peuvent répondre à un appel particulier. Si les chrétiens vivent comme des païens, il n’y aura plus de vocations à être prêtre. En ce sens, je pense que les services des vocations ne servent à rien. Le service des vocations est la communauté chrétienne dans son ensemble. Je m’interroge quand je vois des communautés chrétiennes dites vivantes ou dynamiques où il n’y a pas eu de vocations particulières depuis 30 ou 40 ans. C’est parce que l’ensemble des baptisés s’attache radicalement au Christ que ceux qui ont une forme d’appel plus radical peuvent répondre.
5) Parfois, une confusion autour du diaconat permanent apparaît. Comme vous le savez, le Concile Vatican II a rétabli le diaconat permanent, et cela est heureux. Il ne s’agit pas pour moi de remettre en cause cela, d’aucune manière. Mais un certain nombre de difficultés surgissent dans la mise en œuvre qui a conduit à une certaine confusion dont il nous faut nous distancer. Je me permets là encore de forcer le trait. Il y trois conceptions non acceptables du diaconat.
La première est celle du « super laïc » : le critère de discernement pour l’appel au diaconat devient « puisqu’il est un laïc généreux et engagé, il fera certainement un bon diacre ». Une telle conception revient à dire qu’il n’existe pas de vocation laïque à la sainteté qui ait sa consistance propre, la lettre de mission du diacre l’envoyant là où il était déjà comme laïc.
La seconde conception est celle du diacre permanent « sous prêtre ». Elle est d’autant plus tentante que la diminution du nombre de prêtres conduit à la recherche de figure de suppléance. Le diaconat permanent devient un ministère permettant de décharger les prêtres. Le diacre devient une espèce de vicaire paroissial avec moins de pouvoir.
Entre les deux, certains voient dans le diaconat permanent une fonction médiatrice entre prêtres et laïcs.
En réalité, il me semble que la seule manière de situer le diacre permanent est de réfléchir sur ce qu’il est, et non sur ce qu’il peut faire. Que signifie être configuré au Christ serviteur ? Que signifie l’expression « in persona Christi servi » ? Je considère comme très heureux le récent Motu proprio modifiant les canons 1008 et 1009 pour préciser que seules les ordinations sacerdotales et épiscopales donnent la faculté d’agir « in persona Christi capitis », en la personne du Christ tête. Les diacres servent la communauté par la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité.
Le jeune évêque que je suis est confronté à ces questions. Je me suis permis de vous les exposer, espérant n’avoir pas été trop caricatural.
II Expérience de la Communauté de l’Emmanuel
Maintenant, je voudrais m’arrêter sur l’expérience de la Communauté de l’Emmanuel, qui sans doute rejoint celle d’autres nouveaux mouvements, ou communautés nouvelles.
Son fondateur, Pierre Goursat, lui-même laïc célibataire consacré, était préoccupé par la situation des prêtres en France dans les années 70. Il était soucieux de la vie et du ministère des prêtres, ainsi que de la question des vocations au sacerdoce ministériel. Comment faire pour que les prêtres soient gardés toute leur vie dans le désir de sainteté et dans le zèle missionnaire ? La réponse a été assez simple : un prêtre ne peut pas être seul. Il doit être entouré d’autres prêtres, mais surtout de frères et sœurs laïcs, consacrés dans le célibat, mariés, partageant le même désir de suivre le Christ et d’évangéliser. Il fallait que des prêtres, des familles, des consacrés dans le célibat soient ensemble. Cet « être ensemble » est fondateur de la vocation de la Communauté de l’Emmanuel.
« Il est important que les prêtres puissent venir et puissent se réchauffer à ce cœur brûlant, mais aussi que les prêtres dans l’exercice de leur apostolat dans les diocèses où ils sont, ne se trouvent pas seuls. On dit que les prêtres vivent en communauté ? C’est gentil de dire ça ! Mais comme il n’y a pas tellement de prêtres, comment les fera t-on vivre en communauté ? Ils peuvent donc très bien vivre en communauté avec des frères laïcs… C’est très important que la Communauté de l’Emmanuel sente qu’elle aura come mission d’aider et soutenir les prêtres et de manière pratique, pour pouvoir porter leur sacerdoce. »1
C’est ce que la Communauté de l’Emmanuel a tenté de mettre en œuvre et continue à faire. Je me permettrais quelques commentaires à ce sujet.
Il ne s’agit pas d’abord de faire des choses ensemble, ni que des laïcs viennent aider les prêtres. Mais, il s’agit de suivre le Christ et d’évangéliser ensemble. Partager un même élan de sainteté missionnaire, s’entrainer et se garder les uns les autres dans cette exigence. Il s’agit de nous conduire les uns les autres à la sainteté propre à notre état de vie.
« La Communauté rassemble des fidèles de tous les états de vie qui désirent s’engager ensemble dans une vie à la fois contemplative et apostolique au service de l’Eglise catholique.
Tous les membres laïcs et clercs se reconnaissent mutuellement comme frères et sœurs dans le Christ avec un même appel à la sainteté et à l’annonce de l’Evangile. Ils veulent réaliser cet appel chacun selon son état de vie et son ministère. Ils s’engagent à former ensemble une même communauté et se promettent les uns les autres une assistance active, maternelle, fraternelle et spirituelle pour la sanctification et l’annonce de l’Evangile. »2
Il s’agit bien d’être ensemble pour la sanctification, se conduire les uns les autres à la sainteté, et d’être ensemble missionnaire. L’élan missionnaire découlant de l’élan de la sanctification.
Dans ce type d’approche, le prêtre n’est pas un aumônier de la communauté de laïcs. Aumônier qui viendrait célébrer l’eucharistie, donner le sacrement de réconciliation, enseigner et assister de ses conseils. La communauté de laïcs n’est pas non plus un simple lieu de ressourcement ou d’encouragement où le prêtre viendrait chercher des forces auprès de laïcs sympathiques et dynamiques. Le prêtre est un frère qui participe à la vie commune dans la même recherche de sainteté et dans le même élan missionnaire. C’est un frère qui est prêtre, qui exerce sa sollicitude pastorale à l’égard de tous les membres de l’Emmanuel et de l’ensemble de l’Eglise, dans le ministère qui lui est confié par son évêque.
Ce type de vie communautaire est aussi le lieu d’expérimentation de la complémentarité des états de vie, qui se gardent l’un l’autre, et ce vis-à-vis conduit chacun à approfondir l’essence propre de sa vocation particulière.
Celle des fidèles laïcs, mariés ou célibataires, en vertu de leur baptême et de leur confirmation « consiste en premier lieu à chercher le Règne de Dieu à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu…C’est à eux qu’il revient, d’une manière particulière, d’éclairer et d’orienter les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ. »3 Le fidèle laïc se situe dans un rapport immédiat au monde. Sa tentation serait, me semble t-il, ou de se perdre dans le monde ju
squ’à oublier que la figure de ce monde passe, ou au contraire de refuser d’y vivre pour se réfugier à la sacristie au nom du service de l’Eglise. Alors qu’il s’agit d’être dans le monde sans être du monde, pour l’ordonner à Dieu par l’offrande de leur vie, par le témoignage d’une vie cohérente et l’annonce de la vérité.
Le célibat pour le Royaume tient une place centrale, qu’il soit féminin ou masculin. Par le don d’eux-mêmes au Christ avec un cœur sans partage, les consacrés rappellent sans cesse au fidèle laïc et au ministre ordonné que la figure de ce monde passe, que seul le Christ peut combler le cœur de l’homme, que nous sommes faits pour la communion avec Dieu pour l’éternité. La tentation des consacrés sera toujours, ou de vouloir être comme loin du monde, ou de réduire l’exigence des conseils évangéliques, ou sous prétexte d’être à Dieu, ne faire que ce qu’ils veulent, et donc ne plus être dans la réalité du don quotidien. La présence de laïcs, en particulier de familles chrétiennes, est un rappel constant que le don total de soi se vit dans la réalité d’une vie quotidienne.
Les prêtres sont au milieu de nous figure du Christ Bon pasteur. Par l’ordination, ils sont marqués par le sacrement de l’ordre qui rend capable d’agir in persona Christi capitis. A travers le ministère des prêtres et des évêques, l’Eglise se reçoit sans cesse du Christ. Jésus Bon Pasteur continue de nourrir et gouverner son peuple. La tentation du prêtre est de refuser cette mise à part, de réduire son sacerdoce à une fonction, dont il peut se mettre en vacances de temps en temps. Je suis prêtre tous les jours, sauf le lundi et le temps des vacances. Refuser le mystère de sa propre vocation revient à refuser d’y entrer totalement. Une seconde tentation est le cléricalisme. A cause de cette mise à part, il revendique un pouvoir ou une reconnaissance, une place particulière. Là encore, c’est une difficulté à aller jusqu’au bout du don de Dieu. Un prêtre « clérical » n’est pas un prêtre qui serait trop prêtre, mais quelqu’un qui ne va pas jusqu’au bout de sa vocation. Oui, le prêtre, et en premier lieu l’évêque, est configuré au Christ chef, tête du corps. En un sens, il doit être le premier, le premier à donner sa vie pour permettre au baptisé d’offrir la sienne. Jésus est pasteur en étant l’Agneau immolé.
La tentation de tout état de vie est de s’arrêter en chemin, de ne pas aller jusqu’au bout de la radicalité propre du don de Dieu. « L’être ensemble », prêtre-laïc-consacré, permet justement de s’entrainer les uns les autres à l’exigence propre de chacun des états de vie. Nous devons être à la fois les gardiens des uns des autres, et les stimulants, et cela dans le concret.
Un père de famille est autorisé à dire à une consacrée dans le célibat : « pries-tu encore ? » Un prêtre est autorisé à dire à un père de famille : « prends-tu assez de temps avec tes enfants ? » Une mère de famille est autorisée à dire à son curé : « donnez-nous le Christ et non vos opinions personnelles. C’est Jésus que nous voulons suivre et pas vous. » Le premier rôle du pasteur est de chercher le bien de ses brebis, et non de trouver une animatrice pour la chorale, ou un animateur pour le camp scout.
III Points essentiels
Au terme de ces considérations, je retiens trois aspects qui m’apparaissent importants dans la relation prêtre-laïc dans la mission.
a) La centralité du Christ
« Il ne s’agit pas alors d’inventer un « nouveau programme ». Le programme existe déjà: c’est celui de toujours, tiré de l’Évangile et de la Tradition vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ lui-même, qu’il faut connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui l’histoire jusqu’à son achèvement dans la Jérusalem céleste. »4
Jean-Paul II nous rappelle qu’il nous faut remettre sans cesse le Christ au centre,
Jésus présent et accueilli dans son intégralité, Fils unique de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, unique Sauveur de tous, Jésus mort et ressuscité que je peux rencontrer aujourd’hui. Placer le Christ au centre de nos vies de manière que notre identité soit essentiellement marquée par la rencontre et la communion avec le Christ. Cela passe par la redécouverte de ce qu’est le sacrement du baptême et de la confirmation, de la centralité de l’Eucharistie et de la nécessité du sacrement de la réconciliation.
La vie chrétienne n’est pas un art de bien vivre, ni une grande générosité, ni une morale, ni une série de convictions. Elle est accueil de la vie divine dans nos vies, elle est la vie du Christ en nous, elle est suite du Christ. Contrairement à ce que j’entends parfois dans certaines paroisses de mon diocèse, où le baptême est réduit au choix d’intégrer la communauté chrétienne, où on oublie que le baptême est avant tout être plongé dans la mort et la résurrection du Christ pour en recevoir le pardon des péchés et la vie divine, la vie éternelle, où la confirmation est simplement réduite à confirmer sa foi, car quand j’étais enfant, ce sont mes parents qui ont choisi pour moi. On oublie que par le sacrement de confirmation, on est marqué par le don du Saint Esprit.
Tous les fidèles, laïcs, mais aussi les ministres ordonnés ont d’abord à laisser se déployer en eux le baptême et la confirmation : « avec vous je suis chrétien, pour vous, je suis évêque » disait St Augustin.
b) La juste compréhension du rapport entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel.
Il nous faut reprendre ce que nous enseigne le Concile Vatican II et former une juste compréhension de ce que signifient le sacerdoce commun des fidèles et son articulation avec le sacerdoce ministériel.
Le sacerdoce commun ou baptismal des chrétiens, en tant que participation réelle du sacerdoce du Christ, constitue une propriété essentielle du nouveau peuple de Dieu.
« Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis. »5
« Tu as fait d’eux pour notre Dieu une royauté de prêtres »6
« Si le sacerdoce commun est la conséquence du fait que le peuple chrétien est choisi par Dieu comme pont avec l’humanité et concerne tout croyant faisant partie de ce peuple, le sacerdoce ministériel est en revanche le fruit d’une élection, d’une vocation spécifique: « Jésus appela ses disciples et il en choisit douze » (Lc 6, 13-16). Grâce au sacerdoce ministériel, les fidèles sont amenés à prendre conscience de leur sacerdoce commun et à le mettre en œuvre (cf. Ep 4, 11-12); le prêtre leur rappelle qu’ils sont Peuple de Dieu et les rend capables d' »offrir des sacrifices spirituels » (cf. 1 P 2, 5), par lesquels le Christ lui-même fait de nous un don éternel au Père (cf. 1 P 3, 18). Sans la présence du Christ représenté par le prêtre, guide sacramentel de la communauté, cette dernière ne serait pas pleinement une communauté ecclésiale. »7
Au sein de ce peuple sacerdotal, le Seigneur a donc constitué le sacerdoce ministériel auquel sont appelés certains fidèles pour servir tous les autres, avec charité pastorale et au moyen des pouvoirs sacrés. « Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel se différencient entre eux par leur essence et non seulement en degré. »8 Il ne s’agit pas seulement d’une plus ou moins grande intensité de participation à l’unique sacerdoce du Christ, mais celle-ci est essentiellement différente. Alors que le sacerdoce commun se fonde sur le baptême, le sacerdoce ministériel se fonde sur le sacrement de l’Ordre.
Que soit affirmé clairement que tous les
baptisés participent au sacerdoce du Christ. Le sacerdoce baptismal est un vrai sacerdoce. Les baptisés participent au ministère du Christ Roi-Prophète-Prêtre. Ils participent à l’offrande du monde à Dieu, à la consécration du monde à Dieu. Les laïcs feront ainsi « paraître aux yeux de tous, dans leur service temporel lui-même, la charité avec laquelle Dieu a aimé le monde. »9
Que soit aussi clairement affirmé que le ministre ordonné, évêque et prêtre, est configuré au Christ prêtre par le sacrement de l’Ordre, de façon à pouvoir agir en la personne du Christ. Il personnifie au sein du peuple de Dieu la charge du Christ lui-même en tant que tête et pasteur de l’Eglise. Sacerdoce qui est un service à l’égard des croyants. En ce sens, seuls l’évêque et le prêtre sont pasteurs. Ils le sont au nom même de leur ordination. Un laïc peut participer à une charge pastorale au titre d’un charisme particulier ou d’une mission particulière qui lui est confiée, mais il n’est pas à proprement parlé pasteur.
c) La sainteté et la mission
On ne peut vivre et mettre en œuvre une juste collaboration entre prêtres et laïcs que dans la recherche de la sainteté, et dans la dynamique missionnaire. Il nous faut redécouvrir dans toute sa valeur le chapitre V de Lumen gentium qui traite de l’appel universel à la sainteté. Tendre à la perfection de la charité n’est pas réservé à certains chrétiens seulement. « L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur rang.»10 La perspective dans laquelle doit se placer tout le cheminement pastoral est celle de la sainteté. « Demander à un catéchumène:«Veux-tu recevoir le Baptême? » signifie lui demander en même temps: « Veux-tu devenir saint? »11
« Si les Pères conciliaires ont donné tant d’importance à ce sujet, ce n’est pas pour conférer une sorte de touche spirituelle à l’ecclésiologie, mais plutôt pour en faire ressortir un dynamisme intrinsèque et caractéristique. La redécouverte de l’Église comme « mystère », c’est-à-dire comme « peuple uni de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint », ne pouvait pas ne pas entraîner aussi la redécouverte de sa « sainteté », entendue au sens fondamental d’appartenance à Celui qui est par excellence le Saint, le « trois fois Saint » (cf. Is 6,3). Dire que l’Église est sainte signifie présenter son visage d’Épouse du Christ, pour laquelle il s’est livré, précisément en vue de la sanctifier (cf. Ep 5,25-26). Ce don de sainteté, pour ainsi dire objective, est offert à chaque baptisé. »12
Il me semble que l’on ne peut se situer justement dans la complémentarité des états de vie que dans cette dynamique. Tous les baptisés, en vertu de leur baptême, sont appelés à laisser se déployer en eux la sainteté et à y travailler. Tous sont conviés à vivre les conseils évangéliques, chasteté, pauvreté et obéissance, dans les modalités propres à leur état de vie.
Les ministres ordonnés sont eux-mêmes conviés à tendre à la sainteté d’abord en vertu de leur baptême. Ceci me paraît extrêmement important. En cela, ils sont d’abord frères de leurs frères et sœurs, tout en étant pasteur. Ainsi, les ministres ordonnés sont tenus à la sainteté à un double titre, celui de leur baptême et celui de leur ordination. « Par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d’une vocation et d’une grâce qui comporte pour eux la possibilité et l’exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine, à la perfection dont parle le Seigneur…Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l’acquérir à un titre particulier, en recevant le sacrement de l’Ordre… Dès lors qu’il tient à sa manière la place du Christ en personne, tout prêtre est, de ce fait, doté d’une grâce particulière; cette grâce lui permet de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu’il représente. »13
La collaboration prêtre-laïc est d’abord celle de la collaboration à tendre à la sainteté, accueillie et correspondant au don de Dieu. De la sainteté, de la recherche de la sainteté, découle la mission, l’évangélisation. Je pense qu’il n’y a pas de collaboration possible entre ministre ordonné et laïc si nous ne sommes pas dans une dynamique d’évangélisation. Nous participons tous à une même recherche de la sainteté et nous partageons la même mission qui est l’annonce au monde du salut en Jésus. C’est la raison d’être de l’Eglise.
L’évangélisation ne peut naître que de la sainteté. La communion intime avec le Christ est un élément essentiel de la spiritualité missionnaire. On ne peut comprendre, ni vivre la mission qu’en se référant au Christ comme celui qui a été envoyé pour évangéliser. Il s’agit d’être saisi par l’amour du Christ pour en être nous-mêmes transformés et entrer dans l’élan d’amour de Dieu pour l’humanité. Celui qui a l’esprit missionnaire éprouve le même amour que le Christ pour les âmes et l’Eglise.
« L’appel à la mission découle par nature de l’appel à la sainteté. Tout missionnaire n’est authentiquement missionnaire que s’il s’engage sur la voie de la sainteté: « La sainteté est un fondement essentiel et une condition absolument irremplaçable pour l’accomplissement de la mission de salut de l’Eglise » »14
Il ne suffit pas de renouveler les méthodes pastorales, ni de mieux organiser et de mieux coordonner les forces de l’Eglise, ni d’explorer avec plus d’acuité les fondements bibliques et théologiques de la foi. Il faut susciter un nouvel élan de sainteté.
Pour dire les choses autrement, et peut-être plus simplement encore : si nous nous situons continuellement dans des questions de gestion interne, si nous oublions qu’il s’agit d’abord de vivre de la vie du Christ et d’annoncer l’évangile à ceux qui ne le connaissent pas comme le Seigneur nous le demande, alors nous sommes tentés de passer notre temps sur des questions de pouvoir, de reconnaissance entre nous, et nous gérons tous les conflits qui vont avec.
Je veux aussi rappeler ici que la place de la vie consacrée masculine et féminine me semble déterminante pour une juste mise en œuvre du rapport laïcs-prêtres. Souvent, je constate que beaucoup ne comprenne plus la nature de la vie consacrée, qui est réduite à une grande générosité et donc ne la suscite pas. Dans mon diocèse, tout le monde est heureux d’avoir des religieuses. Quand il y en a, je ne suis pas sûr qu’ils aient compris de quoi il s’agit.
Les personnes qui, par appel de Dieu et qui ont bien voulu y répondre, vivent le célibat pour le Royaume témoignent au milieu de nous que Dieu seul peut combler le cœur de l’homme et que nous sommes faits pour la vie éternelle. Par leur façon de vivre, elles nous rappellent la radicalité de l’appel à suivre le Christ, radicalité qui est pour tous. La présence du mystère de la vie consacrée nous est absolument nécessaire pour que les laïcs et ministres ordonnés dépassent la question de reconnaissance, de pouvoir, de place, pour ne chercher que Jésus.
Conclusion
Pour conclure ces humbles considérations, je vous dirai que le jeune évêque que je suis n’a que deux véritables préoccupations.
D’abord, comment faire pour que les chrétiens, les pratiquants que je rencontre tous les dimanches vivent réellement de leur baptême et de leur confirmation, et qu’ils se laissent transformer par la vie divine qu’ils ont reçue ?
Ensuite, comment annoncer l’évangile du salut aux hommes et femmes de notre temps qui ne le
connaissent pas ? C’est le cas de la large majorité des habitants de mon diocèse. Comment raviver la conscience missionnaire des fidèles laïcs, mais aussi parfois des prêtres ?
Monseigneur Yves Le Saux
Evêque du Mans
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1 Pierre Goursat, enregistrement, 1983.
2 Statuts de la Communauté de l’Emmanuel, n° 1 et 3.
3 Lumen gentium, n°31.
4 Jean-Paul II, Novo Millenio Ineunte, n°29.
5 1P 2, 9.
6 Ap 5, 10.
7 Jean-Paul II, Allocution aux participants de l’assemblée plénière de la congrégation du clergé, 2001.
8 LG, 10.
9 LG, 41.
10 LG, 40.
11 Jean-Paul II, Novo Millenio Ineunte, n°31.
12 Ibid, n° 30.
13 Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, n°20.
14 Jean-Paul II, Redemptoris missio, n°90.