France : Derrière le « cas Vincent Humbert », des questions complexes

Par le Dr Xavier Mirabel

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ROME, Vendredi 13 janvier 2006 (ZENIT.org) – L’hebdomadaire français « France Catholique » publie, dans son édition du 13 janvier, un dossier sur le cas, en France, de Vincent Humbert. Nous publions l’analyse du docteur Xavier Mirabel, avec l’aimable autorisation de l’éditeur (cf. http://www.monde-catholique.com/forum/viewtopic.php?t=802).

« Questions d’éthique médicale »

Par le docteur Xavier Mirabel

Derrière le « cas Vincent Humbert », des questions finalement assez complexes se profilent, dont les soignants ne peuvent pas faire l’économie au quotidien, d’autant que la clé pour y répondre demeure largement ce qui se joue, dans leur conscience personnelle, en terme d’intention.

Le docteur Chaussoy est intervenu sur Vincent Humbert qu’il ne connaissait pas personnellement tout en étant conscient de la pression médiatique autour de son cas. L’administration d’une injection de chlorure de potassium à une personne est un acte qui tue en quelques secondes. Aucun soignant ne peut l’ignorer, encore moins un réanimateur par ailleurs habitué aux situations limites et au stress. Il ne peut s’agir que d’une euthanasie : « action ou omission ayant pour objectif de donner la mort dans l’intention de soulager toute souffrance ».

Lorsque le docteur Chaussoy prend en charge Vincent qui a reçu une première injection qui se voulait létale par Marie Humbert, le jeune homme était-il sur la voie de mourir inéluctablement ?

Si c’est le cas, la médecine sera impuissante pour le sauver et l’arrêt de ventilation qui a précédé la piqûre létale peut être légitime parce que considérée comme un traitement disproportionné. L’arrêt de ventilation peut alors être accepté comme un geste médical éthiquement juste. Dans cette situation, le médecin qui interrompt la ventilation doit mettre en œuvre des traitements de confort : soulagement de la douleur, de la sensation d’étouffement, etc. Dans cette hypothèse, le docteur Chaussoy n’a fait qu’un seul geste illégitime : l’injection létale. Celle-ci est d’ailleurs récusée par toute la déontologie médicale et par la communauté des réanimateurs et, heureusement, par la loi.

Si, à la suite de l’injection initiale de barbituriques par Marie Humbert, il était encore possible de sauver Vincent, alors l’arrêt de la ventilation ne peut plus être si facilement accepté. Il ne s’agit plus alors d’arrêter des soins à l’évidence disproportionnés. Il y a alors deux interprétations :
– Il peut s’agir de la prise en compte de la volonté supposée de Vincent de refuser cette réanimation (ce qui mérite d’être au moins examiné).
– Ou bien, l’arrêt de la ventilation pourrait résulter d’une volonté de céder à la pression de l’opinion publique, des médias et de la famille en faisant mourir le jeune homme. Il y aurait donc là une volonté euthanasique et le docteur Chaussoy aurait posé consécutivement deux gestes fatals sur Vincent.

En ce qui concerne la prise en charge préalable du jeune accidenté

Depuis plusieurs mois, on affirme que Vincent demande la mort et on sait que sa mère est tentée par un passage à l’acte qu’elle annonce même comme imminent en direct au journal de 20 heures de TF1. Un journaliste est intervenu à plusieurs reprises autour de Vincent et de sa famille. Des militants de l’ADMD se sont même rendus au chevet de Vincent pour cautionner sa « demande » au point que les soignants se sont progressivement sentis coupés de Vincent et de sa mère qui refusaient toute aide et proposition de vie. Dans une telle situation, que l’on soit soignant n’y change d’ailleurs rien, il y a devoir d’assistance à personne en danger. Toute personne ayant connaissance d’une telle situation doit mettre en place des mesures de sauvegarde qui, en certains cas, peuvent d’ailleurs aller jusqu’à alerter la justice.

Si, individuellement, chaque professionnel a témoigné d’un grand dévouement et d’une grande conscience pour tout tenter au chevet de Vincent et l’épauler pour qu’il retrouve un chemin de vie, collectivement, on peut s’interroger sur la faille d’un système qui n’a pu empêcher le passage à l’acte annoncé.

Si l’équipe dit avoir « baissé les bras », c’est une forme de désespérance face à l’intense pression extérieure et des proches de Vincent qui l’accusaient d’acharnement thérapeutique. Si elle est explicable, elle n’en est pas moins grave et lourde de conséquences. L’accusation pesant sur elle a été capable de paralyser l’équipe soignante qui, en d’autres circonstances, avait été capable d’obtenir une aide extérieure pour sortir d’une impasse comparable. C’est la justice qui est tout de même d’abord en cause puisque les soignants de Berck n’ont pas manqué d’alerter — en vain — le procureur de la République à propos des menaces qui pesaient publiquement sur la vie de Vincent.

En ce qui concerne la réanimation initiale de Vincent après son accident

Une troisième série de questions éthiques, particulièrement complexes et délicates se pose à propos des gestes médicaux de réanimation qui sont réalisés, dans l’urgence, après un grave accident. Et nous ne pouvons ici que les aborder succinctement.

Comment éviter à ce moment des traitements disproportionnés ? Est-il possible, dans pareilles circonstances de faire valoir pratiquement le droit d’un patient (souvent inconscient) de refuser des traitements lourds qu’il aurait, en théorie, parfaitement, le droit de récuser ? Peut-on progresser dans la façon de pronostiquer l’état d’une personne à l’issue d’une réanimation lourde ? Comment concilier d’une part la liberté d’un patient de dire « non » et, d’autre part le refus d’un prétendu « droit au suicide » ? Car s’il ne s’agit surtout pas d’affirmer que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, il faut s’interroger sur les dérives d’une médecine technicisée à outrance, au point, en certains cas, de paraître inhumaine en imposant sa technique sans être capable d’en assumer les conséquences.

Et si la loi fin de vie avait été en vigueur ?

Même si la loi fin de vie dit récuser à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, elle recèle une faille dans laquelle Marie Humbert et ses conseillers auraient pu s’engouffrer : demander l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent. La loi fin de vie stipule en effet à tort, dans son préambule, que l’alimentation et l’hydratation sont des traitements (qu’on pourrait donc refuser ou interrompre) alors que ce sont des soins de bases qui sont toujours dus (qui ne peuvent jamais être omis). L’arrêt conjoint d’alimentation et d’hydratation constitue un protocole euthanasique décrit dans l’Oregon (Etats-Unis) comme peu douloureux même s’il est spectaculaire. Le député UMP Pierre-Louis Fagnes s’est appuyé sur ces descriptions pour considérer, dans l’hémicycle, que la loi fin de vie française y donne droit. Et l’ADMD a depuis longtemps suggéré qu’on y aboutisse afin de frapper l’opinion et obtenir une légalisation élargie de l’euthanasie.

© France Catholique

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ZENIT Staff

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