CITE DU VATICAN, Mercredi 4 février 2004 (ZENIT.org) – « Souviens-toi d’aimer » : telle était la devise du Père Ambroise-Marie Carré op, qui est décédé le 15 janvier dernier. Pour mieux connaître ce grand homme d’Eglise, résistant, académicien et homme de lettres, « inXL6 », le site « jeune » de l’Eglise catholique en France, propose cet entretien avec le frère Philippe Verdin, un jeune dominicain, actuellement éditeur au Cerf, qui l’a accompagné durant les dernières années de sa vie. Il résume: « Le Père Carré était l’homme de la Miséricorde ».
inXL6: Comment avez-vous connu le Père Carré ?
Philippe Verdin : Le Père Carré est un frère dominicain de mon couvent. J’ai fait sa connaissance, il y a cinq ans, après mon ordination sacerdotale, lorsque je suis arrivé au couvent Saint Dominique, où il est resté deux ans. Ensuite, pour les trois dernières années de sa vie, il est parti vivre à la campagne afin d’être plus au calme. Il avait 90 ans quand je l’ai connu. Or ici, aux éditions du Cerf, le couvent se trouvant à l’intérieur de la maison d’édition, c’est une véritable ruche. Pour le grand vieillard qu’il était, aspirant de surcroît au calme et à la retraite, y compris pour la paix de la prière, il était préférable qu’il parte au vert. Pendant les trois dernières années de sa vie, j’ai donc fait le va-et-vient entre le couvent et le Père Carré, qui était installé à côté de Dieppe, en Normandie.
inXL6: Vous avez donc eu une relation privilégiée avec lui ?
Philippe Verdin : Oui. De plus, au-delà de l’appartenance à la même famille spirituelle, ma formation littéraire m’a rapproché du Père Carré. Nous avons beaucoup parlé ensemble des écrivains qu’il a connus : Mauriac, Bernanos ou encore Green, son parrain de l’Académie française, mais aussi de gens plus inattendus. Comme Hélène Carrère d’Encausse l’a rappelé, à l’occasion de l’hommage qu’elle lui a dédié lors de ses funérailles à Notre-Dame de Paris, le Père Carré a, par exemple, accompagné spirituellement quelqu’un comme Eugène Ionesco. Ce qui est très original non seulement parce que Ionesco est d’origine orthodoxe mais aussi et surtout parce qu’il est, par excellence, l’auteur du théâtre de l’Absurde, qui met en scène l’impossibilité de toute vie métaphysique. Or, on peut le dire maintenant – le Père Carré en a été témoin – Eugène Ionesco est mort dans l’amitié avec le Christ. Ce qui est tout de même incroyable ! Le Père Carré a aussi connu Montherlant. Les deux hommes ne se sont pas côtoyés à l’Académie française, puisque Montherlant est mort en 1972 et que le Père Carré y a été élu en 1975, mais ils ont pu échanger abondamment, auparavant, en particulier au sujet de leurs souvenirs de collège. Car ils étaient tous deux élèves à Sainte-Croix de Neuilly, à trois ans d’intervalle, comme le poète Patrice de la Tour du Pin d’ailleurs, qui était, quant à lui, de la même année que le Père Carré.
inXL6: Quels étaient exactement les rapports du Père Carré avec le monde du spectacle, le monde la culture ?
Philippe Verdin : Il a d’abord été aumônier pendant plus de quinze ans de l’union catholique des gens du théâtre et de la danse, la future aumônerie des artistes. Il a très bien connu Maurice Chevalier, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Louis de Funès, qui était un homme de grande foi. Il a aussi organisé des pèlerinages à Rome avec eux. Il a accompagné beaucoup d’artistes spirituellement, les plus grands comme les plus humbles ou les plus marginaux. Il racontait par exemple avec beaucoup de discrétion – c’était quelqu’un de très délicat ˆ l’histoire peu commune de ce groupe de strip-teaseuses de Pigalle, qui étaient venues le trouver en lui disant qu’elles voulaient se préparer au baptême. Quand le Père Carré, quelques semaines avant de le leur donner, leur a demandé comment elles avaient été amenées à entreprendre une telle démarche, elles lui ont confié qu’avant de devoir monter chaque soir sur scène, à Pigalle, en attendant anxieusement leur tour, elles faisaient dans les coulisses un point de croix qui représentait la Face du Christ à Gethsémani, c’est-à-dire le Christ souffrant. Quand l’une montait sur scène, elle passait le point de croix à la suivante… Tout cela pour dire que le Père Carré a été au contact du mystère des vies très particulières des uns et des autres à travers l’accompagnement.
Dans un deuxième temps, son élection à l’Académie française, où il succédait au Cardinal Daniélou, le fit rentrer en amitié avec beaucoup d’écrivains ou plutôt avec beaucoup d’autres écrivains car, par l’aumônerie des artistes et par sa grande sensibilité, le Père Carré connaissait déjà de nombreuses personnes du monde des Lettres, notamment Jean Cocteau. Il a d’ailleurs conservé dans ses papiers toute une correspondance avec cet écrivain. En somme, le Père Carré était l’homme de la Miséricorde. Il a été l’artisan des retrouvailles avec le Christ pour de nombreuses personnes qui se sentaient loin de l’Eglise, à cause de leur vie, de leurs problèmes de famille, de leurs mœurs ou d’engagements divers.
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Le frère Philippe Verdin a publié un article sur le P. Carré dans l’hebdomadaire français « France Catholique » du 30 janvier dernier (n° 2915, cf. www.france-catholique.fr).