ROME, vendredi 3 août 2001(ZENIT.org/FIDES) – Venu à Dakar pour prendre part au 10° Congrès de l’Association Panafricaine des Exégètes Catholiques (APECA), qui s’est tenu du 25 au 31 juillet, Mgr John Onaiyekan, archevêque d’Abuja, la capitale fédérale du Nigeria, et Président de la Conférence Episcopale, a bien voulu répondre aux questions de Fides. Il donne son avis sur les relations, parfois difficiles, entre chrétiens et musulmans dans son pays, et sur la nécessité, pour la communauté chrétienne du Nigeria, de créer et de développer le dialogue inter-religieux dans ce pays, le pays le plus peuplé d’Afrique.
Excellence, on ne sait pas toujours bien ce qui se passe dans votre pays : pouvez-nous parler de l’Eglise du Nigeria ?
Mgr John Onaiyekan: Au Nigeria, la population a désormais atteint la barre des 120 millions d’habitants; 25% des Nigérians sont catholiques. Mais, il y a à peu près autant de chrétiens que de musulmans. La situation religieuse pose parfois des problèmes au Nigeria parce que les relations entre les deux plus grandes confessions religieuses sont souvent difficiles.
A quoi cela est-il dû ?
Mgr John Onaiyekan: Je suis convaincu que toutes ces difficultés sont dues à des considérations politiques, sociales et économiques. Ce sont les hommes politiques qui essaient de jouer avec les sentiments religieux, pour des raisons politiques évidentes. Et il est malheureusement très facile de manipuler les gens, surtout ceux qui vivent dans les villages, et qui ne comprennent pas toujours bien ce qui se passe. Il y a aussi le problème des fanatiques et des extrémistes. Ce sont des gens qui ont fait leurs études en Iran avec les Ayatollahs, ou qui ont bénéficié de bourses d’études en Libye ou à Al-Azhar en Egypte. Quand ils rentrent au Nigeria, ils se présentent comme des missionnaires de l’islam. Ils cherchent alors à changer les choses, et veulent instaurer une société islamique qui permettra, pensent-ils, de résoudre les problèmes. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont actifs. Il faut aussi reconnaître que les chrétiens ont parfois un langage dur à l’égard de l’islam. Eux aussi sont source de difficultés. Mais, dans la grande majorité des cas, les Nigérians vivent sans problèmes les uns avec les autres. Moi je suis archevêque de la capitale fédérale, Abuja. Il y a des gens de toutes les régions du pays qui viennent travailler à Abuja. Ils sont issus de toutes les ethnies et de toutes les confessions religieuses. Dans ma famille, j’ai des cousins et des proches qui sont musulmans. Et nous vivons ensemble sans difficultés.
Face à la montée de l’intégrisme religieux, que fait la Conférence Episcopale du Nigeria ?
Mgr John Onaiyekan: Je suis le Président de la Conférence Episcopale. Je suis aussi le Vice-président de l’Association des Chrétiens du Nigeria (« Christians Association of Nigeria »). Nous avons effectué des démarches à différents niveaux. Par exemple, il y a un petit groupe, le Conseil inter-religieux du Nigeria (« Nigeria inter religious Council ») qui comprend 25 chrétiens et 25 musulmans et qui se réunit de temps en temps pour parler des grands problèmes de collaboration inter-religieuse dans notre pays, avec l’appui très fort du gouvernement qui s’intéresse vivement à cette question. Par ailleurs lors les fêtes musulmanes, j’envoie des lettres de félicitations aux responsables musulmans d’Abuja, et ils font la même chose à l’occasion des fêtes de Noël et de Pâques. Ce sont ces petits gestes qui peuvent avoir de grands effets. Nous nous connaissons très bien, et nous entendons continuer dans cette direction. Quand il y a des problèmes, les chefs religieux travaillent à les régler. Il nous arrive de réussir, il nous arrive aussi d’échouer.
Est-ce pour cela que vous êtes un fervent partisan du dialogue inter-religieux ?
Mgr John Onaiyekan: Oui, c’est vrai : parce que l’engagement dans le dialogue inter-religieux est indispensable. C’est une nécessité vitale pour nous. La situation du Nigeria nous oblige à contribuer efficacement aux problèmes de dialogue entre les musulmans et les chrétiens. Beaucoup de pays dans le monde ont plus de chrétiens que nous au Nigeria. D’autres ont plus de musulmans que nous. En revanche, je ne connais pas de pays où les chrétiens et les musulmans soient en nombre égal, comme au Nigeria. Au Sénégal par exemple il est clair que les musulmans sont beaucoup plus nombreux. Les chrétiens ne représentant qu’une petite minorité. Dans notre pays, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour bien vivre ensemble nos convictions religieuses respectives. Ceci est capital. Nous devons montrer au monde entier comment musulmans et chrétiens vivent ensemble au Nigeria. Notre pays doit sonner l’exemple.
Dans le nord du pays, des Etats ont adopté la « sharia ». Comment la communauté chrétienne a-t-elle vécu cela?
Mgr John Onaiyekan: Nous les chrétiens, avons déclaré que lorsqu’un Etat adoptait la « sharia » comme loi officielle, cet Etat devenait officiellement un Etat islamique. On nous a répondu qu´il s´agissait seulement d´une loi. La Constitution de l’Etat Fédéral interdit pourtant aux Etats membres de la Fédération de favoriser une religion au détriment des autres. Nous les chrétiens avons toujours déclaré que les Etats qui ont adopté la loi islamique sont, de fait, dans l’illégalité, parce qu’ils sont allés contre la Constitution de l’Etat Fédéral. Nous attendons que le Gouvernement fédéral nous donne l’occasion de régler ces affaires en suspens, à l’occasion d’un Forum qui doit se tenir prochainement. L’introduction de la « sharia » comme loi fondamentale est un problème réel ! Les chrétiens qui vivent dans ces Etats sont considérés comme des étrangers, ou des citoyens de deuxième catégorie! Cela est inadmissible. Nous espérons pouvoir nous asseoir autour d’une même table pour discuter de ces questions. C’est le seul moyen de clarifier les choses. Et nous ne l´avons pas encore fait.
Dans combien de temps pensez-vous pouvoir le faire ?
Mgr John Onaiyekan: J’espère bientôt; pour moi, en effet, il s´agit d´un enjeu politique qui n’a rien à voir avec la religion. Et, dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible d’avoir une paix politique et religieuse stable au Nigeria si l’on ne règle pas cette question de l’instauration de la « sharia ».