ROME, dimanche 3 février 2002 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte publié par le comité permanent pour l´information et la communication de la Conférence des Evêques de France, à l´occasion des Journées chrétiennes de la communication, qui ont lieu du 1 au 7 février 2002.
CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE
COMITÉ PERMANENT POUR L’INFORMATION ET LA COMMUNICATION
COPIC
RETROUVER LE TEMPS DE LIRE
Les Écritures, sacrement de la Parole
Le christianisme n’est pas une religion du livre mais une religion de la Parole. C’est Jésus Christ, le Verbe venu en ce monde, qui révèle l’homme à lui-même et le conduit à Dieu. Pourtant les livres de la bible (ta biblia) tiennent une place majeure dans la structuration de la personne croyante. Ils apparaissent dès la première alliance (Ancien Testament) et, conservés par l’Eglise naissante, sont lus dans la lumière du Christ ressuscité. D’autres écrits sont élaborés par la génération des apôtres (Nouveau Testament). Ils ont accompagné la transmission de la foi, ont bénéficié des techniques de reproduction des textes et les ont parfois même provoquées (passage du rouleau au codex, du codex au livre…).
Si le livre n’est jamais absolutisé, il est vénéré, médité et sa connaissance confère une autorité. Dans un rituel du troisième siècle, c’est la remise du livre qui « ordonne » le lecteur, et non pas l’imposition des mains. Preuve s’il en était besoin du statut très particulier du livre dans la vie chrétienne et dans la construction de la communauté authentique.
Les livres, joyaux d’une tradition vivante
D’ailleurs, au-delà des Ecritures saintes, les chrétiens, depuis les âges les plus reculés, n’ont pas cessé d’écrire. Pétris de culture biblique et issus de la culture grecque, ils ont cru à la force de l’écrit, à sa capacité de persuasion (cf. les Pères apologistes) au point d’accumuler des textes innombrables dès les tout premiers siècles de la vie chrétienne. Avant même que soit déterminée la liste des livres considérés comme « inspirés », ils ont rédigé des lettres, des exhortations, des prières, ils ont recueilli d’innombrables prédications sur des points de doctrine essentiels pour fixer la foi naissante. Au point que l’on a pu appeler du beau nom de « Pères de l’Eglise » ces écrivains innombrables qui ont contribué à exprimer la foi de l’Eglise, à la façonner, à inventer les concepts si nouveaux de personne ou de Trinité, concepts neufs et aujourd’hui si évidents que l’on n’en perçoit pas l’étrangeté et la puissance transformante dans la civilisation mondiale.
Bien plus : très tôt les auteurs chrétiens ont eu conscience que chaque écrit valait pour lui-même dans la mesure où il était l’expression authentique de la foi. Ils ont donc procédé par accumulation, avec cette conviction forte que les livres ne s’annulent pas les uns les autres, qu’ils ne se remplacent pas mais qu’ils se complètent et s’enrichissent à l’infini.
La lecture spirituelle, la recherche théologique, les études d’exégèse de l’Église d’aujourd’hui n’annulent pas les travaux précédents. Lire les œuvres qui nous viennent du passé, c’est accueillir une tradition vivante, c’est l’enrichir à notre tour de notre vivante participation.
Notre société séculière vit, elle aussi, sur cet acquis et continue à penser que nous regardons le monde « juchés sur les épaules de ceux qui nous ont précédés » et bénéficiant de leur effort. Toute notre tradition culturelle et littéraire, celle qui a fait nos « humanités » vit sur ces présupposés qui sont directement hérités de la culture chrétienne du livre.
Richesse de la lecture
Et pourtant… Qu’en est-il aujourd’hui ? Avons-nous cette avidité de lecture qui caractérisait nos Pères dans la foi ? Et se retrouvait, naguère encore, chez les amateurs de littérature, même agnostiques ou franchement athées, mais toujours humanistes ? Peut-être. Mais nous savons que lire demande du temps et c’est la principale objection de tout chrétien contemporain. Prendre la décision de se donner le temps de lire, c’est organiser autrement son temps, introduire du nouveau dans la succession des heures. Par le livre, chacun peut se construire différemment des autres et accéder à une vie intérieure autonome, avec ses repères propres, sa géographie intime, son identité singulière.
Lire, c’est rompre la monotonie des jours, c’est lutter contre l’usure du temps. Plonger dans un univers dépaysant, en prenant un livre, signifie se donner la joie de s’enrichir de ce que l’on découvre. Lire, c’est boire à une source qui ne s’épuise pas quand on s’en approche. Un livre peut prendre des couleurs nouvelles selon les moments ; il apporte des parfums capiteux qui montent à la tête ou descendent dans le cœur, selon les saisons, au rythme des désirs. Le livre est un objet étrange. Il se regarde, se jauge, se manipule, se pose, se retrouve. Une phrase est relue, un passage familier ou obscur est à nouveau déchiffré. Le livre vous attend si le temps manque.
Mais le livre requiert pourtant un minimum de silence intérieur. Un retrait, une mise à part de ce qui importune. La lecture attend le moment opportun, mais elle impose des conditions particulières. Il faut la vouloir, comme on veut un bien précieux, c’est un choix mais aussi une richesse, celle du temps réservé. Dans ce temps réservé se révèle une part secrète qui n’appartient qu’à soi mais dont on peut communiquer quelque chose. Le livre est un cadeau que l’on s’offre à soi-même avant d’être un présent que l’on fait dans la simplicité d’une joie souriante. Offrir à quelqu’un d’autre un livre, c’est le faire entrer en complicité avec soi, c’est lui faire signe.
Le livre, pivot d’une foi adulte
La foi du charbonnier est à respecter et à saluer mais le charbonnier, pour bien accomplir son œuvre, doit lui aussi entrer dans l’intelligence de son métier. Croire, c’est adhérer en faisant à Dieu l’hommage de son intelligence. L’hommage, pas le sacrifice ! Comprendre, comparer, vibrer, chercher, découvrir, par la lecture, c’est honorer Dieu qui est le maître de toutes choses. Etre chrétien, c’est le devenir en s’enrichissant des apports des autres, en habitant la culture d’une époque. Par le livre, chaque chrétien peut se construire, devenir en somme « l’instituteur » de soi-même.
Chacun constate combien dans sa vie professionnelle il ne peut se contenter de sa formation initiale, chacun trouve normal de se perfectionner en langues ou en logiciels et de dégager du temps de formation pour approfondir son métier et son savoir-faire. De même, ne serait-il pas normal de s´organiser pour approfondir sa foi et sa vie chrétiennes, notamment en se donnant des temps de lecture réguliers ?
Ne pourrait-on pas souhaiter que chaque famille puisse faire progressivement l’acquisition de quelques livres essentiels qui seraient toujours disponibles pour ses membres, pour les amis qui passent, pour les personnes que l´on accompagne à un moment clé de leur vie ? Formation humaine personnelle, transmission des valeurs fondamentales, éveil à la foi et croissance dans la vie chrétienne, évangélisation, les livres – tous les livres – peuvent vraiment aider si l´on décide de s´en servir.
Mise à part la question du temps, les objections à la lecture de livres sont nombreuses. Le désir de lecture, pourtant vif chez beaucoup, présente l’apparence d’un désir contrarié : « Je voudrais lire mais les livres sont chers ». « J’ai honte de prendre du temps pour lire en pensant à tous ceux qui sont dans la misère ». « J’ai envie de tout lire, tout m’intéresse, mais finalement, je ne sais p
as quoi choisir ». « J’essaie de lire, mais je ne retiens rien, à quoi ça sert ? » La toute première démarche consiste à s’arrêter, à écouter en profondeur et en vérité son désir de lecture et à prendre des moyens simples pour y répondre.
On prend facilement rendez-vous pour dîner avec des amis, pourquoi ne pas se donner régulièrement rendez-vous à soi-même pour une demi-heure de lecture ? Commencer par ce temps d’arrêt et durer dans la fidélité à ce temps changera certainement la face des autres objections, parce qu’il y aura eu expérimentation de la lecture pour elle-même.
Le livre au risque des médias
Un autre risque consiste à comparer, à assimiler le livre aux médias, définis comme « supports techniques de diffusion massive de l’information » ou comme « moyens d’expression transmettant un message à l’intention d’un groupe ». Comparer les mérites relatifs du livre, de la télévision ou de la radio relève d’une erreur de perspective culturelle, anthropologique et historique. L’histoire naît avec l’écriture, et avec elles la religion et son corps de doctrine, la culture et sa transmission. La notion même de civilisation et l’idée d’humanité sont inséparables de la naissance de l’écriture.
Assimiler ou comparer le livre aux médias fait par ailleurs courir au livre un double risque. Tout d’abord celui d’être distancé par les moyens audiovisuels et électroniques, puisque ceux-ci privilégient la rapidité de l’information, la clarté immédiate et la cible la plus large possible de destinataires. Le livre devient alors le parent pauvre et vieillissant sur lequel on s’apitoie avec nostalgie. Avec mauvaise conscience aussi parce que l’on sait bien, au fond, quelle place il a tenu, quelle place il tient encore, et à quel point il est irremplaçable. Le deuxième risque que court le livre dans cette comparaison est d’être réduit au « livre pratique », au « livre-ressource » (encyclopédie, dictionnaire « réponse-à-tout ») ou, pire encore, au « moyen d’évangéliser ». Prétexte à engager le dialogue, le livre n’est plus qu’un support. Ou bien on lui demande d’être seulement efficace et facile. Mais tout savoir sur la Bible, apprendre à prier, connaître l’histoire de l’Église… cela devrait tenir, pour le lecteur pressé et pragmatique, en quatre pages !
L’expérience littéraire, enjeu pour la foi commune
Il s’agit donc de revenir au cœur de l’acte de lecture. Comme l’acte d’écriture, il relève de la secrète construction de la liberté intérieure. Inciter à lire les grandes œuvres du patrimoine, notamment du patrimoine chrétien ou de la spiritualité contemporaine, de façon « gratuite » relève d’une autre démarche que celle de la lecture documentaire ou de la recherche curieuse, qui saute d’un sujet à un autre. En communiquant avec d’autres cette expérience, en se faisant aider par des professionnels – libraires, bibliothécaires, professeurs – on découvrira peu à peu l’expérience littéraire comme « lieu théologique ». L’expérience littéraire est en effet l’un des terrains constants – mais peu fréquentés aujourd’hui – du dialogue entre les cultures et la tradition chrétienne.
Il en est de la lecture comme de la multiplication des pains. L’appétit ne suffit pas, il faut encore donner quelque chose de soi (un pain, deux poissons… son temps, de l’attention) pour que le miracle ait lieu. Grégoire le Grand, au VIe siècle, s’émerveillait de ce que les textes lus « croissaient » avec l’esprit de celui qui les lisait. Il faut souhaiter à chacun aujourd’hui le même émerveillement.
Paris, le 16 janvier 2002.
COPIC, Comité permanent pour l’Information et la Communication
Mgr Jean-Michel di FALCO-LÉANDRI, évêque auxiliaire de Paris, président du COPIC
Mgr Georges PONTIER, évêque de La Rochelle et Saintes, vice-président de la Conférence des évêques de France.
Mgr Jean-Charles DESCUBES, évêque d’Agen.
Mgr Jacques PERRIER, évêque de Tarbes et Lourdes.
Mgr Laurent ULRICH, archevêque de Chambéry, Maurienne et Tarentaise.