Le synode sur l’Eucharistie : un horizon pour accueillir l’Amour

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Le P. Alain Mattheeuws, sj, témoigne

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ROME, Lundi 30 janvier 2006 (ZENIT.org) – Professeur de Théologie morale et sacramentaire à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles, le P. Alain Mattheeuws, jésuite, a participé comme expert au synode sur l’Eucharistie. Nous l’avons interviewé longuement pour « revenir » sur l’expérience synodale et la réfléchir théologiquement. Voici la première partie de cet entretien.

Zenit : Les événements et les documents se suivent dans le monde et dans l’Eglise : pouvons-nous encore parler du Synode sur l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Pourquoi pas ? Nous ne devons pas nous laisser lier par une certaine « logique médiatique ». Par ailleurs, l’Eucharistie est de toujours. Elle est à la fois l’ordinaire et l’extraordinaire de la vie chrétienne. Elle est l’horizon de nos vies, de nos actions, de nos décisions. Peut-être est-elle une clé privilégiée pour lire et comprendre la première encyclique de Benoît XVI. Ce synode 2005 ne fut pas « spectaculaire » : c’est une chance pour mieux l’intérioriser ! Revenir avec un certain recul sur cet événement important peut être utile pour approfondir le « mystère pascal ». Garder en mémoire certains traits de cet événement ne peut que nous préparer à accueillir l’exhortation apostolique qui normalement conclut la démarche synodale. Nous sommes entre le commencement et la fin : nous sommes bien dans l’histoire de l’Eglise : allons-y !

Zenit : D’une façon générale, quelles sont vos impressions après avoir participé, de l’intérieur, à toutes les sessions d’un synode ? Quel(s) visage(s) d’Eglise se dégage(nt) d’une telle expérience ?

P. A. Mattheeuws : Je n’ai pas d’éléments de comparaison puisque, comme pour plus de la moitié des évêques et des experts, c’était notre première expérience synodale. Le nombre des participants était très élevé. J’ai été fort sensible aux soucis exprimés librement par ces évêques qui me sont apparus vraiment comme des pasteurs liés à leur peuple, à leur culture, à leur Eglise particulière. Cette particularité était comme un défi pour eux : il s’agissait non seulement d’apprendre à se connaître et à s’estimer, mais de faire l’effort de saisir les questions posées « ailleurs » dans l’Eglise par la célébration de l’Eucharistie. Dire que c’était un temps fort fraternel, c’est dire ce travail de prise de conscience des enjeux non seulement de sa région, mais de l’Eglise universelle. Les débats étaient ouverts, directs, dans le respect des différences parfois notables de théologie et d’options pastorales. A travers chaque participant, il y a un visage de l’Eglise. Mes impressions sont mélangées : l’Eglise me paraît jeune, dynamique, pleine d’élan sur la terre. Elle est aussi face à des défis redoutables, des inquiétudes, des impuissances incontournables : faim et soif de Dieu, faim et soif de justice, faim et soif d’une liturgie adaptée, faim et soif de serviteurs de l’Eucharistie.

Zenit : Quel est l’enjeu essentiel que vous avez perçu par rapport au thème choisi ?

P. A. Mattheeuws : Ce qui m’apparaît comme le mouvement le plus intérieur, profond et fort, des interventions et de la dynamique du Synode, c’est le désir de laisser l’Eucharistie être le mystère central de la foi. N’est-elle pas l’amour en acte ? Son signe « parfait » dans l’histoire ? Ainsi toute tentative d’instrumentaliser l’Eucharistie (en faire un instrument d’unité au lieu d’un fruit de l’unité par exemple), de l’idéologiser à gauche ou à droite, de la réduire à tel ou tel aspect fut « petit à petit » comme écarté, mis de côté même parfois maladroitement. Dans une analyse sociologique, certains ont parlé de recentrement, de réajustement. De fait, je crois percevoir, à travers des motivations bien différentes, parfois ambiguës, le désir de laisser Dieu être Dieu parmi nous (« Emmanuel ») pour en éprouver les conséquences et en vivre, même s’il faut renoncer à ses propres idées : le retour au latin, les règles, l’inculturation à outrance, les concepts théologiques.

Zenit : Comment caractérisez-vous une assemblée synodale ?

P. A. Mattheeuws : Une assemblée synodale est une assemblée très curieuse, à multiples visages : pas seulement à cause de l’origine des évêques, de leur âge et de leur culture, mais aussi parce qu’il y a une mosaïque d’expériences, de peurs et de désirs, de responsabilités diverses. Un président d’une conférence épiscopale ne parle pas seulement en son nom. Un évêque élu non plus. Les cardinaux sont déterminés le plus souvent par la tâche qui leur est confiée à Rome. Les Cardinaux qui ne résident pas à Rome, ont un souci réel et expérientiel de la composante universelle de l’Eglise. Dans ce synode, il y avait également les auditeurs qui avaient droit à la parole : leur témoignage et leurs interpellations étaient directs et forts. Les Eglises orientales étaient fort bien représentées : catholiques de rites variés, et non catholiques. Nos frères de la Réforme étaient aussi présents, mais peut-être plus discrets. Les experts quant à eux, assistaient à tout, mais ne pouvaient pas s’exprimer en assemblée plénière.

Zenit : Ainsi le poids des « autres Eglises » était-il important ?

P. A. Mattheeuws : Leur présence était clairement manifestée. L’écoute et le respect mutuel bien présents à travers un franchise de parole, un témoignage régulier des significations profondes des liturgies différentes, un désir et une recherche de ce qui pouvait réunir les chrétiens autour de Celui qui est à la source de tout Amour.

Zenit : Mais au fait pour vous qu’est-ce qu’un expert ? Qu’avez-vous fait ?

P. A. Mattheeuws : Le mot déroute un peu, car dans le domaine de la Révélation, le Seigneur a dit sa prédilection pour les simples et les petits et pas pour les savants. Le terme « latin » est plus explicite : adjutor. Celui qui aide. Avec sa compétence, l’expert est au service du secrétaire général et des secrétaires particuliers pour la correction des documents, la recherche de certaines références, la traduction en diverses langues, le discernement des enjeux. Il agit en connivence, en complicité fraternelle, en vérité pour ce qu’il comprend. Ce n’est normalement pas à lui à prendre l’initiative : il répond à une demande, il pose la ou les bonnes questions pour faire réfléchir un évêque ou un groupe d’évêques. Dans le groupe d’experts, rappelons aussi qu’ils ont pour la plupart des compétences très différentes : un latiniste, un moraliste, un liturgiste n’interviendront pas tous au même moment. Mais il est important pour tous qu’ils participent à la dynamique d’ensemble du Synode.

Zenit : Quel était votre rôle en tant qu’expert au sein du synode 2005 consacré à l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Les experts sont nommés par le pape et sont au service du secrétaire général du Synode. Il y a variété d’experts selon les langues et les compétences. Dans le déroulement du Synode, nous assistions à toutes les séances générales et étions témoins de toutes les interventions. Chacun de nous avait par ailleurs l’un ou l’autre thème à suivre pour mémoriser in vivo ce qui était dit, discuté, affirmé dans la grande aula. Le premier travail était donc un travail d’écoute et de discernement des enjeux pour les mettre en mémoire et permettre l’élaboration du deuxième rapport (relatio) du Cardinal A. Scola : synthèse des questions et des enjeux des interventions. Ce travail était vaste et austère.
Une autre phase pour chacun d’entre nous fut la participation aux circuli minores : sous-groupe linguistique de 15 évêques, deux ou trois experts, un ob
servateur, un frère séparé. Discussion thématique, échange informel, élaboration des propositions. Avec deux autres experts, j’étais dans un sous-groupe de haut niveau théologique, très ouvert, discutant de points fondamentaux avec des évêques de tous les continents. La parole nous était donnée facilement non seulement pour répondre à des questions mais même pour en susciter. Durant la phase des amendements et propositions, nous pouvions proposer à l’un des évêques de prendre en charge l’une ou l’autre de nos suggestions. Donc, travail dynamique, parfois en tensions puisque les problématiques culturelles et ecclésiales étaient fort diverses.
Ensuite, vient la phase des « propositions » où nous sommes invités à donner notre avis sur les « meilleures propositions », susciter des formules plus synthétiques, intégrer les modi (c’est-à-dire les amendements ou améliorations au texte). En un WE, il a fallu passer ainsi de 187 propositions aux 50 finales. En deux jours, il convenait d’intégrer ou pas plus de 500 modi. Rappelons cependant que ce sont les évêques qui font ce travail et prennent les décisions.

Zenit : N’est-ce pas étrange de faire appel à un théologien moraliste pour un synode qui concerne l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Je crois qu’il faut une variété de compétences et de sensibilités pour accompagner un tel événement ! Je dirais d’abord qu’en face du mystère de la Révélation, c’est d’abord la réflexion théologale qui est convoquée : tout le monde est interpellé au niveau de sa foi profonde et appelé ainsi à réagir avec tout son être. Intelligence, mémoire, volonté se conjoignent pour aider la liberté de chacun à s’engager dans une expérience ecclésiale. C’est ce que j’essaie de faire dans mon cours sur les « sacrements de l’initiation ». L’initiation chrétienne mène au Christ : qui « mange son corps et boit son sang » a tout reçu et peut tout donner. La morale surgit du don du Christ : elle est alliance de libertés. L’Eucharistie est au centre de la théologie morale. De nombreuses questions délicates y sont d’ailleurs présentes. Elles ne sont pas que cultuelles, mais s’articulent intimement avec la vie ordinaire des chrétiens et des hommes du monde entier. Gardons en mémoire la vérité de l’acte de communier au corps et au sang du Christ. Cette vérité est toujours « en conscience » un appel éthique pour chacun de nous.

Zenit : Au terme de cette année (2004-2005) consacrée à l’Eucharistie, quelles étaient les raisons et l’actualité du choix de ce thème ?

P. A. Mattheeuws : C’était à la fois une belle manière de conclure l’année que de rendre grâce ensemble pour ce grand mystère. C’était aussi une manière de partir en « mission » : l’Eucharistie finale, célébrée le dimanche de la mission universelle et marquée des cinq premières canonisations de Benoît XVI en fut une illustration.
L’actualité de ce thème me semble être la suivante : dans l’Eucharistie se cristallisent tous les enjeux, les défis, les divisions, les grâces de la vie ecclésiale. L’Eucharistie telle qu’elle est célébrée, réfléchie, vécue est un révélateur de ce que vit l’Eglise. Ainsi se vérifie encore l’adage théologique : lex orandi, lex credendi. Mais quelle est la clé herméneutique de cette règle et des principes traditionnels ? En quel sens l’Eglise fait-elle l’Eucharistie et réciproquement jusqu’à quel point l’Eucharistie fait-elle l’Eglise surtout pour les millions de chrétiens qui ne peuvent pas y participer régulièrement ? Ce retour au cœur du mystère pascal permet à chacun de mesurer comment il se laisse entraîner dans le mystère pascal, quels sont ses résistances, ses élans, ses grands désirs, ses peurs. Terminer l’année de l’Eucharistie par ce synode, c’est accepter de ne pas avoir sa propre idée sur l’Eucharistie mais l’approfondir en écoutant l’expérience spirituelle d’autres Eglises. Cet approfondissement n’aboutit pas nécessairement à de nouvelles doctrines, à un langage totalement renouvelé, mais à un désir de vivre en vérité de l’Eucharistie.

Zenit : De cette vision universelle que permet un synode, comment apparaît aujourd’hui la ou les pratique(s) de l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Dans les lieux où l’Eglise est persécutée ou minoritaire, les évêques témoignent de la force qu’est l’Eucharistie pour la vie personnelle et ecclésiale. Certains témoignages qui nous ont été offerts (Rwanda, Brésil, Russie, Chine) nous montrent une grande vitalité, un corps à corps direct et non légaliste avec le mystère pascal, une relation immédiate avec le Seigneur présent dans l’histoire humaine.
Il y a aussi des contrastes violents entre des Eglises particulières qui ont de grands désirs de se rassembler, qui ont faim de l’Eucharistie, qui y passent du temps et s’engagent culturellement et d’autres Eglises où les rassemblements sont plus difficiles, de même que les problématiques et les perspectives d’avenir. L’Occident se heurte frontalement aux conséquences de la sécularisation

Zenit : Il semble qu’on ait beaucoup insisté sur l’adoration eucharistique ?

P. A. Mattheeuws : De nombreuses interventions ont témoigné des grâces particulières offertes à travers l’adoration eucharistique. L’évêque de Lourdes a insisté sur le « signe » fort que représente cette forme de prière et de présence au Christ pour les nouvelles générations. Les témoignages issus des JMJ de Cologne allaient dans le même sens. Ce « corps à corps » avec le Seigneur en son mystère eucharistique nourrit le cœur, guérit de nombreuses blessures, ouvre l’homme sécularisé à son « être intérieur » auquel il n’a pas accès aisément. Pour certains, cette manière de prier occidentale est une pratique ancienne, pour d’autres une découverte. Des évêques ont insisté sur le lien avec l’acte eucharistique afin de ne pas oublier la source de cette présence. Dans la même ligne, d’autres ont mis l’accent sur ce qu’on appelle la « logike latreia », le culte spirituel dont parle saint Paul en Rm 12,1 : « offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ». Dans l’action eucharistique elle-même, nos libertés sont convoquées à nous donner entièrement au Seigneur trois fois saint. L’adoration se vit dans la célébration eucharistique elle-même.

Zenit : Quelles sont les grandes questions et les grands défis qui apparaissent d’un tel tour du globe ?

P. A. Mattheeuws : Elles sont nombreuses. En voici quelques-unes.

Comprendre l’articulation entre la Cène, la Pâque juive et le mémorial que nous en faisons dans nos célébrations eucharistiques.
Articuler avec justesse la vérité du Mystère pascal qui est à la fois banquet nuptial (irruption de l’éternité dans notre temps, ciel sur la terre) et sacrifice (participation gratuite au don que le Christ a fait de lui-même jusqu’à la mort et la résurrection).
Se mettre dans une dimension universelle, c.-à.-d. comprendre à partir de notre réalité personnelle la justesse de pratiques liturgiques différentes dans les divers lieux du patriarcat latin d’abord puis dans les célébrations d’autres rites.
Comprendre la vérité sacramentelle du célibat sacerdotal et la situer par rapport à la vocation au mariage.
Dans certaines Eglises, l’appréhension de ce qu’est le prêtre et surtout le presbyterium autour de l’évêque, doit être approfondie. Quand on parle de « ministres du sacrement », comprend-on la valeur de signe permanent qu’est tout prêtre dans une communauté ?
Situer les pratiques dévotionnelles avec justesse et rectitude en harmonie avec l’acte du Christ : processions, adoration, vénération des icônes. La perspective liturgique et l’importa
nce théologique du triduum pascal apparaissent déterminantes.
L’Eucharistie est source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise. C’est la place ordinaire de l’Eucharistie dans cette vie et cette mission qui doit être explicitée : spiritualité, « figure eucharistique » concrète, unification du cœur, vie de grâce.

Zenit : On dit que ce synode n’a pas abordé les points difficiles ?

[à suivre]

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ZENIT Staff

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