« Le pape qui fit chuter Lénine », par Bernard Lecomte

Il y a 20 ans, le Mur… Jean-Paul II et la fin du communisme

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ROME, Mardi 17 novembre 2009 (ZENIT.org) – Le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin a mobilisé l’attention des médias, mais a-t-on compris les racines de cet événement qui a changé la face de l’Europe et du monde ?

Le rôle de Jean-Paul II dans cette aventure a été évoqué, mais pour percer les causes profondes de ces bouleversements, les Editions CLD rééditent – une édition enrichie et complétée – « Le pape qui fit chuter Lénine », le livre de Bernard Lecomte sur cette époque (diffusion : sodis). « Vouloir expliquer la fin du communisme sans rappeler l’action du pape polonais, franchement, ce serait une erreur historique … », déclare Bernard Lecomte.

L’auteur rappelle en effet ce propos de Mikhaïl Gorbatchev : 

«Tout ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait pas été possible sans la présence de ce pape». Et pour le dissident polonais qui a goûté aux geôles du général Jaruzelski, Adam Michnik (qui a ensuite pardonné et préfacé le livre du général !), «personne en Pologne n’a de doute sur le rôle essentiel du pape dans la chute du communisme».

Un fin connaisseur de Marx et du communisme

Le livre de Bernard Lecomte a cette vertu qu’il remonte à ce 16 octobre 1978 où les cardinaux ont choisi Karol Wojtyla, cardinal-arche­vêque de Cracovie, pour succéder à Jean-Paul Ier. Et il cite cette expression saisissante : pour le pape slave, le communisme n’est qu’une « parenthèse de l’Histoire », et il importe de ne pas se laisser entraîner par sa « logique ».

Selon Bernard Lecomte, le nouveau pape vise l’Ostpolitik, en tant que « dialogue trop inégal avec les régimes de l’Est », mais aussi « le pacifisme qui se développe dangereusement à l’Ouest, à l’époque », et « la théologie de la libération, qui lui apparaît comme une excessive concession faite au marxisme par le clergé sud-américain ».

Il fallait, souligne l’auteur « un homme qui fût à la fois un pasteur, un intellectuel et un militant, aussi fin connaisseur de la théorie marxiste que de la réalité communiste, pour peser avec autant de force, en toute conscience, sur le cours de l’affrontement Est-Ouest. L’histoire personnelle de Karol Wojtyla, qui a dit et répété qu’il était d’abord « fils de la nation polonaise », coïncide avec cette triple exigence ».

Le Christ et l’histoire de l’Homme

Il décrit les premières lueurs de ce processus de libération : « La première lézarde dans le Rideau de fer restera la spectaculaire tournée apostolique entreprise par Jean-Paul II en Pologne, en juin 1979. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, des millions de Polonais d’abord ébahis, puis enthousiastes, se rassemblent en toute liberté à Varsovie, Gniezno, Czestochowa, Cracovie, autour de cet homme en blanc aux homélies subversives, leur compatriote, qui s’exclame d’emblée, hors de toute censure : «Nul ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’Homme, en quelque partie du globe !»

Puis survient un événement déclencheur, sous le signe de la foi : « La tournure prise par les grèves de Gdansk, un an plus tard, sera la conséquence directe de cette extraordinaire visite. Aucun mouvement de contestation, à l’Est, ne s’était jamais inspiré du pape, voire de l’Evangile. Ni à Berlin-Est (1953), ni à Poznan (1956), ni à Budapest (1956), ni à Prague (1968), ni même à Gdansk et Gdynia (1970), ou à Ursus et Radom (1976), les soulèvements est-européens ne s’étaient jamais placés sous le signe de la foi. Et voilà qu’en août 1980, les ouvriers de la Baltique en grève accrochent le portrait de Jean Paul II sur les grilles du chantier Lénine, commencent chacune de leurs journées de lutte par une messe, baptisent leur syndicat libre Solidarité, tandis que leur leader, Lech Walesa, ne cesse d’affirmer que c’est sa foi qui le guide… »

Mais le soutien au syndicat polonais n’est pas le seul coup de boutoir à avoir ébranlé l’édifice : « Du soutien personnel – et déterminant – apporté à Solidarnosc lors du coup de force de Jaruzelski en Pologne (décembre 1981), jus­qu’à la défense acharnée des gréco-catholiques d’Ukraine lors du millénaire de la Russie (juin 1988), en passant par les mille et un encourage­ments donnés à toutes les communautés catholiques et à tous les dissidents – chrétiens ou non – du bloc communiste, le pape n’a cessé de répéter et de développer son mes­sage initial, qui a tant surpris les commentateurs: « N’ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ! A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques et politi­ques, les immenses domaines de la culture ! »

Défendre l’Homme contre le système

Bernard Lecomte souligne également l’expérience de résistance à l’oppression vécue par l’archevêque Wojtyla, ce qui a permis au pape ensuite de savoir soutenir les chrétiens persécutés : « Fort de son expérience personnelle d’évêque de Cracovie, le pape s’est appuyé sur une Eglise catholique dont la structure transcende, par nature, les frontières des Etats – contrairement aux Eglises protestantes, trop disséminées, et aux Eglises orthodoxes, prisonnières de leurs structures nationales. En Lituanie et en Ukraine occidentale, par exemple, de quel autre recours eussent disposé les chrétiens persécutés ? Qui mieux que ce pape « de leur région » pouvait porter témoignage de leur combat, de leur souffrance ? «Il n’y a plus d’Eglise du silence, puisqu’elle parle par ma voix», avait assuré le nouveau pape à Assise, quelques jours après son élection ».

L’auteur relève aussi cette pastorale qui passe par la nomination de pasteurs  – les Polonais Kowalczyk et Rakoczy, le Lituanien Backis, le Slovaque Tomko, le Tchèque Bukowski, le Hongrois Kada, le Roumain Crisan, l’Ukrainien Marusyn -, par les contacts avec les pèlerins de l’Est, et par l’action des media du Vatican. Radio Vatican émet en 16 langues est-européennes. L’Osservatore Romano en polonais publie, en octobre 1981, en plein Congrès de Solidarnosc, de l’encyclique « Laborem Exercens » plaidant pour les libertés syndicales et la dignité des travailleurs.

Voilà l’idée maîtresse – « subversive » – de l’enseignement du pape venu de loin : « Jean-Paul II s’est armé des valeurs de l’Evangile, articulées autour de la pri­mauté de l’Homme, la plus subversive des valeurs dans un régime qui entend bien le réduire à merci », estime l’auteur. Car « à l’époque où les différents courants de la dissidence est-européenne (KOR polonais, Charte 77 en Tchécoslovaquie, Comités «Helsinki» en URSS, etc) sont décapités les uns après les autres, le nouveau pape vient proposer à tous un «corpus» de valeurs qui va fédérer tous ces courants militants ou contestataires. Que ceux-ci mettent une majuscule quand ils défendent l’Homme contre le système, la Vérité contre le mensonge, l’Esprit contre la violence – ou qu’ils n’en mettent pas ».

Combat anti-totalitaire 

Bernard Lecomte diagnostique ce « combat anti-totalitaire » livré à la fois par « des non-croyants comme le Polonais Adam Michnik, le Tchèque Vaclav Havel ou le Soviétique Andreï Sakharov, et toute une nouvelle génération de chrétiens engagés : Jerzy Popieluszko et Tadeusz Mazowiecki (Pologne), Vaclav Maly et Augustin Navratil (Tchécoslovaquie), Doïna Cornea et Laszlo Tökes (Roumanie), Gleb Yakounine et Alexandre Ogorodnikov (Russie), Reiner Epelmann (RDA), Nijole Sadunaité (Lituanie), Simon Jubani (Albanie), et tant d’autres. Sans parler de certains hiérarques courageux, au premier rang desquels le cardinal-primat de Bohême, Frantisek Tomasek, que la fréquentation assidue de Jean-Paul II va faire passer dans le camp de la résistance ».

Et c’est la contagion : « C’est à travers ces hommes et
ces femmes, que le «virus» polonais va s’étendre à la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Lituanie, puis à l’ensemble du bloc de l’Est. Y compris en des terres peu «papistes» comme l’Allemagne de l’Est ou la Roumanie, où les manifs de l’automne 1989 prennent toutes naissance sur le parvis de temples protestants, de Leipzig à Timisoara ».

Ainsi, pour Bernard Lecomte, Jean-Paul II, est en avance sur l’intelligence de l’histoire qu’auront les dirigeants européens, car il a vu « la contradiction profonde dans laquelle se débat le chef du bloc communiste, Mikhaïl Gorbatchev : «Changer de système sans changer le système», résumera-t-il un jour à l’attention de son ami André Frossard ». Il cite en particulier les célébrations du millénaire du baptême de Saint Vladimir, à Moscou, en 1988, « lorsque le cardinal Agostino Casaroli négocie, pour la première fois, une rencontre au sommet entre les deux hommes. Cette rencontre historique aura lieu le 1er décembre 1989 – trois semaines après la chute du Mur ! »

Long pèlerinage vers la liberté

Le journaliste français y voit « l’apogée des bouleversements de l’Est de l’Europe » et il rappelle les étapes de la marche de cette fin de siècle: « Le 24 août, un chrétien ami du pape, Tadeusz Mazowiecki, est devenu Premier ministre de Pologne. Le 18 octobre, à Berlin-Est, Erich Honecker est tombé de son socle. Le 23 octobre, la Hongrie a rejeté son étiquette «socialiste». Le 9 novembre, le mur de Berlin s’est ouvert. Le 10 novembre, le dictateur bulgare, Todor Jivkov, a été destitué à son tour. Le 22 novembre s’est tenu le dernier Congrès du PC roumain, dans une atmosphère de fin de règne. Le 25, c’était le début de la «révolution de velours», à Prague, inaugurée par les cérémonies de canonisation d’Agnès de Bohême… »

Enfin, Jean-Paul II a proposé lui-même cette lecture des événements, le 13 janvier 1990, à Rome, dans son message annuel au corps diplomatique : « Varsovie, Moscou, Budapest, Berlin, Prague, Sofia et Bucarest » ont constitué « les étapes d’un long pèlerinage vers la liberté ». « Mais, fait observer Bernard Lecomte, déjà, dans le même discours, Jean-Paul II met en garde, de façon prémonitoire, contre les « nationalismes exacerbés ». Le pape sait déjà, mieux que quiconque, que l’après-communisme ne sera pas une partie de plaisir ».

Le livre de Bernard Lecomte ne se contente pas de raconter les événements – et c’est déjà très utile et passionnant de relire ces années décisives pour nous aujourd’hui – , mais il relève la conscience de la marche de l’histoire qu’avait Jean-Paul II, avec quelques longueurs d’avance.

Bernard Lecomte, 59 ans, diplômé de l’Ecole de Sciences Politiques et de l’Institut des Langues orientales, journaliste, spécialiste de l’Europe de l’Est et du Vatican, a été chef du service étranger à La Croix, grand reporter à L’Express puis rédacteur en chef du Figaro Magazine. Il a publié de nombreux livres dont une biographie de Jean-Paul II (Gallimard 2003) et en octobre 2009, « Pourquoi le pape a mauvaise presse » (éd. Desclée de Brouwer).

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ZENIT Staff

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