"Prêcher la conversion personnelle", entretien de FC avec Mgr Daucourt

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« La question est de savoir comment, moi, je me convertis »

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CITE DU VATICAN, Dimanche 16 mars 2003 (ZENIT.org) – En ce début de carême, Mgr Daucourt insiste sur la nécessité d’une conversion personnelle au Christ et à l’Evangile: « La question est, dit-il, de savoir comment, moi, je me convertis et comment je fais avec mes frères une communauté d’Eglise qui parle de l’Evangile. Je ne sais rien de l’avenir de l’Eglise, mais ma vie est suspendue entre deux versets bibliques : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde », et « Le Christ, quand il reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre? ». »

Evêque de Nanterre, dans l’Ouest parisien, depuis juin 2002, Mgr Gérard Daucourt est réputé pour son franc-parler sur l’œcuménisme ou le handicap. Plus pasteur que diplomate, il scrute avec nous les défis de l’évangélisation, indique l’hebdomadaire français « France catholique » (cf. http://www.France-catholique.fr).

Les propos de Mgr Daucourt ont été recueillis par Denis Lensel et Samuel Pruvot.

FC – Mgr Daucourt, des figures comme Guy Gilbert ou l’Abbé Pierre sont emblématiques de la solidarité de l’Eglise avec les exclus. Leur succès médiatique est paradoxalement à la hauteur du rejet de « l’institution ». Pourquoi?

Mgr GD – Ces figures caritatives rendent sympathique une Eglise à l’égard de laquelle certains ressentaient de la méfiance. Cela peut aider. Mais il y aura toujours un moment où il faudra prendre position vis-à-vis de l’Evangile dont ces figures de la charité témoignent. Il faudra une conversion, un « Oui » pour se mettre à la suite du Christ. Un abbé Pierre, un Guy Gilbert ou une Sœur Emmanuelle peuvent aider des gens à s’orienter vers le Christ. Mais d’autres réagiront autrement en disant : « Ah, si tous les curés, si tous les chrétiens étaient comme eux ! » C’est la bonne excuse pour ne pas accepter la conversion à l’Evangile.

FC – Les catholiques ont-ils quelque chose de spécial à dire aux exclus ?

Mgr GD – Jean Vanier vit avec les handicapés comme en famille. D’autres laïcs chrétiens accueillent à titre personnel un jeune handicapé chez eux. Ce témoignage montre la valeur de l’homme : il veut dire que toute vie est sacrée, que tout homme est unique. Il s’inscrit en faux contre les critères exclusifs de la société actuelle, qui sont des critères de rendement, d’efficacité et de capacité intellectuelle ou de puissance. Il leur oppose les critères de l’Evangile.

FC – L’Evangile est-il facile à faire accepter ?

Mgr GD – Face au style de vie du XXIe siècle marqué par la rapidité et la mobilité des populations, il ne suffit plus aux catholiques d’être gentils avec tout le monde. Rendre service et aller à la messe le dimanche, cela ne suffit pas. On s’en tirait par le passé, quand il y avait une cohésion dans un village ou dans un petit quartier. Aujourd’hui, je préconise la « P.C.F.F. », la « petite communauté fraternelle de foi ». C’est un lieu où les gens se connaissent. Ils sont dix, quinze ou vingt-cinq ; ils se fréquentent dans la vie quotidienne, et dans le partage de la Parole de Dieu. Ces petites communautés feront communauté de communautés en célébrant ensemble l’Eucharistie le dimanche, ce qui est également indispensable.

FC – Pouvez-vous prendre quelques exemples ?

Mgr GD – Je vois des choses aussi diverses qu’une fraternité de religieuses à Villeneuve-la-Garenne, témoins au milieu d’une majorité de musulmans, quelques chrétiens baptisés mais non pratiquants. Il y a la maison de Pentecôte à la Défense avec tous les jours des jeunes cadres. La messe attire toujours une quarantaine de personnes à l’heure du déjeuner. Par rapport aux milliers de personnes qui fréquentent ce quartier, c’est petit, mais ça existe. Mon travail d’évêque est d’aider toutes ces réalités à exprimer leur diversité dans la communion, tout en évitant des divergences, ce qu’il faut faire avec délicatesse…

FC – L’ampleur du travail n’est-elle pas un facteur de découragement ?

Mgr GD – La pauvreté dans laquelle nous nous trouvons est une épée dans les reins. Comme évêque, je ne peux privilégier aucune nouvelle méthode comme une méthode exclusive. Toute action évangélisatrice doit être accomplie dans la durée. Il n’y a pas d’évangélisation sans vie fraternelle. Par exemple, l’évangélisation de rue, évangélisation directe, n’aura de suite que dans une expérience de communion dans une équipe d’accompagnement de catéchumènes ou de re-commençants.

Il ne suffit pas de distribuer des Evangiles dans la rue. Il faut que les personnes abordées une première fois puissent faire l’expérience de ce qui est écrit dans l’Evangile. Nous ne sommes pas là pour faire des adeptes dans un esprit exclusivement prosélyte, mais pour témoigner de l’amour de Dieu, en disant d’où vient cet amour. Nous ne devons pas nous placer dans une perspective de résultats quantitatifs, et ne pas nous laisser hanter par la crainte d’un échec de ce point de vue. Depuis la mort du Christ en croix, qu’est-ce qu’un échec ? Sa mort apparaissait comme un échec total, mais c’était la plénitude du don de l’amour.

FC – Quel est le frein qui empêche les catholiques de se lancer dans l’évangélisation ?

Mgr GD – Les familles catholiques sont happées par les critères matérialistes du monde moderne, et, jusque dans leur vie chrétienne, par le phénomène du départ en week-end, qui leur fait déserter leurs paroisses habituelles au moment des grandes fêtes comme Noël et Pâques. L’Eglise elle-même ne va-t-elle pas toujours dans le sens de ce qui arrange les gens ? On leur fait des messes de Minuit à 20 heures, ou des messes du dimanche le samedi soir… Il ne faut pas laisser croire qu’on peut être chrétien sans aucun sacrifice.

FC – En va-t-il de même avec la jeunesse ?

Mgr GD – L’inquiétude qui pèse sur les jeunes est celle de la parole donnée. Ils pensent qu’il est impossible de donner une parole qui dure. C’est une crise plus large, qui est celle du sens de l’engagement dans la durée. Elle touche le mariage et toute la vie sociale. Aujourd’hui rien n’est sûr. On peut imaginer le déchirement intérieur de certains jeunes. Cependant, 80% des jeunes estiment que le premier signe d’une vie réussie est la fondation d’un foyer qui dure. Un foyer où on est heureux et unis. Dans la réalité, tout cela semble hors de portée. Toute la question, c’est de découvrir la personne vivante de Jésus, et d’entrer en relation avec lui.

FC – La Nouvelle évangélisation et l’œcuménisme, n’est-ce pas deux mouvements antagonistes ?

Mgr GD – Il faut effectuer l’annonce et le dialogue en même temps. Il y a pourtant des passages très clairs dans l’encyclique de Jean-Paul II sur la mission, Redemptoris Missio. Nous devons à la fois respecter les autres et leur dire notre foi. Certes, le premier témoignage évangélique, c’est la vie fraternelle, à l’image de celle du Christ, mais il y a aussi des paroles à prononcer.

FC – La communauté de Taizé a rassemblé près de 80.000 jeunes à Paris. Est-ce un bon point pour l’œcuménisme ou l’évangélisation ?

Mgr GD – Je connais la communauté de Taizé depuis une quarantaine d’années. Quand j’étais à Rome, je suivais les relations entre Taizé et le Saint-Siège. C’est surtout en matière d’évangélisation qu’on peut observer ses résultats. Les jeunes qui fréquentent cette communauté cherchent Dieu, et Taizé leur propose une liturgie toute simple et aussi beaucoup de temps de silence et d’intériorisation, ce qui était surprenant dans les années 60 et 70, parce qu’à cette époque, ce n’était pas là-dessus qu’on mettait l’a
ccent. C’est à partir d’une confiance faite aux jeunes à Taizé, dans une grande liberté, que s’est faite une évangélisation commençant par l’accueil, le respect et la vie fraternelle, avec une annonce explicite de la Parole de Dieu.

FC – Cette action ne risque-t-elle pas de court-circuiter les efforts des représentants officiels ?

Mgr GD – Taizé n’a pas la vocation d’un œcuménisme officiel, mais constitue pourtant un facteur d’œcuménisme, avec ce qu’on appelle le dialogue de la charité, comme disait le patriarche Athénagoras, c’est-à-dire les relations fraternelles entre chrétiens, sans aborder les questions théologiques. Les frères de Taizé disent simplement que leur communauté est « une parabole de réconciliation ».

FC – Justement, certains observateurs estiment qu’à l’œcuménisme de la réflexion et de la parole, il faudrait substituer un œcuménisme de la vie, c’est-à-dire des rencontres sur le terrain et des actions communes. Qu’en pensez-vous?

Mgr GD – Le concile Vatican II dit que l’œcuménisme est un mouvement suscité par le Saint-Esprit. Il ajoute : « Nous ne préjugeons pas des impulsions futures de l’Esprit Saint ». Un mouvement lancé par le Saint-Esprit ne s’arrête pas comme ça. C’est nous qui le freinons ou le bloquons. L’œcuménisme est quelque chose de vivant.

FC – D’où vous vient cette passion pour l’unité des chrétiens ?

Mgr GD – Dès ma jeunesse en Suisse, j’ai pris conscience que l’unité faisait partie du mystère de Dieu communiqué par le Christ. Mais les chrétiens n’en vivent pas bien. On n’en vivra d’ailleurs jamais parfaitement. Au début du christianisme, il y avait déjà des divisions dans les communautés chrétiennes, comme l’atteste la première épître de saint Paul aux Corinthiens. Ce qui est grave, c’est qu’à certaines périodes de l’histoire, ces divergences ont duré et sont devenues séparatrices.

FC – Pensez-vous que les chrétiens, en France, exploitent vraiment toutes les possibilités qu’ils ont d’être ensemble témoins du Christ ? Ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare. Croyez-vous que les chrétiens ont utilisé toutes les occasions d’un témoignage commun pour faire connaître cette parole? Les divergences doctrinales entre les chrétiens sont-elles secondaires ?

Mgr GD – Non, mais se braquer sur les questions doctrinales – comme on le fait depuis trente ou quarante ans dans certains cercles œcuméniques – est une attitude stérile. On bloque un dynamisme sans chercher à inventer, à trouver des occasions de rencontre.

FC – La déclaration d’Augsbourg, signée par les protestants et les catholiques, est-elle vraiment « historique » ?

Mgr GD – Rome a signé la déclaration commune d’Augsbourg en octobre 1999 sur la doctrine de la justification, avec la question des rôles respectifs de la foi et des œuvres. Il faut préciser que cet accord a été conclu avec les luthériens, mais n’a pas suscité d’enthousiasme chez les réformés. Le monde protestant est très divers : le courant évangélique, qui est le plus dynamique, et qui ne fait que grandir d’un point de vue numérique, a des positions très différentes. Les protestants évangéliques ont des positions très proches de celles de l’Eglise catholique dans le domaine éthique concernant la morale sexuelle et le mariage – certains citent fréquemment Jean-Paul II – mais sur d’autres points, comme celui de l’engagement dans la société, c’est avec les luthériens que les catholiques trouveront davantage de points de convergence.

FC – L’opposition du patriarcat de Moscou à Rome n’est-elle pas un démenti cinglant de l’œcuménisme ?

Mgr GD – Actuellement, il y a toujours un certain blocage avec le patriarcat de Moscou, même si le Patriarche Alexis II a envoyé un message fraternel à Jean-Paul II à l’occasion de Noël… On est obligé de constater que lorsque Moscou exprime des griefs à l’encontre de l’Eglise catholique en matière « d’uniatisme  » et de « prosélytisme », il reçoit l’appui officiel du patriarcat de Constantinople. Certes, ces difficultés existent, elles existent au niveau officiel et hiérarchique, et elles sont très largement répercutées par les journalistes. Mais en Russie, de très nombreux orthodoxes et catholiques s’estiment et travaillent souvent ensemble. Il y a aussi de fréquentes rencontres entre des diocèses russes orthodoxes et des diocèses catholiques d’autres pays européens.

FC – En même temps, on a parfois l’impression que l’influence de Jean-Paul II est plus grande en dehors des frontières traditionnelles de l’Eglise que dedans. Pourquoi ?

Mgr GD – Ces réactions positives extérieures à l’Eglise ont également des répercussions positives dans les rangs des fidèles catholiques. Quand on examine l’événement d’Assise en 1986, l’archevêque de Cantorbéry a dit que le Pape était le seul à obtenir cette rencontre interreligieuse. On lui reconnaît un leadership. Le fait qu’il soit tellement reconnu par les non-catholiques et même les non-chrétiens secoue et convertit un certain nombre de catholiques, y compris un certain nombre de prêtres, même s’il est encore de bon ton en France de se montrer critique vis-à-vis du Pape…

Dans la communauté catholique, on trouvera toujours des gens sceptiques, ou même des gens critiques vis-à-vis de Jean-Paul II. Mais il y a aussi des gens qui considèrent que le Pape est le seul qui compte. Ils court-circuitent la vie d’une Eglise locale, et cherchent à opposer le Pape et les évêques. Dans cet esprit, certaines communautés, certains mouvements estiment plus urgent de se faire reconnaître par Rome que de vivre en collaboration avec leur Eglise locale.

FC – Gallicans ou ultramontains, tous les catholiques semblent s’accorder sur la pénurie des vocations. Est-ce une manière de sonner l’hallali ?

Mgr GD – Ce n’est pas tellement le manque de prêtres qui nous frappe, mais d’abord le fait qu’on manque de chrétiens. C’est une question de foi. Pourquoi manque-t-on de prêtres ? Parce que nous manquons d’enfants et de foi. Même des familles de catholiques sincères voient d’un mauvais œil l’engagement de leur fils dans le sacerdoce. Je ne veux pas juger, parce que moi aussi je suis fragile dans la foi.

C’est à cause du Christ que quelqu’un s’engage dans le sacerdoce ou dans la vie religieuse. A la suite du Christ, il s’engage sur un chemin de bonheur. Autrefois, l’intégration dans le clergé correspondait à l’accession à un rang social. Tout cela a disparu aujourd’hui : désormais, il n’y a plus que des raisons mystiques pour devenir prêtre, religieux ou religieuse, et j’ajoute, aussi pour fonder un foyer chrétien avec le sacrement de mariage.

FC – Que peuvent faire les catholiques pour sortir de leur ghetto ?

Mgr GD – Nous ne sommes pas chargés de faire nombre, mais de faire signe, comme le disait je crois Mgr Hippolyte Simon. Certes, je souhaite répondre à l’appel du Christ qui nous envoie au monde entier. Mais la question est de savoir comment, moi, je me convertis et comment je fais avec mes frères une communauté d’Eglise qui parle de l’Evangile. Je ne sais rien de l’avenir de l’Eglise, mais ma vie est suspendue entre deux versets bibliques : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde », et « Le Christ, quand il reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre. »

Propos recueillis par Denis LENSEL et Samuel PRUVOT

© France Catholique

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ZENIT Staff

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