ROME, Vendredi 21 novembre 2008 (ZENIT.org) – Qu’est-ce que la santé ? Pourquoi une personne invalide ou atteinte de maladie incurable a parfois des réactions plus positives qu’une personne en bonne santé ? Comment le médecin doit-il se comporter face à la maladie ?
C’est à ces questions et à d’autres encore que le professeur Carlo Bellieni, directeur du Département de thérapie intensive néonatale à la Polyclinique universitaire « Le Scotte » de Sienne (Italie), et membre de l’Académie pontificale pour la vie, a tenté de répondre dans un entretien à ZENIT.
Le 19 novembre dernier, dans un éditorial publié par « L’Osservatore Romano », Carlo Bellieni estimait que la définition donnée au mot ‘santé’ par l’Organisation Mondiale de la Santé, à savoir que « la santé est un état de bien-être total, physique, mental et social », a fini par devenir bancale et insatisfaisante.
« Comme on le comprend bien, expliquait-il, cette définition risque de glisser dans une pure utopie, étant donné que personne ne peut se targuer d’avoir un tel niveau de bien-être, mais on risque aussi que tout état de bien-être non total finisse par être considéré comme une maladie. Cette définition porte à une série de conséquences dont nous payons encore aujourd’hui le prix ».
Parmi ces conséquences, Carlo Bellini cite l’apparition d’un marché des maladies, « la course à une véritable création de ‘nouvelles maladies’ pour vendre de nouveaux médicaments » ; la médicalisation du désir – selon laquelle « si tout peut devenir maladie, le médecin peut être appelé à satisfaire des demandes qu’il ne partage pas mais qui peuvent en plus nuire à la santé » ; et le découragement de tant de malades en quête d’une ‘vraie santé’, vu que la vraie santé est un « bien-être qui doit être total ».
ZENIT – Quelle approche positive et constructive peut-on donner au mot « santé » ?
C. Bellieni – Pour répondre essayons de penser à ce que nous éprouvons quand nous ne jouissons pas d’une bonne santé, que nous n’allons pas bien. Nous répondrions probablement que nous ne nous sentons pas bien quand nous sommes malades ; or nous savons tous que certaines maladies peuvent être présentes sans que nous le sachions, ou qu’il y a des personnes, porteuses d’un grave handicap qui sont d’excellents ténors ou jazzistes, ou de grands sportifs. Il faut donc chercher une autre manière de définir la santé.
Le plus simple serait peut-être d’essayer de comprendre que nous ne nous sentons « pas bien » dès l’instant où nous n’arrivons pas à faire ce que d’autres comme nous (même âge, même sexe, par exemple), parviennent à faire, ou alors quand nous ne parvenons plus à faire ce que nous n’avions aucun mal à faire jusqu’ici. En somme : le mot santé est lié au mot désir. La santé, c’est la possibilité que nos désirs se réalisent.
ZENIT – Tous nos désirs ?
C. Bellieni – Bien entendu pas les désirs qui sortent de l’ordinaire comme par exemple aller sur la lune (à moins que nous ne soyons des astronautes), ou courir un 100 mètres en 10 secondes (à moins que nous ne soyons en compétition pour une médaille olympique), mais les désirs quotidiens, ordinaires, de justice, de beauté et de paix ; et les désirs personnels, de faire ce que nous aimons faire. Bien sûr les désirs d’un enfant ne sont pas les mêmes que ceux d’une personne âgée, ceux d’un malade grave seront différents de celui qui n’a pas sa maladie ; mais la substance ne varie pas : la santé est la réalisation des désirs « propres » à l’âge ou à l’état de chaque individu. Autrement, on tomberait dans cette « médecine des désirs », qu’il serait d’ailleurs plus juste d’appeler « médecine des prétentions ».
ZENIT – Et pour un malade ?
C. Bellieni – Le malade, comme tout un chacun, a ses désirs. Le problème naît quand sa pathologie (parfois sans solution) l’empêche de voir ce qui est extérieur à son état. Là on assiste à un réel manque de santé : la perte du désir, assombrie par la pathologie. C’est pourquoi tout doit être fait pour conjurer la maladie, pour que le désir de la personne ne soit pas assombri. Comment nier que les athlètes invalides, par exemple ceux que nous avons vus aux Jeux paralympiques, accomplissent des gestes sportifs d’une qualité extraordinaire, signe, paradoxalement, d’une parfaite santé, d’un désir sain ? Ou que certains artistes très célèbres, malgré leurs handicaps, composent et chantent d’une manière si enviable aux yeux de tant de personnes dites « saines » ?
ZENIT – Mais certaines maladies sont extrêmement graves…
C. Bellieni – C’est vrai, mais c’est vrai aussi que tant de personnes très malades sont de beaux exemples d’espérance et de sérénité. Comment est-ce possible ? En pensant peut-être que la pire maladie ne peut avoir le dernier mot . Ce qui ne signifie pas sous-estimer les soins (que nous sommes encore plus tenus à fournir), mais valoriser la personne.
ZENIT – Donc la maladie ne peut être un obstacle absolu à la santé ?
C. Bellieni – Le penser serait ôter l’espérance à tant de malades. Au fond, le contraire de « santé » n’est pas la maladie, mais le désespoir, la perte du désir. La maladie est un obstacle à la santé dans la mesure où elle bloque la voie à la réalisation des désirs. C’est pourquoi elle doit être conjurée avec toutes les armes de la médecine et de la volonté. Mais le véritable ennemi de la santé est la perte du désir, la perte de l’espérance, le désespoir.
C’est ça le véritable ennemi dont les maladies ne sont que des antichambres. C’est pourquoi le mot d’ordre est « ne jamais abandonner » le malade, que ce soit au plan humain pour valoriser toutes ses capacités, qu’au plan médical (tant que la médecine a une possibilité d’être utile) : la médecine doit progresser et la société doit faire tous les efforts en son pouvoir pour rendre ce progrès accessible à tous et le plus rapidement possible.
Antonio Gaspari