ROME, Vendredi 6 juin 2008 (ZENIT.org) - « J'ai reçu un accueil inattendu, impensable il y a encore un an. Le patriarche de l'Eglise orthodoxe russe m'a remis un message de remerciements pour le pape en réponse au message envoyé par Benoît XVI, ainsi qu'un cadeau pour lui », a affirmé le cardinal Kasper dans un entretien à L'Osservatore Romano, au retour de son voyage en Russie (21-30 mai).

Nous publions ci-dessous le texte de cet entretien du président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens.

Q - Ces gestes peuvent-ils être considérés comme des signes de détente, et même d'ouverture à l'égard de l'Eglise catholique ?

Card. Kasper - Ce qui devait être une rencontre privée à l'invitation de Son Eminence Cyril, métropolite de Smolensk et Kaliningrad, président du Département pour les affaires étrangères ecclésiales du Patriarcat de Moscou, s'est transformée en une visite semi-officielle à l'Eglise orthodoxe russe, dont la tradition et la richesse spirituelle est très proche de celle de l'Eglise catholique. Ce voyage a ainsi permis d'approfondir le dialogue entamé il y a plusieurs années.

Q - Qu'est-ce qui a changé - si quelque chose a changé - dans l'attitude à l'égard de l'Eglise catholique ?

Card. Kasper - Beaucoup de choses ont changé en mieux, il n'y a pas de doute. Les orthodoxes sont à la recherche d'une coopération sur les valeurs chrétiennes, sur les racines communes de l'Europe, sur le témoignage moral, sur des sujets comme la famille, la bioéthique et les droits de l'homme, qui constituent une priorité absolue. Sur ce front, nous avons des positions très similaires. C'est le patriarche Alexis II lui-même qui a insisté sur ce point, en se disant convaincu de la nécessité du dialogue orthodoxes-catholiques et en répétant que les positions des deux Eglises coïncident sur de nombreuses questions du monde contemporain. Enfin, il a exprimé l'espoir que ce dialogue favorise le développement futur des contacts entre les deux Eglises. De plus, le nouvel archevêque catholique de la Mère de Dieu à Moscou, Mgr Paolo Pezzi, est très apprécié et il existe une grande estime pour Benoît XVI : tous lui font confiance, aussi peut-on espérer que les portes s'ouvrent, même si la route est encore longue.

Q - La rencontre avec les jeunes de l'université orthodoxe Saint Tikhon de Moscou a-t-elle permis d'imaginer ce que pourraient être les bases d'un dialogue renouvelé entre catholiques et orthodoxes ?

Card. Kasper - Il faut se rappeler les milliers de martyrs - évêques, prêtres, religieux et religieuses - qui ont subi de dures persécutions, au point que les orthodoxes eux-mêmes parlent du Golgotha du vingtième siècle. Et il faut aussi miser sur les nouvelles générations. Dans cette Eglise, on porte une attention nouvelle à la pastorale pour les jeunes. Des catéchèses dominicales sont organisées, des œuvres sociales sont mises en place, ainsi que des consultations contre l'avortement.

Pour moi, qui ai été professeur, cela a été l'occasion de rencontrer les universitaires qui de manière aimable et courtoise, se sont montrés bien informés sur la réalité de notre Eglise et intéressés à en savoir plus. Ils ont ouvert un site Internet très riche pour l'approfondissement des contenus des livres théologiques de l'Eglise catholique. Les traductions de ces livres connaissent un certains succès. Ils organisent des congrès et des symposium entre Eglises.

Q - N'y a-t-il pas pourtant des déclarations qui circulent à propos d'une certaine hostilité à la prière commune avec les non-orthodoxes ?

Card. Kasper - J'ai demandé des éclaircissements à ce sujet. On m'a répondu qu'il s'agissait d'un malentendu, parce que cet aspect ne concerne pas les catholiques. Les Russes veulent au contraire continuer à prier avec nous. Ils m'ont demandé à plusieurs occasions de bénir les repas ; j'ai participé à leurs liturgies et vice-versa.

Q - L'impression est pourtant qu'il reste encore des obstacles à franchir. Quels sont les obstacles les plus immédiats ?

Card. Kasper - Il y a avant tout la question du primat de Pierre : l'Eglise orthodoxe a mis sur pied une sous-commission pour l'étudier. J'ai fait remarquer que cela pourrait nuire au document de Ravenne, où pour la première fois on a parlé d'un primat au niveau universel, en reconnaissant qu'il appartient par tradition à l'évêque de Rome. Les orthodoxes m'ont cependant assuré qu'il s'agit d'études sérieuses de fond et qu'elles ne sont qu'à leur début.

Ce qui semble plus important est en revanche la conduite du dialogue avec les autres Eglises orthodoxes. J'espère que l'on arrivera au plus vite à une clarification avec l'Eglise d'Estonie qui a une lecture différente de l'histoire. La solution doit être trouvée le plus rapidement possible, sinon tout effort est vain, car si les Russes ne participent pas, il sera difficile, sinon impossible, de poursuivre le dialogue.

Q - Les fidèles russes orthodoxes, les gens ordinaires, sont-ils prêts ?

Card. Kasper -</b> La rencontre entre des théologiens, des évêques et des experts n'est pas suffisante ; il est de toute première importance de réunir les peuples. On peut préparer l'unité, mais pas l'organiser ; elle est un don de l'Esprit et nous ne pouvons que prier pour cette unité. L'Eglise peut être une unité dans la diversité, ou mieux, une diversité dans l'unité.

Q - Quels souvenirs personnels emportez-vous en revenant à Rome ?

Card. Kasper - Ils sont nombreux : chaque endroit visité m'a laissé une impression positive. Kazan a été une expérience émouvante : cette icône est restée une nuit entière dans ma chambre à Moscou quand je vins en 2004 pour l'apporter, après avoir été conservée dans l'appartement du pape. Elle est maintenant retournée chez elle et je suis convaincu qu'elle aura une importance fondamentale dans la réconciliation entre les chrétiens. De plus, dans cet endroit habité par des Tartares de religion musulmane, c'est un élément d'union également avec l'islam. Les gens l'appellent ici « l'icône du Vatican ».

Il y a ensuite le monastère de Diveevo dans la région de Nizhniy Novgorod, où on vénère saint Séraphin de Sarov, particulièrement apprécié du peuple russe. L'évêque m'a accueilli d'une manière inattendue, avec beaucoup de gentillesse, et les quatre cents religieuses présentes m'ont parlé de leurs vicissitudes. Mais j'ai surtout pu constater, par rapport aux années passées, que les églises et les monastères ont été restaurés avec beaucoup de soin. Les orthodoxes russes sont néanmoins conscients qu'il ne suffit pas de restaurer les murs : un renouveau spirituel est avant tout nécessaire.