C´est la question éthique qui m´intéresse: un film n´est pas un documentaire

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Entretien de Jean-Yves Riou avec Constantin Costa Gavras

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CITE DU VATICAN, Jeudi 14 février 2002 (ZENIT.org) – « Amen » n´est pas un film « historique », Constantin Costa Gavras s´en défend. Il se défend aussi d´avoir voulu attaquer le pape Pie XII.

A propos de son film « Amen », présenté hier au festival du film de Berlin, le réalisateur explique en effet sa démarche à Jean-Yves Riou, directeur de la revue française « Histoire du Christianisme Magazine »: « C´est la question éthique qui m´intéresse. Un film n´est pas un documentaire historique. Ce n´est pas son rôle. « Amen » a l´ambition de poser des questions morales. Notamment celle de l´indifférence ». C´est la raison pour laquelle le réalisateur précise qu´il a choisi de ne pas recourir à un conseiller historique comme pour d´autres films. Il souligne en outre: « Le cinéma c´est, d´abord, quand même, un spectacle. Les gens viennent voir un spectacle ».

Pour une mise au point historique nous renvoyons à l´entretien que Zenit a eu avec Jean-Yves Riou hier (ZF020213), mais surtout au dossier nourri que Jean-Yves Riou publie dans la revue bimestrielle « Histoire du Christianisme Magazine » (“La Shoah et Pie XII : les trois tentations de Costa-Gavras”, HCM n. 9, sortie le 21 février). Nous publions cet entretien avec l´aimable autorisation de Jean-Yves Riou: l´entrevue paraît dans la prochaine édition de HCM. Les propos recueillis n´engagent que le cinéaste.

– Au fond, le sujet d´ « Amen » c´est l´Histoire ?
– Oui, c´est un film inspiré de l´Histoire. C´est le résultat d´un vieux projet que je portais depuis plusieurs années avec Jean-Claude Grumberg (le co-scénariste, ndlr). Un temps, nous avons pensé adapter « La mort est mon métier », de Robert Merle. Et puis, nous avons rencontré Claude Berri qui voulait faire un film sur « Le Vicaire », la pièce d´Hochhuth. Mais, au fond, c´est la question éthique qui m´intéresse. Un film n´est pas un documentaire historique. Ce n´est pas son rôle. « Amen » a l´ambition de poser des questions morales. Notamment celle de l´indifférence. Poser les bonnes questions morales, c´est le mieux que je puisse faire.

– Concrètement comment fait-on un film sur l´histoire ?
– Pendant un an, j´ai beaucoup lu. La pièce d´Hochhuth d´abord. Et puis une bonne trentaine de livres. J´en ai écarté certains, par exemple, celui de Cornwell; même si, généralement, les Anglo-saxons font des livres très rigoureux.

– Dans votre film, il n´y a pas de conseiller historique. C´est voulu ?
– Oui. J´ai eu des conseillers historiques dans certains films, Z (1969), l´Aveu (1971). Le problème avec les spécialistes, c´est que chacun a sa propre interprétation. On n´en sort pas. Si j´en avais pris un – ou deux – c´était le meilleur moyen d´avoir des problèmes. Avec mes lectures, j´ai construit ma propre interprétation. Et puis, le cinéma c´est, d´abord, quand même, un spectacle. Les gens viennent voir un spectacle.

– D´accord. Mais « Amen » pose des questions lourdes. On vous reprochera de vous appuyer sur des bases historiques fragiles. Vous ne craignez pas d´être taxé de manichéisme ? Par exemple la chute du film donne à penser que l´Eglise a aidé les criminels de guerre à fuir.
– Mais, c´est un fait… Je ne tire pas de conclusion générale, j´ouvre seulement le débat… le cas que je montre implique un prélat du Vatican.

– Dans la scène où l´on voit Gerstein et Fontana écouter le message de Noël 42, il me semble que vous donnez une version aseptisée ?
– Le pape ne prononce ni le mot « juif », ni le mot « nazi », ni le mot « camp de concentration » dans son message de vingt pages.

– Vous admettez tout de même que ce sont des sujets historiquement très controversés ?
– Ils sont le reflet de nos sociétés. Quand nous avons commencé à travailler sur le film, c´était l´époque où la commission internationale d´historiens catholiques et juifs commençait à se réunir (nommé par le Vatican en 1999, ndlr). J´ai trouvé cela formidable. Et puis la commission s´est séparée sans pouvoir aller au bout de son travail…

– Vous savez pourquoi ?
– Je l´ai lu dans Le Monde : pas d´accès suffisant aux archives !

– Dans votre film les deux bons meurent et le salaud – seul – s´en sort. Cela signifie-t-il que les bons perdent toujours et que les salauds gagnent toujours?
– Cela veut dire que les bons perdent très souvent. Et que le cynisme et l´indifférence continuent.

– Et où voyez-vous le cynisme continuer aujourd´hui ?
– Au Moyen Orient, en Afrique notamment … ou dans l´attitude de l´Eglise catholique vis-à-vis du préservatif. Quand les évêques argentins demandent pardon de leur attitude sous la dictature après s´être compromis avec les bourreaux…

– Quel espoir alors ?
– Il faut crier sur les toits et, moi, je le fais derrière les caméras.

– Et qui a vocation à crier sur les toits, le cinéaste ?
– Le cinéaste, aussi. Il peut faire évoluer les choses. En fait, non, le cinéaste ne peut qu´interpeller. Son rôle consiste seulement – et c´est heureux – à poser des questions. Il peut parfois le faire maladroitement ou se tromper. Mais il offre une occasion de débats en posant des questions. C´est le rôle de l´art. Son entente avec la démocratie commence en Grèce.

– Au fond, quelle est la responsabilité du pape et de l´Eglise catholique dans la Shoah ? Coupables ?
– Je ne parle pas de culpabilité. Nous ne sommes pas au tribunal. Je pose seulement des questions. Je ne porte pas de jugements péremptoires. Ceci dit, quand j´ai découvert que les persécutions avaient commencé dès 1933, j´ai été très choqué de l´indifférence générale. Alors, oui, je pose des questions : pourquoi le silence et cela de tous les pouvoirs non soumis à l´occupation nazie ? Pourquoi ce manque de souci vis-à-vis des victimes ?

Propos recueillis par Jean-Yves Riou

© Histoire du Christianisme Magazine

La revue bimestrielle « Histoire du Christianisme Magazine » (HCM, n° 9) : “La Shoah et Pie XII: les trois tentations de Costa-Gavras”, est disponible en France chez les marchands de journaux à partir de jeudi prochain, 21 février 2002 (dans les grandes villes uniquement) et en librairie, sinon, par correspondance : CLD, BP 203 – 37 172 Chambray-les-Tours – France (13, 50 euros, port compris). Renseignements (numéro en France) : ++ 33 02 47 28 20 68.

Rappelons en outre que HCM (n.7, mai 2001) a déjà consacré un gros dossier à Pie XII (« Pie XII, le pape de Hitler? »), soit plus d´une soixantaine de pages de documents et témoignages sous différents angles:
« La légende noire du pape de la paix », « Le national-socialisme, un paganisme anti-chrétien », « Les Eglises allemandes sous la botte nazie », « Martyrs allemands en haine de la foi », ´Les évêques allemands résistent à l´ordre nazi », « 1937: l´Eglise de Rome condamne le racisme », « Les mystères d´une encyclique cachée », « Un pape et des généraux contre Hitler », « Les silences de Pie XII? Non lieu pour le pape », « Hollande: les protestations accélèrent les déportations », « Pas la moindre trace de naziphilie au Vatican », « Muté sur le front de l´Est pour avoir diffusé Pie XII », « Le « Vicaire » de Hochhuth lance l´affaire Pie XII », « Peter Gumpel: « Pie XII sera béatifié, il le mérite », « Avec Marie, espérer contre toute espérance ».

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ZENIT Staff

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