Le supérieur des Jésuites explique pourquoi il a convoqué la Congrégation générale

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Entretien avec le p. Peter-Hans Kolvenbach, préposé général de la Compagnie

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ROME, Jeudi 27 juillet 2006 (ZENIT.org) – Le père Peter-Hans Kolvenbach, préposé général de la Compagnie de Jésus, a convoqué en février dernier une congrégation générale pour janvier 2008 au cours de laquelle devrait être élu son successeur.

Cette annonce avait créé la surprise car la charge de préposé général est une charge à vie. Au cours de cette réunion, les représentants des quelque 20.000 jésuites répartis dans le monde analyseront d’autres questions importantes pour la vie de la Compagnie.

Dans cet entretien accordé à Zenit, et que nous publions à quelques jours de la fête de saint Ignace de Loyola (31 juillet), fondateur des jésuites, qui coïncidera cette année avec le 450ème anniversaire de sa mort, le père Kolvenbach explique les raisons de cette décision.

Zenit : Quels éléments indiquaient que le moment était venu de convoquer une Congrégation générale ?

P. Kolvenbach : Saint Ignace n’était pas favorable à l’idée que dans la Compagnie, on convoque des Congrégations générales à échéances fixes. Il pensait que les préparatifs nécessaires pour convoquer une Congrégation générale et appeler à Rome un nombre important de jésuites du monde entier pouvait affecter le travail apostolique dans lequel ils étaient engagés. Il recommandait donc que l’on ne convoque une Congrégation générale que « pour des raisons de force majeure », lorsque les questions en jeu dépassent la capacité du gouvernement ordinaire de la Compagnie. En réalité il n’y a eu que 34 Congrégations générales au cours des 465 ans d’histoire de la Compagnie.

L’Eglise et la société actuelle font face à des problèmes qui exigent un examen attentif et qui engendre des réponses créatives. La mondialisation, l’émigration, les déplacements massifs, le relativisme, la sécularisation et bien d’autres défis encore, affectent tous les pays d’une manière ou d’une autre et imposent des changements importants dans la planification de notre apostolat. La Congrégation générale est l’instrument qui est mis à la disposition de la Compagnie pour trouver, avec la grâce de Dieu, le moyen de servir l’Eglise et le monde.

A cette raison très importante s’ajoute une raison à caractère personnel : le fait que je sois depuis de nombreuses années chargé du gouvernement de la Compagnie et qu’il soit opportun d’élire mon successeur.

Saint Ignace voyait des raisons valides dans le fait de recommander que la charge du supérieur général soit une charge à vie. Et on ne peut effectivement nier le fait que ceci comporte certains avantages. Mais cette décision de saint Ignace fut prise au XVIe siècle lorsque l’espérance de vie était beaucoup plus courte qu’aujourd’hui. Saint Ignace est mort à 65 ans (un âge plutôt avancé pour l’époque) après avoir été supérieur général pendant 15 ans. Ses deux successeurs immédiats (Diego Laínez et Francisco de Borja) moururent respectivement à 53 et 62 ans après avoir occupé le poste de supérieur général, tous deux pendant sept ans. Je suis quant à moi supérieur général depuis plus de 22 ans et si Dieu le veut, en 2008 je serai sur le point de fêter mes 80 ans dont 25 ans comme supérieur général. Ce sont des circonstances qui remettent légitimement en question le bien-fondé de mettre fin à une période aussi longue.

Zenit : Il y a eu des hauts et des bas dans les relations entre la Compagnie et le pape. Pourquoi ?

P. Kolvenbach : Dans le cadre de relations spéciales entre le pape et la Compagnie de Jésus (voulues et professées par les deux parties) il est compréhensible et humain que les circonstances historiques aient eu une influence sur le ton de ces relations. D’autre part, comme le disait si affectueusement Paul VI dans un discours émaillé d’allusions à certaines tendances qu’il constatait dans la Compagnie, les jésuites ont toujours été dans les tranchées, aux carrefours où l’on a débattu des problèmes qui n’ont pas toujours de solution claire. Il n’est pas étonnant que certains, pour servir l’Eglise, aient abandonné la sécurité des tranchées pour se lancer, à découvert, loin des démarcations orthodoxes, à la recherche de nouvelles réponses à de nouveaux problèmes. Le cas du père Mateo Ricci est éclairant. Profond connaisseur de la culture et de la mentalité chinoise, il s’efforça de montrer que la vénération des ancêtres n’était pas un culte idolâtre comme on le prétendait en occident mais une coutume sociale et familiale qui ne contredisait pas la foi chrétienne et ne justifiait pas que l’on refuse le baptême à ceux qui faisaient ainsi mémoire de leurs ancêtres. Cette position lui valut des critiques d’autres religieux et finalement la condamnation de Rome. Il est certain que cela ferma la porte à de nombreux convertis éventuels. Le père Ricci ne fut reconnu comme un pionnier dans la proclamation de l’Evangile et un précurseur de l’inculturation dans le travail missionnaire qu’au XXe siècle.

Tous les jésuites qui ont été remis en cause par Rome ne peuvent pas s’attribuer la préparation et la noblesse des intentions de Ricci, mais ils sont tout de même nombreux, ceux qui ont servi l’Eglise avec une fidélité et un dévouement qui n’ont été reconnus que longtemps après. Le père Teilhard de Chardin est peut-être l’un des cas les plus représentatifs…

Zenit : La vie spirituelle des jésuites est naturellement l’une de vos préoccupations, en tant que préposé général. Ce thème sera-t-il abordé lors de la Congrégation générale, et si oui, en quels termes ?

P. Kolvenbach : Lorsque nous avons examiné l’état de la Compagnie au cours de la réunion de tous les Supérieurs majeurs à Loyola, en décembre 2005, nous sommes arrivés à la conclusion que la santé spirituelle des jésuites était bonne. L’instrument pour mesurer la santé spirituelle des jésuites a toujours été et reste la consécration inconditionnelle à la mission. Aujourd’hui comme hier c’est la profonde identification personnelle avec le Seigneur, l’envoyé du Père, ce qui caractérise et définit la manière de procéder dans la Compagnie. Mais il s’agit de toutes façons d’un thème que la Congrégation générale traitera car le propre des jésuites est de ne jamais être satisfaits de ce qu’ils ont obtenu. Nous devons servir le Seigneur dans une société dans laquelle la pensée légère règne souveraine et tend à entraver un amour profond à Jésus-Christ et un don de soi inconditionnel à la mission. Il s’agit pour cette raison d’une question d’actualité permanente que la Congrégation générale souhaitera sans aucun doute aborder, même s’il est encore trop tôt pour s’aventurer à faire des spéculations sur l’ordre du jour de la Congrégation.

Zenit : Il y a de nombreuses institutions dans le monde, spécialement des universités aux Etats-Unis, dites des jésuites mais dans lesquelles la présence des jésuites est réduite. Voyez-vous une solution ?

P. Kolvenbach : Cette situation n’est pas nouvelle. Nous en avons déjà discuté et nous avons reconnu ensemble que cette conjoncture d’une présence réduite des jésuites nous a amenés à découvrir de nouvelles voies : l’incorporation des laïcs, hommes et femmes, dans nos œuvres en harmonie avec la splendide naissance de la conscience apostolique du peuple de Dieu « signe d’espérance authentique » comme l’a récemment qualifiée Benoît XVI. Nous croyons que le souhait des laïcs de prendre part activement à la mission de l’Eglise de proclamer le Royaume est une grâce de notre temps, inspirée par l’Esprit. La dernière Congrégation générale a exhorté les jésuites à être « des hommes pour les autres et des hommes avec les autres ». Il est vrai que la diminuti
on des vocations à la vie religieuse – également dans la Compagnie – a motivé la mise en place de cette coopération avec les laïcs que déjà la Congrégation générale de 1965 avait encouragée. Mais il ne s’agit pas tant d’essayer de pallier une carence que de nous ouvrir à une réalité apostolique latente dans l’Eglise.

La « solution » dont vous parlez est la collaboration dans nos œuvres avec des laïcs hommes et femmes, qui s’inspirent de la spiritualité ignatienne. Il existe d’ailleurs déjà des institutions jésuites dans lesquelles les postes de responsabilité sont confiés à des laïcs, hommes et femmes. Le nombre de jésuites physiquement présents dans ces institutions n’a pas d’importance particulière si nous pouvons compter sur des hommes et des femmes imprégnés de l’esprit ignatien de service à l’Eglise.

Zenit : La prochaine Congrégation examinera-t-elle une formule juridique pour intégrer les laïcs dans la Compagnie de Jésus ?

P. Kolvenbach : La dernière Congrégation générale a donné le feu vert pour que pendant dix ans, de manière expérimentale, les Provinces puissent établir des groupes d’associé(e)s unis par un accord contractuel sans que cela suppose l’intégration dans le corps de la Compagnie. Le caractère spécifique de leur vocation de laïcs est ainsi sauvegardé même lorsqu’ils participent au travail apostolique des jésuites. L’expérience de ces dernières années sera sans aucun doute soumise au discernement de la Congrégation générale.

Zenit : On célèbre actuellement l’année de saint François-Xavier et de saint Ignace. Qu’attendez-vous de ces célébrations ?

P. Kolvenbach : Le premier souhait évident est, que, par le fait de rappeler la mémoire des trois premiers compagnons (on ne doit pas oublier de rappeler le bienheureux Pierre Fabre aux côtés de saint Ignace et saint François), les jésuites revivent dans leur vie et dans leur apostolat les trois charismes qu’ils incarnent : rencontrer Dieu et s’unir à Lui à travers le travail pour tout conduire à sa plénitude comme le fit saint Ignace, proclamer l’Evangile avec passion comme saint François-Xavier et approfondir la vie spirituelle comme Pierre Fabre.

Zenit : Les priorités de la Compagnie sont l’option préférentielle pour les pauvres, la justice sociale, le dialogue interreligieux, les réfugiés, les monde de la culture et l’éducation… Existe-t-il un domaine nouveau dans lequel les jésuites souhaitent s’engager ?

P. Kolvenbach : Le pape nous a récemment rappelé (le 22 avril à l’occasion de la commémoration du Jubilé jésuite de 2006) ce que l’Eglise attend de la Compagnie, soulignant particulièrement les domaines de la philosophie et de la théologie traditionnellement cultivés par les jésuites. Comme préférences « géographiques » nous nous sentons appelés à contribuer de manière spécifique à l’évangélisation de l’Afrique et de la Chine. Mais il appartiendra à la future Congrégation générale de discerner si certaines situations du monde actuel comme la mondialisation, le dialogue culturel ou le relativisme par exemple, exigent un réajustement de notre engagement apostolique.

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ZENIT Staff

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