Rencontre avec Jacques Fontaine, l’initiateur de la Bible sur le terrain

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Par Agnès Staes

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ROME, Vendredi 18 juillet 2008 (ZENIT.org) – A l’occasion du 60e anniversaire de l’ordination sacerdotale du P. Jacques Fontaine, dominicain français, ce 18 juillet 2008, Agnès Staes propose, dans les colonnes de « Un écho d’Israël », cette rencontre avec l’initiateur de la fameuse « Bible sur le terrain » (BST). « Tanti auguri, Père Jacques ! », comme disent les Romains.

Chaque semaine, en effet, Agnès Staes a ce qu’elle appelle « la chance de lire avec une ou deux autres personnes la Bible en hébreu avec le père Jacques Fontaine, dominicain ».

Il s’agit d’une lecture suivie, à haute voix, qui permet d’entendre la « musique » du texte, ce qui forme l’ « oreille » et donne l’intuition de ce dont il s’agit, avant même parfois de pouvoir traduire mot à mot. Les étudiants passés à Jérusalem qui ont eu ce même privilège ne souhaitent qu’une chose : transmettre à leur tour cette façon unique de lire l’Ecriture Sainte.

Né à Roubaix il y a 86 ans, le P. Fontaine est une figure bien connue à Jérusalem. Il a plusieurs cordes à son arc.

« J’ai rejoint les 4 premiers à Jaffa » confie-t-il à Agnès Staes, « c’était Yohanan Elihaï, Jean Roger (mort en 1979), Joseph Stiassny (mort en 2007) et Bruno Hussar (mort en 1996). Nous sommes montés ensemble à Jérusalem. Nous nous sommes installés chez les Lazaristes, rue Agron. » C’était en 1960.

Ainsi, il a participé à la fondation de la maison Saint-Isaïe et fut le premier compagnon du père Bruno Hussar, également dominicain, qui fonda par la suite Nevé Shalom. Deux ans plus tard, le père Marcel Dubois, dominicain lui aussi (mort en 2007), les rejoignit ; c’est lui qui aida le père Jacques, qui avait été très malade en France, à trouver sa place. Le trio souhaitait « assurer une présence chrétienne dans le milieu israélien, aider les catholiques de langue hébraïque et commencer des études juives ».

Le père Jacques étudia l’hébreu dans un oulpan – école d’hébreu pour les nouveaux immigrés – , fréquenta l’université hébraïque. Après la guerre des Six jours, il fit l’École des guides, puis commença à explorer le pays, la Bible en main. Par la suite, son emploi du temps se répartit en deux temps : l’été, il était sur la route, d’abord avec une jeep à huit places, puis deux et trois jeeps, et avec l’évolution du pays, de la demande… ce sera en bus. Ce sera l’initiative de « la Bible sur le terrain » qui prendra naissance. L’hiver, avec un petit groupe qui pouvait compter jusqu’à 10 personnes, c’était la lecture de la Bible en hébreu, 5 heures par jour, avec une liturgie associée. « A force de répétition dit-il régulièrement, le vocabulaire entre et on se met à penser comme la Bible ».

Le sigle « BST » résumait les deux : « Bible sur le terrain » en été et « Bible sous terre » en hiver. Il fit avec Abouna Schmueloff, né à Méa Shéarim et devenu curé melkite de Jish (Gush Halav), un enregistrement de toute la Bible en hébreu, ce qui permet aux gens de l’entendre (l’écouter) et de se la mettre dans l’oreille. Ces cassettes ont fait le tour du monde !

Après plus de 40 ans avec le P. Fontaine, cette expérience de la « Bible sur le terrain », la BST, continue aujourd’hui avec l’aide du diocèse de Paris, notamment le P. Henri de Villefranche et le P. Michel Gueguen. Mais laissons le P. Jacques nous en parler.

Agnès Staes – Père Jacques, quelle a été votre intuition pour fonder la Bible sur le terrain ?

P. Jacques Fontaine – Je n’étais pas capable comme Marcel de faire de la philosophie, alors je me suis lancé dans la Bible. Marcel est parti enseigner la philosophie à l’université, Bruno a fondé Neve Shalom et moi j’ai fait l’école des guides. J’ai même reçu le 2ème prix de Teddy Kollek à l’école des guides ! Assez rapidement j’en ai eu marre des programmes des agences. Avec la maison St Isaïe, nous avions une certaine autonomie.

Agnès Staes – « La terre sainte est plus intéressante que les lieux saints », c’est un peu votre adage ?

P. Jacques Fontaine – Oui, dans les lieux saints, les gens qui arrivent pour la première fois sont un peu paralysés par d’autres choses que l’essentiel : les vêtements (couleurs, formes des chapeaux), les bougies, les heures où certains hurlent pour faire connaître qu’ils sont bien là. Alors j’ai repris l’idée des pères de l’Eglise : revenir à la Bible. C’est la Terre Sainte qui est intéressante.

Agnès Staes – Comment avez-vous pensé à la Bible sur le terrain ?

P. Jacques Fontaine – C’est un parcours qui s’est fait à force de répétition. Après la guerre des Six jours, nous étions comme dans l’euphorie. Avec la jeep nous pouvions circuler depuis Sharm el Cheikh jusqu’à l’Hermon en passant par la Judée-Samarie par des pistes non macadamisées. J’ai commencé avec Jacques Bernard, un bon mécanicien, dans la jeep, et nous lisions les textes proposés par les lieux. Petit à petit s’est mis en place une visite de la Terre sainte qui retrace la pédagogie divine. Dieu prend les hommes où ils en sont et les fait cheminer jusqu’à la plénitude des temps. On se joint au cortège que nous raconte l’épître aux Hébreux. C’est la procession des croyants depuis Abraham… qui se mettent en route par la foi vers la cité dont Dieu est l’architecte et le fondateur.

Au début, je faisais 4 circuits par an, en jeep d’abord. Puis les frontières se rétrécissant, les circuits ont été conçus avec de plus en plus de marche. Je voulais aussi que ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent puissent aussi y participer, nous logions à la belle étoile, entre Pâques et Soukkot la pluie est inexistante ici.

Agnès Staes – Comment avez-vous trouvé votre pédagogie ?

P. Jacques Fontaine – Pour moi, il y avait une triple progression. La première était la découverte du pays, de la géographie. C’est un si petit pays avec tellement de contraste. Si vous allez de l’Hermon où en mai, juin vous pouvez encore trouver de la neige, à la Méditerranée, en passant par la mer Morte, le lieu le plus bas du monde, en traversant le désert puis la Galilée, que de diversité !

La seconde progression est l’histoire sainte expérimentée. Mon but était de faire expérimenter aux gens que l’histoire sainte (ce qu’on appelle l’Economie du salut) est notre propre histoire. Au nom du Père était dans le désert, au nom du Fils en Galilée et au nom du Saint Esprit à Jérusalem. Tout se concentre à Jérusalem pour rejaillir sur l’universel.

La troisième progression est celle d’un groupe qui se laisse recréer par la Parole de Dieu. Au cours des jours qui passent, les partages devenaient de plus en plus riches, chacun étant appelé à s’exprimer. Bien souvent, même après, les groupes continuaient de cheminer ensemble, de vivre leur expérience au rythme de la liturgie.

Agnès Staes – Qu’est ce qui était essentiel pour vous ?

P. Jacques Fontaine – La découverte du pays nous amenait de la mer Rouge au mont Hermon dans la Bible. Deux montagnes où se passe une théophanie sont essentielles : la théophanie au Sinaï, et celle de la Transfiguration. Sur ces deux montagnes, la Parole retentit et ça rebondit à Jérusalem, lieu que Dieu a choisi pour faire habiter son Nom.

On lisait l’histoire sainte dans son ensemble. Grâce au père Congar qui m’a fait connaître le théologien O.Cullman, j’ai découvert une chose qui me parait essentielle. L’histoire sainte est comparable au cœur humain qui fonctionne par systole et diastole. Toute l’humanité se désagrège et après cela se contracte. Je vous explique : au retour de Babylone, ça se rétrécit, on ne parle plus que de la tribu d
e Juda, et cela se concentre à Jérusalem. Deux titres prophétiques vont apparaître, le serviteur d’Isaïe en particulier le serviteur souffrant d’Is 52.13-53.12 et le Fils de l’homme dans Dn 6-7. On ne sait pas trop si c’est une collectivité ou une personnalité. Jésus s’est approprié ces deux noms. Tout se contracte en la personne de Jésus qui concentre en sa personne la nature divine et la nature humaine. A partir de Jésus se déclenche la diastole, c’est très important pour notre foi chrétienne, le voile se déchire quand le Christ meurt sur la croix. L’épître aux Hébreux s’étend là-dessus. Jésus obtient le pardon des péchés, non comme le Grand Prêtre qui devait revenir chaque année, mais une fois pour toute. Jésus est le point de départ d’une nouvelle création. Cela se déclenche à la Pentecôte : tout est à vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu. C’est l’étape de la diastole : le monde se récapitule, tout se récapitule dans le Christ qui accomplit les Ecritures au centre de l’histoire. Se déclenche alors la prédication des Ecritures : celui que vous avez transpercé, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins. Ceux qui croient sont incorporés au Christ par le baptême dans le corps mystique du Christ qui s’étend jusqu’à la plénitude des temps.

Agnès Staes – C’est presque un cours de théologie que vous nous faites ?

P. Jacques Fontaine – En fait, le pèlerinage progressait dans la prise de conscience de cela. En 15 jours, la proximité avec la Parole, l’histoire sainte, et notre appartenance à cette histoire, recentraient la vie de chacun. Chaque jour se construit sur le précédent et prépare le suivant jusqu’à ce qu’on arrive à ce gros point d’interrogation, c’est-à-dire à la cuvette de Jérusalem où des montagnes l’entourent. Là on attend quelque chose qui ne peut que descendre du ciel. On se réunit alors dans la contemplation d’un mystère et d’une attente. Tout cela est inscrit dans le paysage. On s’intéresse au mystère de Jérusalem, on communie dans ce mystère de l’attente. La Promenade (Hass Sherover), d’où l’on a une vue panoramique de la ville de David, du Temple et du Mont des Oliviers, mériterait de devenir un lieu saint pour tout le monde.

C’est ainsi que l’on découvre le dessein de Dieu qui est notre histoire, notre histoire personnelle et l’histoire de l’Eglise.

Après cela, on partait de Jérusalem sans jamais la quitter. Les gens avaient découvert que cette histoire était la leur, ils avaient trouvé des compagnons de route, David, Jérémie, Zacharie … et avec eux ils s’acheminaient vers la cité dont Dieu est le fondateur et l’architecte.

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ZENIT Staff

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