ROME, Vendredi 24 octobre 2008 (ZENIT.org) – Des « biblistes » du synode se sont retrouvés dans une atmosphère « fraternelle, simple et détendue » souligne le P. Yves Simoens, jésuite, professeur ordinaire d’Ecriture sainte au Centre Sèvres, à Paris, et professeur invité à l’Institut biblique pontifical à Rome, que nous avons rencontré à l’occasion du centenaire du « Biblique » et du synode des évêques sur « la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise ».
Le P. Simoens est notamment l’auteur de nombreux livres sur l’évangile selon saint Jean, mais aussi le Cantique des Cantiques, l’Apocalypse, sur « Le corps souffrant » dans la Bible, sans compter des ouvrages en collaboration.
Il revient dans cet entretien sur l’enseignement du Concile Vatican II dans sa constitution dogmatique sur la Révélation divine, « Dei Verbum », et sur cette expression très employée au cours des débats du synode des évêques : l’Ecriture « âme » de la théologie.
Zenit – Père Simoens, à l’occasion du synode, vous avez participé à une réunion des « anciens » de l’Institut biblique pontifical, qui ont eu l’occasion de se retrouver dans ces murs où ils ont étudié !
P. Simoens – En effet, jeudi dernier, le 16 octobre, de 20 h à 22 h environ, une quarantaine des soixante-quatorze membres du synode à des titres divers, tous invités, certains empêchés, anciens élèves de l’Institut biblique y ont été reçus par la communauté jésuite actuelle, composée d’étudiants, de professeurs et de responsables des divers services de la maison comme de l’Institut, soit une bonne trentaine de personnes. L’atmosphère était fraternelle, simple et détendue. Tous donnaient l’impression d’être heureux de se rencontrer, de se retrouver pour un certain nombre, de faire connaissance et d’échanger sur toute sorte de sujets, notamment à propos de l’actualité du synode en matière biblique. Le nouveau recteur de l’Institut, le Père José-Maria Abrego, Espagnol, a souhaité la bienvenue aux invités et leur a rappelé qu’ils étaient chez eux à l’Institut. J’ai eu la joie de retrouver, après plusieurs années, Mgr Laurent Monsengwo, actuel archevêque de Kinshasa (Congo) et premier docteur africain en Ecriture Sainte du Biblique, secrétaire spécial du synode, toujours aussi accueillant et pénétrant, mais aussi l’abbé Matand, actuel recteur des facultés de Kinshasa que j’avais rencontré en 2006 aux Deuxièmes Journées Bibliques de Lubumbashi (Congo). J’y ai retrouvé aussi d’autres anciens compagnons d’étude, comme Mgr Carré d’Albi et le cardinal Turkson, de l’Ouganda, qui a conclu en remerciant le recteur et la communauté pour leur accueil, en exprimant sa reconnaissance pour ce qu’il avait reçu dans sa formation au Biblique et en nous encourageant à poursuivre le travail accompli. Nous fêtons, cette année 2008-2009, les cent ans du Biblique, qui donneront lieu à un certain nombre de manifestations.
Zenit – Une expression de la constitution dogmatique du concile Vatican II sur la Révélation divine, « Dei Verbum », est revenue dans différentes interventions au synode : l’Ecriture doit être comme « l’âme » de la théologie. Quelle est l’origine de cette expression ?
P. Simoens – Elle est en effet citée au n° 24 de la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine du concile Vatican II : « Que l’étude de la Sainte Ecriture soit (…) pour la sacrée théologie comme son âme ». Les textes de référence en bas de pages sont les encycliques Providentissimus Deus de Léon XIII (1893) et Spiritus Paraclitus de Benoît XV (1920). Elle semble empruntée à l’oeuvre du Père Cornely, s.j., Historica et critica introductio in Utriusque Testamenti libros sacros (Introduction historique et critique aux livres sacrés de l’un et l’autre Testament), Paris 1885, deuxième édition 1894, premier volume d’un monumental Cursus Scripturae Sacrae (Cours d’Ecriture Sainte), publié à la même époque. Le Père Cornely avait été invité à enseigner l’Ecriture à Rome en 1879.
Une étude du Père José Maria Lera, s.j., parue dans Miscelanea Comilias 41 (1983) 409-422, a rappelé que l’expression remonte au décret 15 de la XIII° congrégation générale de la Compagnie de Jésus de 1687. Ce décret faisait partie de la nouvelle Ratio studiorum (Organisation des études) de la Compagnie, suite à une demande exprimée par les Belges en faveur d’une étude plus approfondie de la Bible dans le contexte de la critique biblique de Spinoza (1632-1677) et de Richard Simon (1618-1712). L’idée surgit pour essayer d’enrayer une trop grande aridité des spéculations théologiques et pour parer au rationalisme de la critique biblique. Ce n’est donc vraiment pas une nouveauté. Mais il a fallu attendre Vatican II pour que cette expression prenne davantage droit de cité dans la Tradition catholique. Elle marque un tournant en particulier dans la relation à la Réforme, en essayant d’en honorer ce qu’elle porte en elle de plus légitime par rapport à l’Ecriture Sainte.
Zenit – Dans quel sens cette expression est-elle employée dans « Dei Verbum » ? Est-ce une « révolution » ?
P. Simoens – Elle exprime en effet un souci de mieux articuler la théologie, le discours sur Dieu, à son discours premier, comme disait le Père Paul Beauchamp, qui est l’Ecriture Sainte. Les travaux du cardinal de Lubac ont montré que la naissance du christianisme procède du rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament pour produire un acte d’interprétation théologique de l’Ecriture à renouveler sans cesse, compte tenu de l’histoire du monde, de l’Eglise, des idées, de la culture. Ce n’est jamais acquis. Le risque renaît sans cesse de développer une théologie conceptuelle qui s’affranchit de sa source : la Parole de Dieu. C’est une tâche exigeante, certes, parce que les problèmes et les questions sont nombreux et complexes, tant pour le Nouveau que pour l’Ancien Testament. Mais c’est une condition de vie ou de mort de toute théologie et de toute spiritualité en christianisme.
Je dis volontiers pour ma part que le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament est la naissance du Christ dans le croyant qui se laisse pénétrer l’esprit, l’âme et le coeur par cette Parole divine et humaine tout à la fois. Les Pères conciliaires l’avaient bien perçu à un moment crucial de l’Eglise et du monde. Beaucoup de travail a été fait en ce sens depuis. Mais les urgences de l’éthique en matière biomédicale par exemple, ou celle de la dogmatique en matière de dialogue interreligieux ont souvent pris le pas depuis le Concile sur ce « retour à l’Ecriture » qui n’a pas encore produit tous les fruits que l’on est en droit d’en attendre. L’inculturation de la foi dans d’autres parties du monde passe nécessairement par l’inculturation de la Parole de Dieu, comme le montre l’effort gigantesque déployé pour la traduire dans le plus grand nombre de langues possible.
Zenit – « Dei Verbum » traite donc notamment du rapport entre Ecriture et Tradition, qu’en est-il du rapport entre l’Un et l’Autre Testament ?
P. Simoens – Le Concile avec la Tradition insiste sur la nécessité, pour comprendre l’Ecriture comme Parole de Dieu adressée à chacun et chacune aujourd’hui, de la lire et de la relire dans son ensemble. C’est la Bible comme constituée
du rapport intrinsèque entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui est inspirée et qui a donc encore aujourd’hui quelque chance d’inspirer ses lecteurs ou ses auditeurs. Or il faut bien reconnaître qu’avec la spécialisation des disciplines à l’heure actuelle, cette unité de la Bible peine à être perçue. Combien d’homélies, dans les paroisses, ne portent-elles jamais que sur les textes du Nouveau Testament ? Dans sa désignation même, le Nouveau est pourtant incompréhensible sans l’Ancien. Le lectionnaire a été conçu de telle sorte que le rapport entre les textes proposés pour l’Ancien et le Nouveau Testament fassent sens et nourrissent la réflexion autant que la prière des chrétiens. Dei Verbum favorise le sens de cette unité de la Bible, le document préparatoire au synode aussi. Mais de là à faire vraiment rejoindre la pratique avec les orientations théoriques, il y a de la marge !
Zenit – Une tension est apparue à un moment au synode entre lecture exégétique et lecture spirituelle de l’Ecriture sainte. Vous-même vous êtes exégète, mais vous prêchez aussi des retraites : comment ces deux pôles peuvent-ils s’équilibrer ?
(à suivre)
Propos recueillis par Anita S. Bourdin