L’Eglise de France et l’Europe, lecture du message de Jean-Paul II avec Mgr Lacrampe

CITE DU VATICAN, Vendredi 27 février 2004 (ZENIT.org) – Mgr André Lacrampe, archevêque de Besançon, a présenté ce vendredi matin à Jean-Paul II la situation de l’Eglise dans l’Est de la France. Il relit pour les lecteurs de Zenit certains passages du message de Jean-Paul II sur l’Europe.

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Zenit : Mgr Lacrampe, vous avez présenté à Jean-Paul II les défis qui se présentent à l’Eglise dans cette région frontalière. Comment comprendre l’invitation de Jean-Paul II aux Eglises locales à « s’engager » en faveur de « l’intégration européenne », au moment où les évêques viennent d’appeler à « voter »?

Mgr Lacrampe : Il y a plusieurs dimensions dans cet appel, notamment dans le cadre des prochaines élections européennes, où les chrétiens vont devoir se prononcer. C’est un l’appel à découvrir cette Europe, cette construction de l’Europe qui est en cours grâce aux hommes qui ont cru en l’Europe : comment ne pas penser à Robert Schuman ? Nous avons à construire l’Europe en lui donnant toute sa place dans le concert des Nations, et en faisant en sorte que l’Europe ne soit pas simplement l’Europe monétaire ou politique, mais qu’elle soit aussi l’Europe sociale, qu’on fasse une place à l’homme.

Zenit : Jean-Paul II invite à construire une « Europe des Peuples » de façon à dépasser « définitivement et radicalement les conflits qui ont ensanglanté le Continent durant tout le vingtième siècle ». N’est-ce pas une vision trop « utopique » que celle d’une Europe qui, après avoir déchaîné deux guerres mondiales voudrait en quelque sorte imposer la paix au monde?

Mgr Lacrampe : Nous avons à œuvrer tout d’abord pour construire une terre juste, fraternelle. Nous savons bien le fossé qui se creuse entre le Nord développé et le Sud sous-développé. Mais nous savons aussi que la précarité, la pauvreté traverse le cœur même de nos sociétés. De récentes études montrent qu’en France par exemple, un million d’enfants se trouvent dans une situation de pauvreté. Le message de Jean-Paul II pour le carême nous demande justement d’être attentifs à la pace de l’enfant dans notre société.
Nous avons aussi, pour construire la paix, la responsabilité de nous ouvrir aux Peuples d’Europe, dans la diversité des cultures, et en même temps, à prendre en considération nos racines chrétiennes qui ont façonné cette Europe. Il y a un patrimoine culturel, spirituel qui traverse notre histoire: il nous faut en rendre compte, il faut en être témoin. Les diocèses que nous représentons dans la visite ad limina sont frontaliers avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse. Des liens se sont tissés entre nos Eglises: c’est un appel à intensifier nos liens. Sans omettre la présence auprès des Institutions européennes qui sont à Strasbourg comme le Conseil de l’Europe et le Parlement européen.

Zenit : Mgr Lacrampe, vous êtes membre de la Commission sociale de la conférence des évêques de France, du Comité socio-caritatif, du Conseil national de la solidarité: vous aurez été sensible au fait que Jean-Paul II cite les Semaines sociales de France et appelle à la construction de l’Europe sociale…

Mgr Lacrampe : Tout à fait. Dans l’exhortation de Jean-Paul II, il y a un appel à faire en sorte que les chrétiens spécialement engagés au niveau politique, social, culturel, puissent vivre leur foi là où ils sont. Et les Semaines sociales sont un lieu très important où chaque année, à la faveur d’un thème de réflexion, les chrétiens peuvent être éclairés dans les responsabilités, les décisions qu’ils sont appelés à prendre. S’il y a toujours le risque de confiner la foi dans le domaine du privé, cette exhortation de Jean-Paul II nous rappelle l’implication sociale de la foi. Notre Eglise est appelée à intervenir dans les grands débats de la société dans tous les secteurs – économique, politique, éthique – de façon à pouvoir toujours signifier une anthropologie chrétienne, une conception chrétienne de l’homme, dans sa dignité d’enfant de Dieu et donner ainsi sa place au Dieu auquel nous croyons.

Zenit : Vous évoquez la dimension publique de la foi. Jean-Paul II établit dans son discours, comme dans son discours au Corps diplomatique en janvier dernier, une distinction entre « laïcité » et « laïcisme ». Comment faut-il la comprendre ?

Mgr Lacrampe : Le « laïcisme » serait vouloir enfermer, rejeter, reléguer cette dimension spirituelle de l’homme. La « laïcité » ouverte, c’est une prise en considération de tous les grands courants spirituels qui traversent notre société, c’est un « respect » de la religion, un désir de promouvoir le fait religieux. Lorsque l’on voit les débats de notre société, c’est aussi le devoir, l’exigence de travailler à ce que le fait religieux soit enseigné dans l’ensemble de l’enseignement scolaire, pas seulement dans nos établissements catholiques de France. Le pape nous alerte sur cette différence entre la laïcité et le « laïcisme », et nous sommes engagés à œuvrer dans une laïcité ouverte où nous allons nous respecter. Ces courants spirituels et religieux traversent notre société, il ne s’agit pas de s’opposer les uns aux autres, mais de promouvoir la rencontre et le respect de l’autre. Ainsi nous pourrons nous-mêmes nous approprier davantage notre foi et l’intérioriser, et promouvoir dans la société l’estime et le respect de façon à ce que ce « vivre ensemble » soit une réalité positive.

Zenit : Dans votre allocution de ce matin vous avez cité celui que le Parlement européen a nommé « père » de l’Europe, Robert Schuman, dont, disiez-vous, le procès en vue de la béatification va s’achever très prochainement. Quel est l’enjeu ?

Mgr Lacrampe : Nous sommes passés cette semaine à la congrégation pour les Causes des saints, où l’on étudie les vertus de celles et ceux qui peuvent être des modèles pour les baptisés pour éclairer leur responsabilité. Robert Schuman est un homme qui a façonné l’Europe, qui a cru dans l’Europe. Et, dans le monde politique, on a besoin d’hommes et de femmes qui indiquent un sillon porteur de vie, d’espérance, de solidarité et l’on peut espérer que Robert Schuman sera ainsi honoré dans notre Eglise, de façon à ce que, par ce qu’il a fait, par ce qu’il a écrit, il puisse inspirer celles et ceux qui exercent aujourd’hui, et exerceront demain des responsabilités dans le domaine de la politique. Pie XI disait que la politique est le « grand champ de la solidarité », de la « charité ». Nous avons devant nous cette terre à aménager, à parfaire, au service du bien commun, au service de l’homme. Face aux tentations d’enfermement, d’égoïsme, le chrétien est appelé à s’ouvrir à l’autre, à élargir notre cœur de façon à ce que l’homme, tout l’homme, puisse être respecté et que dans ce concert des Nations nous puissions être soucieux de tous ceux et celles qui sont les « blessés de la vie ». Dans les textes de la Bible que nous lisons en cette marche vers Pâques, il y a cette phrase du prophète Isaïe : « Ne te dérobe pas à ton semblable », ou encore cette question : « Qu’as-tu fais de ton frère ? ». Cette question nous est posée aujourd’hui encore. Ne te dérobe pas à ton semblable, celui qui est proche, celui qui est lointain. Qu’as-tu fais de ton semblable, celui qui est proche, celui qui est lointain ? C’est la question qui se pose encore aujourd’hui à notre conscience chrétienne.

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ZENIT Staff

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