ROME, Vendredi 3 octobre 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 5 octobre proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 21, 33-43
Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le moment de la vendange, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de la vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais ils furent traités de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘Ils respecteront mon fils.’ Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, nous aurons l’héritage !’ Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien, quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons, qui en remettront le produit en temps voulu. »
Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre angulaire.
C’est là l’oeuvre du Seigneur,
une merveille sous nos yeux !
Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit.
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Le royaume de Dieu vous sera enlevé
Le contexte immédiat de la parabole des vignerons homicides concerne la relation entre Dieu et le peuple d’Israël. C’est d’abord et historiquement au peuple d’Israël que Dieu a envoyé les prophètes puis son propre Fils. Mais comme toutes les paraboles de Jésus, cette parabole est une « histoire ouverte ». Dans la relation entre Dieu et Israël est tracée l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité tout entière.
Jésus reprend et poursuit la lamentation de Dieu dans Isaïe, de la première lecture. C’est là qu’il faut chercher la clé de lecture et le ton de la parabole. Pourquoi Dieu a-t-il « planté une vigne » et quels sont « les fruits » que l’on attend et qu’en son temps il vient chercher ? Ici, la parabole se détache de la réalité. Les vignerons humains ne plantent certes pas une vigne et n’en prennent pas soin par amour pour cette vigne, mais pour le bénéfice que celle-ci rapporte. Dieu ne fonctionne pas ainsi. Il crée l’homme, entre dans une alliance avec lui, non pas pour son propre intérêt mais au bénéfice de l’homme, par pur amour. Les fruits que l’on attend de l’homme sont l’amour envers lui et la justice envers les opprimés : des choses, qui, toutes, concourent au bien de l’homme et non de Dieu.
Cette parabole de Jésus est terriblement actuelle si on l’applique à notre Europe et au monde chrétien en général. Dans ce cas aussi il faut dire que Jésus a été « jeté hors de la vigne », expulsé par une culture qui se proclame post-chrétienne, ou même anti-chrétienne. Les paroles des vignerons résonnent – peut-être pas à travers des paroles mais à travers les faits – dans notre société sécularisée : « Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, nous aurons l’héritage ».
On ne veut plus entendre parler de racines chrétiennes de l’Europe, de patrimoine chrétien. L’homme sécularisé veut être lui-même l’héritier, le patron. Sartre met ces terribles déclarations dans la bouche d’un de ses personnages : « Il n’y a plus rien eu au ciel, ni Bien, ni Mal, ni personne pour me donner des ordres. […] Je suis un homme et chaque homme doit inventer son chemin ».
L’exemple que je viens de donner est un peu une application « à grande échelle » de la parabole. Mais les paraboles du Christ ont presque tout le temps aussi une application à une échelle plus réduite, ou au niveau individuel : elles s’appliquent à toute personne individuelle et pas seulement à l’humanité ou à la chrétienté en général. Nous sommes invités à nous demander : quel sort ai-je réservé, moi, au Christ dans ma vie ? Comment est-ce que je réponds à l’amour incompréhensible de Dieu pour moi ? Ne l’ai-je pas par hasard moi aussi jeté hors des murs de ma maison, de ma vie… c’est-à-dire oublié, ignoré ?
Je me souviens qu’un jour j’écoutais, assez distraitement, cette parabole au cours d’une messe. Au moment où le patron de la vigne se dit : « Ils respecteront mon fils », je sursautais. Je compris que ces paroles s’adressaient directement à moi, à ce moment-là. Le Père céleste était sur le point de m’envoyer son Fils dans le sacrement de son corps et de son sang ; avais-je conscience de la grandeur de ce moment ? Etais-je prêt à l’accueillir avec respect, comme le Père s’y attendait ? Ces paroles m’arrachèrent brusquement à mes pensées…
Il y a un sentiment de regret, de désillusion, dans la parabole des vignerons homicides. On ne dirait vraiment pas une histoire qui finit bien ! Mais si on la lit en profondeur, on se rend compte qu’elle ne parle que de l’amour incroyable de Dieu pour son peuple et pour chaque créature. Un amour qui à la fin, même à travers les moments alternatifs d’égarement et de retour, sera toujours victorieux et aura le dernier mot.
Les rejets de Dieu ne sont jamais définitifs, ce sont des abandons pédagogiques. Même le rejet d’Israël qui transparaît à mots couverts dans les paroles du Christ : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit », en fait partie, de même que celui qui est décrit par Isaïe dans la première lecture. Nous avons vu, du reste, que ce danger plane aussi sur la chrétienté, ou au moins sur de larges parties de cette chrétienté.
Saint Paul écrit dans la Lettre aux Romains : « Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Non, bien sûr ! J’en suis moi-même une preuve : je suis fils d’Israël, de la descendance d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a pas rejeté son peuple, que depuis toujours il a connu… Israël a-t-il trébuché pour ne plus se relever ? Non, bien sûr ! Mais c’est à sa faute que les païens doivent le salut ; Dieu voulait le rendre jaloux…Si en effet le monde a été réconcilié avec Dieu quand ils ont été mis à l’écart, qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ? Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts ! » (Rm 11, 1 ss).
La semaine dernière, le 29 septembre, nos frères juifs ont célébré peut-être leur plus grande fête, qu’ils appellent Rosh Ha-shanà. Je voudrais saisir cette occasion pour leur faire parvenir mes meilleurs vœux de paix et de prospérité. Avec l’Apôtre Paul je proclame à mon tour : « Paix à tout l’Israël de Dieu ».