Le discernement du Magistère comme diaconie de la vérité, par Mgr Miralles

CITE DU VATICAN, Jeudi 17 février 2005 (ZENIT.org) – « Le discernement du Magistère comme diaconie de la vérité », c’est le titre de cette vidéoconférence donnée le 28 janvier dernier, par Mgr Antonio Miralles, de l’Université Pontificale de la Sainte Croix, à Rome, dans le cadre des vidéoconférences organisées par la Congrégation romaine pour le Clergé qui publie cette traduction en français (www.clerus.org).

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« Le discernement du Magistère comme diaconie de la vérité »

Le titre de l’intervention qui m’a été demandée est emprunté à l’encyclique Fides et ratio, où il figure comme titre de la première partie du chapitre sur  » les interventions du Magistère dans le domaine philosophique « . Je traiterai donc du discernement du Magistère dans cette perspective.

Le Magistère de l’Église s’intéresse à la philosophie en raison du lien étroit qui existe entre foi et raison ; un lien qui implique toutefois une distinction entre l’exercice de la foi et celui de la raison philosophique. Celui qui croit engage sa raison dans son acte de foi. Car comme l’enseigne le Concile Vatican II :  » À Dieu qui révèle, il faut apporter l’obéissance de la foi par laquelle l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu en apportant au Dieu révélateur la soumission complète de son intelligence et de sa volonté, et en donnant de toute sa volonté son assentiment à la révélation qu’il a faite  » (Dei Verbum, 5/1). Il ne peut y avoir une pleine adhésion de l’intelligence si l’homme la laisse inactive, en renonçant à saisir la signification des énoncés de la foi. L’obéissance de la foi n’est pas un mouvement aveugle de l’esprit humain (cf. Conc. Vat. I: DH 3010) ; bien au contraire, comme l’a dit saint Thomas d’Aquin,  » croire est un acte de l’intellect qui, sous l’effet de la volonté mue par la grâce de Dieu, donne son assentiment à la vérité divine  » (S. Th. II-II, q. 2, a. 9 c).

Cependant, l’exercice de la foi est bien distinct de celui de la raison philosophique. Cette dernière cherche une preuve et ne s’arrête pas avant de l’avoir trouvée, alors que la foi, s’appuyant sur l’autorité de Dieu qui révèle, ne demande pas la preuve de ce qu’elle connaît, sachant que les mystères cachés en Dieu ne peuvent être connus que dans la mesure où ils sont révélés par Lui et que,  » même transmis par la révélation et reçus par la foi, ils demeurent entourés du voile de la foi comme d’une brume  » (Conc. Vat. I : DH 3016), aussi longtemps que nous sommes dans cette vie mortelle.

Le fait de ne pas exiger de preuve ne signifie pas que la foi demeure intellectuellement inactive. Au contraire,  » la foi cherche à comprendre « , comme le disait saint Anselme (Proslogion).  » Il est inhérent à la foi que le croyant désire mieux connaître Celui en qui il a mis sa foi, et mieux comprendre ce qu’Il a révélé ; une connaissance plus pénétrante appellera à son tour une foi plus grande, de plus en plus embrasée d’amour  » (CEC 158). Cela n’est pas réservé aux seuls théologiens : saint Paul demandait à Dieu cette grâce pour tous les fidèles :  » Que le Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment. Qu’il ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu’il déploie pour nous tous, les croyants  » (Ep 1,17-19).

Toutefois la philosophie, qui est une aide inestimable pour progresser dans la connaissance de la foi, procède exclusivement de manière rationnelle, et il est bon qu’il en soit ainsi.  » Une philosophie qui ne procéderait pas à la lumière de la raison selon ses principes propres et ses méthodes spécifiques ne serait pas d’un grand secours  » (Fides et ratio [= FR], 49/1), car elle échouerait dans sa recherche de la vérité.

Le Pape ajoute :  » En définitive, la source de l’autonomie dont jouit la philosophie est à rechercher dans le fait que la raison est, de par sa nature, orientée vers la vérité, et que, en outre, elle dispose en elle-même des moyens pour y parvenir  » (FR 49/1). Cette affirmation est une marque de confiance à l’égard de la raison, et cela alors que la culture actuelle est marquée, selon cette même encyclique, par  » la défiance radicale envers la raison que révèlent les plus récents développements de nombreuses études philosophiques. De plusieurs côtés, on a entendu parler, à ce propos, de ‘fin de la métaphysique’ : on veut que la philosophie se contente de tâches plus modestes, à savoir la seule interprétation, la seule recherche sur des champs déterminés du savoir humain ou sur ses structures  » (FR 55/1).

C’est précisément la foi qui nous empêche de nous laisser gagner par cette méfiance. La philosophie est une activité humaine : c’est même l’activité la plus noble de la raison naturelle, celle par laquelle l’homme exprime ses meilleures qualités intellectuelles, en révélant ainsi son humanité. Mais la foi nous permet de connaître plus en profondeur ce qu’est l’homme, et quelles sont ses meilleures facultés. Comme l’enseigne le Concile Vatican II :  » En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. […] Le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n’est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en Lui leur source et atteignent en Lui leur point culminant  » (GS 22/1). L’une de ces vérités est celle qui a trait aux facultés de la raison :  » Participant à la lumière de l’intelligence divine, l’homme a raison de penser que, par sa propre intelligence, il dépasse l’univers des choses. […] De nos jours, il a obtenu des victoires hors pair, notamment dans la découverte et la conquête du monde matériel. Toujours cependant il a cherché et trouvé une vérité plus profonde. Car l’intelligence ne se borne pas aux seuls phénomènes ; elle est capable d’atteindre, avec une authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de la part d’obscurité et de faiblesse que laisse en elle le péché  » (GS 15/1).

L’œuvre de discernement du Magistère sur la capacité qu’a la raison humaine de connaître la réalité intelligible avec une certitude véritable est déjà un grand service rendu à la vérité. L’intervention du Magistère sur ce thème n’est pas seulement un fait récent : comme le rappelle le Saint-Père dans Fides et ratio, dès le XIXe siècle l’Église dut censurer  » le fidéisme et le traditionalisme radical, à cause de leur défiance à l’égard des capacités naturelles de la raison  » (FR 52/1) ; mais elle dut aussi rejeter la tentative de réduire la foi à la raison, et censura donc  » le rationalisme et l’ontologisme qui attribuaient à la raison naturelle ce qui n’est connaissable qu’à la lumière de la foi  » (FR 52/1).

La connaissance rationnelle et le discours philosophiques sont importants pour l’intelligence de la foi. En effet, comme l’enseigne le Concile Vatican I,  » la raison droite démontre les fondements de la foi  » (DH 3019). Le Magistère a déclaré à ce propos que  » la raison peut démontrer avec certitude l’existence de Dieu, la nature spirituelle de l’âme l’anima, la liberté de l’homme  » (DH 2812). Ce même Concile enseigne que  » la raison, éclairée par la foi […] par la grâce de Dieu peut arriver à une certaine connaissance très féconde des mystères, à travers l’analogie avec ce qu’elle connaît naturellement  » (DH 3016). Plus la philosophie progresse dans la connaissance naturelle, plus est facilité l’approfondissement des mystères au moyen de l’analogie.

Cela étant, on comprend mieux pourquoi le Magistère ne peut pas se désintéresser de la philosophie.  » De nombreux thèmes philosophiques, en effet, tels ceux de Dieu, de l’homme, de sa liberté et de son agir moral, la mettent directement en cause, parce qu’ils concernent la vérité révélée dont elle a la garde  » (FR 50/2). En effet,  » la tradition sacrée et la sainte Écriture constituent l’unique dépôt sacré de la parole de Dieu qui a
it été confiée à l’Église. […] La charge d’interpréter authentiquement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église. […] Ce Magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu ; il la sert, n’enseignant que ce qui a été transmis, puisqu’en vertu de l’ordre divin et avec l’assistance de l’Esprit Saint il écoute pieusement la parole, la garde religieusement, l’explique fidèlement  » (Dei Verbum, 10).

Le Magistère encourage l’activité philosophique, sans pour autant proposer une philosophie qui lui soit propre.  » Ses interventions sont destinées en premier lieu à stimuler, à promouvoir et à encourager la pensée philosophique  » (FR 51/1). Lorsque l’histoire de la philosophie est développée avec rigueur méthodologique et avec une objectivité authentique, elle ne peut manquer de reconnaître qu’une grande partie des questionnements philosophiques les plus nobles et les plus pressants ont été suscités par la foi. L’encouragement adressé par Jean-Paul II aux philosophes n’est pas un discours de circonstance, mais l’exhortation sincère d’un Pape dont la foi vivante est doublée d’une passion pour la philosophie, une passion qu’il cultivait déjà bien avant d’être élevé à l’épiscopat et à la chaire de Pierre :  » Il ne faut pas perdre la passion pour la vérité ultime et l’ardeur pour la recherche, unies à l’audace pour découvrir de nouvelles voies. C’est la foi qui incite la raison à sortir de son isolement et à prendre volontiers des risques pour tout ce qui est beau, bon et vrai. La foi se fait ainsi l’avocat convaincu et convainquant de la raison  » (FR 56).

Le discernement du Magistère s’étend aussi à l’enseignement de la philosophie en vue des études de théologie, spécialement pour ceux qui se préparent au ministère sacerdotal. À ce propos, le critère prudentiel s’ajoute à celui de vérité. Le Pape Léon XIII s’est distingué dans cette œuvre de discernement : dans son encyclique Aeterni Patris, il exhorte vivement à répandre l’excellente sagesse philosophique de saint Thomas d’Aquin, en appelant en particulier les enseignants à faire pénétrer sa doctrine dans l’esprit des disciples. Le Concile Vatican II, dans son décret sur la formation sacerdotale, indique lui aussi un critère précis :  » Qu’on enseigne les disciplines philosophiques de façon à imprimer aux séminaristes tout d’abord une connaissance ferme et cohérente de l’homme, du monde et de Dieu, en s’appuyant sur l’héritage de la philosophia perennis  » (Optatam totius, 15/1). Plus récemment, Jean-Paul II a réaffirmé l’importance de ces études dans son encyclique Fides et ratio :  » Je désire rappeler avec force que l’étude de la philosophie revêt un caractère fondamental et qu’on ne peut l’éliminer de la structure des études théologiques et de la formation des candidats au sacerdoce  » (FR 62/1). À ce propos, il rappelle qu’ » en diverses circonstances, il a été nécessaire d’intervenir sur ce thème, en réaffirmant aussi la valeur des intuitions du Docteur Angélique et en insistant sur l’assimilation de sa pensée  » (FR 61/1).

Le discernement du Magistère au service de la vérité consiste aussi à dénoncer les erreurs incompatibles avec la foi. À ce propos, Jean-Paul II précise :  » Ce n’est ni la tâche, ni la compétence du Magistère d’intervenir pour combler les lacunes d’un discours philosophiques déficient  » (FR 49/2). En effet, le Magistère ne se substitue pas aux philosophes qui, par l’étude, le dialogue et les débats qu’ils ont entre eux, doivent remplir cette tâche ; mais le Pape ajoute :  » Il est de son devoir au contraire de réagir de manière claire et forte lorsque des thèses philosophiques discutables menacent la juste compréhension du donné révélé et quand on diffuse des théories fausses et partisanes qui répandent de graves erreurs, troublant la simplicité et la pureté de la foi du peuple de Dieu  » (ibidem). J’ai mentionné plus haut la censure du fidéisme, du traditionalisme radical, du rationalisme et de l’ontologisme. L’encyclique rappelle aussi d’autres interventions : celles de saint Pie X, qui mit en lumière l’orientation phénoméniste, agnostique et immanentiste des affirmations philosophiques qui sont à la base du modernisme ; celles de Pie XII, qui  » mit en garde contre des interprétations erronées, liées aux thèses de l’évolutionnisme, de l’existentialisme et de l’historicisme  » (FR 54/2) ; et, récemment, celle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui a réaffirmé  » le danger que comporte l’acceptation non critique, de la part de certains théologiens de la libération, de thèses et de méthodologies issues du marxisme  » (FR 54/3).

Dans cette œuvre de discernement, le Magistère observe fidèlement l’exhortation de saint Paul à Timothée, l’appelant à être  » un ouvrier qui trace tout droit le chemin de la parole de vérité  » (2 Tm 2,15).
© clerus.org

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ZENIT Staff

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