CITE DU VATICAN, Vendredi 27 février 2004 (ZENIT.org) – « Nous nous devons d’être présents dans les grands débats qui ont lieu dans notre pays et sur l’avenir de l’Europe, en contribuant à lui donner une âme, comme le souhaitait jadis Robert Schuman », affirme entre autre Mgr André Lacrampe, archevêque de Besançon dans cette allocution prononcée au nom des évêques de la province ecclésiastique de l’Est de la France en visite ad limina, ce vendredi matin, lors de l’audience commune au Vatican
Très Saint Père,
Nous sommes heureux de nous retrouver chez vous, évêques de la Province ecclésiastique de Besançon, ainsi que Mgr Joseph DORE, archevêque de Strasbourg, son auxiliaire et les vicaires généraux de nos diocèses. Mgr RAFFIN, évêque de Metz, après une hospitalisation, se trouve aujourd’hui en convalescence.
Nous clôturons auprès de vous la visite des diverses Provinces ecclésiastiques de France.
À Rome, nous venons vivre en acte la fraternité sacramentelle qui nous unit de manière collégiale à vous. Nous sommes là aussi pour raviver, auprès des tombeaux des Apôtres, la grâce de l’appel à l’épiscopat que nous avons reçu de vous.
En communion avec l’Église universelle, avec les fidèles de nos diocèses, nous accueillons également par votre ministère la grâce de l’unité, de la fermeté dans la foi et du discernement en Église.
1. La situation humaine dans la Province
La Province de Besançon regroupe six diocèses, auxquels s’ajoutent pour le travail entre les évêques et certains services pastoraux les deux diocèses concordataires de Metz et Strasbourg, qui relèvent directement du Saint-Siège. Le rapport présenté ici concerne les huit diocèses de cette région Est de la France, qui jouxte la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse.
L’ensemble compte environ 5 250 000 habitants, plus de la moitié appartenant aux diocèses de Strasbourg (1 700 000 hab.) et de Metz (plus d’un million) et les moins peuplés étant ceux de Saint-Claude (250 000) et de Verdun (190 000). À cette diversité démographique s’ajoute le fait que les limites des trois diocèses de Besançon, Belfort-Montbéliard et Strasbourg ne concordent pas avec celles d’un seul département civil, et que la situation socio-économique est fort différente d’un diocèse à l’autre.
Cette situation laisse apparaître de nombreuses mutations dans le tissu industriel et rural, et par suite, de grandes difficultés pour trouver du travail : disparition des mines de charbon et de fer, effondrement de la sidérurgie en Lorraine, problèmes rencontrés par de petites industries (ex. tissages) et des exploitations agricoles en d’autres départements; Il n’y a pas d’université dans tous les diocèses. Aussi les jeunes partent-ils ailleurs. On observe ici ou là une diminution, et partout un vieillissement de la population. À cela s’ajoute enfin l’arrivée de nombreux immigrés venant principalement du Maghreb ou d’Afrique noire, ainsi que des pays de l’Est (souvent de façon clandestine).
2. La situation religieuse
La population de la Province de nos huit diocèses est très majoritairement catholique. Les autres confessions chrétiennes sont cependant présentes, notamment les églises luthérienne ou réformée dans les diocèses de Metz, Strasbourg et Belfort-Montbéliard. Le nombre des orthodoxes est limité, tout comme celui des juifs, hormis en Alsace. Celui des musulmans n’a cessé de s’accroître avec l’immigration. L’ œcuménisme et le dialogue interreligieux donnent lieu, chaque année, à diverses rencontres : réflexions et semaine de prière pour l’unité des chrétiens peuvent s’intensifier.
Comme en de nombreux diocèses français et malgré un fond encore chrétien, la pratique religieuse régulière a baissé au cours des dernières décennies, notamment chez les jeunes. Si la grande majorité des enfants de familles de souche chrétienne reçoivent le baptême, nous savons qu’il n’est pas forcément suivi de catéchèse. Par ailleurs, on constate une augmentation du nombre des demandes de baptême chez les enfants scolarisés.
Il y a actuellement environ 2 500 prêtres dont 1 730 en activité, soit 1 pour 3 000 habitants. Leur esprit ecclésial, leur fraternité et leur charité pastorale sont à souligner. Le grand nombre de ceux qui décèdent chaque année n’est pas compensé par de nouvelles ordinations (60 décès de prêtres diocésains à Nancy pour 2 ordinations en 4 ans, 63 décès à Saint-Claude en 8 ans sans aucune ordination). Il en résulte que la charge pastorale des prêtres en responsabilité s’alourdit de plus en plus. Les plus jeunes d’entre eux, très peu nombreux, risquent de se sentir isolés. Il n’y a que deux grands séminaires, à Metz et à Strasbourg (1e et 2e cycles) ; par ailleurs, quelques jeunes se destinant au ministère presbytéral vont s’y préparer à Lyon, à Paris ou à Rome. Si le nombre de ceux qui se préparent au ministère presbytéral ne cesse de diminuer en plusieurs diocèses, nous ne ménageons pas nos efforts pour soutenir la pastorale des vocations.
La Province compte environ 180 diacres dont la plupart sont mariés. Le diaconat permanent constitue une richesse pour l’Église. C’est une voie à proposer plus largement. Les diacres permanents contribuent à rendre notre Église davantage servante et pauvre.
La vie religieuse est fort présente dans notre Province. Certaines congrégations ont œuvré à des fusions qui entraînent un nouveau dynamisme spirituel. Toutefois, dans plusieurs endroits, des monastères ont dû fermer faute de recrutement. Nous devons poursuivre notre effort de soutien à l’appel à la vie religieuse apostolique et contemplative.
Nos diocèses ont fourni de nombreux missionnaires à l’Église universelle. Nous continuons d’inviter nos diocésains à regarder au loin et à porter le « souci de toutes les Églises » (2 Co 11, 26-27).
En de nombreux diocèses, les paroisses ont été regroupées sur une base de géographie humaine, passant par exemple de 771 à 67 dans le diocèse de Besançon, de 450 à 53 à Saint-Dié, de 649 à 140 à Metz. Il en reste 20 seulement dans le diocèse de Verdun. Les fidèles s’aperçoivent maintenant que leur curé ne peut pas tout faire sur le vaste territoire qui lui est confié. Ils comprennent, quand un prêtre doit desservir 30 ou 40 villages avec autant d’églises, qu’il faut trouver de nouvelles modalités d’organisation. De ce fait, des laïcs acceptent la mission de collaborer à la charge pastorale des prêtres, mais aussi de recevoir une formation adaptée aux tâches qu’ils assument : acquisition d’un savoir-faire et d’un savoir-être, en relation avec les prêtres, que ceux-ci soient ou non résidents. Cela entraîne des répercussions sur le ministère presbytéral.
Le présent et l’avenir du ministère presbytéral, du ministère diaconal, des Équipes d’animation pastorale et des responsables de services d’Église, retiennent toute notre sollicitude pastorale.
Des lieux de formation se sont développés dans tous les diocèses. Beaucoup de chrétiens cherchent à approfondir leur foi. Moins nombreux semble-t-il, sont ceux qui la perçoivent comme devant être annoncée, pour que les communautés demeurent signifiantes. C’est une grande préoccupation pour chacun d’entre nous comme pour les fidèles
Aussi, écrit un évêque, «la célébration des baptêmes et des mariages, sans parler des messes dominicales, va-t-elle de plus en plus poser problème», tandis qu’un autre souligne la nécessité de «réfléchir avec l’ensemble des chrétiens, non pas évidemment à l’éventualité de nous passer de prêtres, mais à celle de situer autrement le prêtre au sein des communautés chrétiennes, dans lesquelles les la
ïcs auront des responsabilités importantes». Qu’en sera-t-il dans dix ans ? En 2010, écrit un évêque, il y aura moins de 40 prêtres en responsabilité pour l’ensemble des paroisses du diocèse de 250 000 habitants ainsi que pour l’accompagnement spirituel des services et mouvements.
3. Défis actuels et espoirs pour l’avenir
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont ambivalents, porteurs de remises en question et d’inquiétude, mais aussi de chance pour l’avenir. Mondialisation, sécularisation, précarité, solidarité, mobilité, immigration, laïcité, problèmes éthiques et culturels, se rencontrent chez nous comme dans l’ensemble de la société française. Ils nous appellent tous à une nouvelle annonce de l’Évangile de l’espérance (Ecclesia in Europa, c. III).
Si les indicateurs traditionnels de la vie ecclésiale (pratique dominicale, taux de catéchisation, nombre des baptêmes, des confirmations et des mariages) continuent à baisser ou au mieux se stabilisent, on perçoit néanmoins de réels signes de vitalité pour peu qu’on y prête attention.
Nombreux sont les laïcs qui, se sentant responsables de l’annonce de l’Évangile et de l’édification de l’Église, assument cette mission avec fidélité et générosité. Ainsi, ils permettent d’assurer la catéchèse, la préparation aux sacrements de baptême, de confirmation et de mariage, la célébration des funérailles en certains cas, ou encore une formation chrétienne des adultes. Ces services deviennent des lieux d’annonce et d’approfondissement de la foi.
De façon générale, si les jeunes sont peu présents au sein des communautés chrétiennes, ils ne sont pourtant pas absents de l’Église. Chez beaucoup d’entre eux, il y a une soif importante quant au sens à donner à leur vie. On ne peut leur proposer le Christ qu’en mettant en œuvre des pédagogies adaptées à leur culture, marquée davantage par la participation festive et généreuse à des actions ponctuelles, plus que par un engagement dans la durée. Nombre d’adultes s’en préoccupent et accompagnent les jeunes.
On observe ici ou là une timide reprise de certains mouvements, même si les effectifs ne sont pas très nombreux. L’Action catholique, le Mouvement Chrétien des Retraités, les Équipes du Rosaire témoignent, par exemple, d’un réel souci apostolique.
On sent d’une manière générale la nécessité de passer d’une pastorale de l’accueil à une proposition de la foi, telle que l’a souhaitée l’Assemblée plénière des Évêques de France depuis plusieurs années.
J’aimerais souligner enfin le souci qui habite beaucoup d’entre nous d’apporter leur soutien positif et critique à l’Europe qui se construit, ainsi qu’à tous les responsables de la vie politique, économique et sociale, qui sont au service du bien commun de la société et de notre Continent. Il y a pour nous une responsabilité que vous avez vous-même soulignée, Très Saint Père, dans votre Exhortation apostolique Ecclesia in Europa. Nous nous devons d’être présents dans les grands débats qui ont lieu dans notre pays et sur l’avenir de l’Europe, en contribuant à lui donner une âme, comme le souhaitait jadis Robert Schuman, dont le procès en vue de la béatification va s’achever très prochainement. Le fait que siègent à Strasbourg plusieurs institutions, le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen, est un motif supplémentaire d’attirer notre attention pastorale sur ce point.
Évoquant Strasbourg, on ne peut oublier S. Exc. Mgr Michael COURTNEY, qui a assumé pendant près de cinq ans les fonctions d’Observateur permanent du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe et qui, au Burundi, au titre de sa mission apostolique, a été jusqu’à l’extrême, au service de la paix et de la fraternité.
Très Saint Père, pour conclure, j’aimerais souligner :
l’effort d’approfondissement spirituel et d’intériorisation de la vie chrétienne qui se traduit dans l’organisation de journées de réflexion, de récollections et de retraites, à l’intention des prêtres, religieux, religieuses et laïcs, aux niveaux diocésain et provincial;
l’attention efficace portée aux nouvelles formes de pauvreté (sida, troubles psychologiques, personnes âgées, détenus, migrants…) par de nombreux chrétiens engagés dans des associations caritatives, confessionnelles ou non. Beaucoup le font non seulement dans la perspective d’une action sociale, mais aussi comme une manière particulièrement efficace d’annoncer la Bonne Nouvelle;
enfin, un désir et une ferme volonté de communion en Église, autour du ministère de Pierre, pour un meilleur service de la mission. La participation aux Journées Mondiales de la Jeunesse, le Jubilé de l’an 2000, les démarches synodales diocésaines, les pèlerinages à Rome et dans les grands sanctuaires, la coopération missionnaire en relation avec les prêtres Fidei Donum et les religieuses en missions lointaines en sont les signes. Ainsi, nos Églises diocésaines se sentent vraiment liées à l’Église universelle.
Pour reprendre la formule de l’un d’entre nous, «notre Église est en train de quitter des rivages connus sur lesquels elle a vécu pendant très longtemps, pour aller vers d’autres rives dont les caractéristiques demeurent encore floues, mais que nous devons travailler à définir avec l’aide de l’Esprit».
Avec votre bénédiction et votre soutien, Très Saint Père, chacun de nous est bien résolu à «avancer vers le large» comme nous y invite le Seigneur.
+ André LACRAMPE