Mgr Rino Fisichella, président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, est intervenu sur le thème « Pauline Jaricot, Témoin de la nouvelle évangélisation », lors de la célébration qui a conclu l’année jubilaire du 150e anniversaire de la mort de Pauline Jaricot et du 50e anniversaire du décret reconnaissant le caractère « héroïque » de ses vertus humaines et chrétiennes, hier, 9 janvier 2013, à Lyon (cf. Zenit du 3 janvier 2013).
Nous publions la première partie de son intervention :
« Je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’invitation. Je salue en particulier le Cardinal Barbarin, ainsi que les organisateurs de ce colloque, M. Boucharlat de Chazotte. Mon souhait et mon espérance est que ces moments d’études ravivent la figure de la vénérable Pauline Jaricot, afin que son œuvre et le témoignage qu’elle a rendu éveillent encore chez nos contemporains le cœur et l’intelligence, afin d’annoncer l’Evangile à travers leur sainteté de vie. En effet, ce qui nous touche chez les saints, c’est l’audace qu’ils manifestent en se confiant à la grâce de Dieu, toujours, partout, et malgré tout. La vie de Pauline Jaricot témoigne des circonstances où elle a remis sa vie entre les mains de la force créatrice du Seigneur, tout particulièrement lorsque sa confiance dans les personnes a été déçue, au point de la rendre pauvre et ses projets réduits à néant. Ce qui lui a fait surmonter ces épreuves, le plus souvent le fait de l’avidité et de la malhonnêteté des personnes, est sa confiance envers le Seigneur, et la certitude qui l’habitait que toute l’orientation de sa vie n’était pas le fruit d’une décision humaine, mais un projet de Dieu.
Nous connaissons l’œuvre de Pauline. Son but était de faire connaitre l’Evangile à tous, consciente que la dignité de la personne humaine ne pouvait s’épanouir que dans le contact avec cette Parole de vie. C’est pour cela que la foi en Jésus-Christ ne pouvait pas connaitre de limite géographique. D’ailleurs, l’expérience de la rencontre du Christ ne peut pas être gardée pour soi. La joie de cette rencontre qui transforme une vie a besoin d’être communiquée et partagée. Par sa nature même, l’Evangile est une annonce universelle qui ne connait pas de frontière, et ceux qui s’y consacrent savent bien qu’aucun scrupule ni attente ne leur est permis. Le prophète Isaïe l’évoque à travers une image significative. Nous connaissons ce passage où le mot « évangile » est employé pour la première fois par l’Ecriture : « Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le messager de la bonne nouvelle, qui annonce le salut, celui qui vient dire à la cité sainte : « Il est roi, ton Dieu ! » (Is 52, 7). Ce texte fait référence au héraut qui précède le peuple à son retour d’exil à Babylone. Les habitants de Jérusalem, sur les murs et sur les tours de la cité, sont en attente des combattants, et du haut de la montagne surgit le messager qui annonce à gorge déployée la libération et le retour dans la patrie. Dans l’idée du prophète, le héraut annonce la victoire véritable. Il ne s’agit pas seulement du retour d’exil, mais plus encore du fait que Dieu revient habiter à Sion, ouvrant ainsi une nouvelle étape de l’histoire. La même idée est exprimée dans un autre passage du prophète : « L'esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Is 61, 1). La proximité entre ces expressions et celles du Nouveau Testament est remarquable. Dans sa prédication, Jésus s’est identifié au messager de joie attendu. A travers sa personne et les signes accomplis, est réalisée la promesse de Dieu de donner naissance à une nouvelle ère de l’histoire, celle de son Royaume. Après lui, les apôtres, Paul et les disciples seront identifiés comme les messagers d’une annonce de salut et de joie. Dans un passage célèbre de la Lettre aux Romains, Paul reprend à la lettre le passage d’Isaïe pour l’appliquer aux chrétiens qui annoncent l’Evangile : « Comment proclamer sans être envoyé ? C'est ce que dit l'Écriture : Comme il est beau de voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle ! » (Rm 10, 15). Il est intéressant de remarquer qu’en citant le prophète, l’apôtre ne mentionne pas les montagnes, et ceci nous aide à comprendre la tâche des nouveaux évangélisateurs : leur mission s’étend au monde entier, et personne ne pourra faire obstacle à leur œuvre d’évangélisation.
Il nous faut rapporter l’image biblique à nos jours pour en vérifier la pertinence et l’actualité. A première vue, on ne voit guère, en nos villes aujourd’hui, de personnes en attente d’un messager qui annoncerait la joie. L’autosuffisance si répandue dans nos cultures, ainsi que l’indifférence, montrent combien l’homme contemporain est souvent la proie de présomptions qui le portent à considérer toute chose comme évidente, et ont ôté le goût pour la nouveauté. L’attente d’une bonne nouvelle s’oppose à la culture de l’indifférence qui ne considère pas la foi comme une priorité. Cependant, si l’on pouvait aller plus loin que l’immédiat et sonder les cœurs, on verrait sans doute une situation bien différente. La nostalgie de Dieu n’a pas disparu de nos jours. Elle demeure comme le désir d’entendre une parole qui rejoigne l’intime de chacun et lui fasse découvrir sa soif de vérité. Sommes-nous encore capables de ramener l’homme à ce qui est essentiel, lui permettre de se confronter calmement à lui-même, loin des flatteries et des sirènes qui hurlent au point d’étouffer notre voix ? Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est une nouvelle forme d’athéisme, éloigné des expressions philosophiques ou des spéculations intellectuelles, qui est devenu indifférence à l’égard de Dieu. Nous sommes souvent confrontés à la raillerie, aux discriminations ou aux insultes à la foi chrétienne, qui détonnent dans une société démocratique et championne de liberté. Les statistiques officielles que nous avons de l’année 2012 font état de 105 000 chrétiens tués – et c’est la fourchette basse – uniquement parce qu’ils portaient le nom de chrétiens ! On n’a pas entendu beaucoup de voix pour prendre la défense de ces martyrs. Dans notre société laïque, ce chiffre ne provoque pas l’horreur ; face au meurtre des chrétiens, la seule réponse est la neutralité et l’indifférence. Quand il n’est pas refusé, Dieu est le grand inconnu aujourd’hui. Une société où les hommes vivent comme si Dieu n’existait pas devient vite la proie d’idéologies vides de principes éthiques susceptibles de garantir la dignité de la personne. C’est la loi du plus fort et du plus puissant qui prévaut, et l’homme ne peut plus se comprendre lui-même, ni la nature, ni son rapport aux autres.
Dans ce contexte, la nouvelle évangélisation est une occasion à ne pas laisser passer. Elle est une invitation adressée à tous les croyants pour qu’ils renouvellent leur vie en faisant place à leur foi. Avant d’imaginer un destinataire loin de la foi et de la communauté chrétienne, en proie aux forces cachées qui menacent sa liberté, la nouvelle évangélisation est une réelle opportunité offerte aux croyants pour faire un examen de conscience sérieux sur leur manière de vivre la foi. On ne pourra pas mener à bien la nouvelle évangélisation en faisant l’économie de ce moment où chacun est invité à examiner sa façon de penser et de vivre la foi dans un contexte culturel différent du passé et devenu suspicieux, sinon hostile, à la foi chrétienne. Tôt ou tard, il nous faudra prendre conscience que l a prophétie demeure notre seule force dans ce genre de société. Nous ne pourrons agir qu’à travers le témoignage d’une vie menée de façon cohérente, sans céder aux tentations des modèles de vie personnelle et sociale en opposition avec la foi. Le problème n’est pas d’être modernes et au goût du jour. Le problème est de savoir si les modèles de vie imposés aujourd’hui par la culture, et qui sont en décalage avec la foi et les traditions culturelles qui en émanent, possèdent la vérité sur l’existence personnelle et la responsabilité sociale. Avant de réfléchir à la façon de s’adresser aux autres, il nous faut nous pencher sur notre façon de vivre la foi.
Il n’est pas besoin de statistiques pour constater la crise de la foi. Nos églises ne sont souvent remplies que de personnes âgées et la fréquentation de la messe dominicale a dramatiquement diminué. La connaissance des contenus de base de la foi est réduite au minimum, et les baptisés ne sont pas absents d’un analphabétisme religieux. La demande des sacrements de baptême, de la première communion, de la confirmation, comme du mariage, est le fait d’une minorité, et cela n’a pas toujours correspondu à une augmentation de la qualité de vie de la communauté. La diminution du nombre des vocations au sacerdoce ou à la vie religieuse illustre dramatiquement l’incapacité à inviter à suivre le Christ de façon radicale et définitive. La liste serait longue et impitoyable. Il ne faut certes pas oublier les nouvelles formes d’engagement qui sont nées et qui montrent l’actualité de la richesse de la foi et l’enthousiasme qui anime de nouvelles générations de chrétiens. Le problème n’est pas là. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans une nostalgie ou une utopie vis-à-vis du passé, qui nous éloignerait de la réalité actuelle. Nous sommes invités à réfléchir sur les signes donnés par une culture éclatée, où tout change rapidement, où les messages, peu riches en intelligence, ne sont destinés qu’à provoquer l’émotivité des personnes. Ceci crée une réelle difficulté dans l’annonce de l’Evangile qui propose un engagement de vie qui concerne toute la personne, dans un choix d’amour sans partage et durable. Pour la culture actuelle, qui a perdu le sens religieux de la vie, ce but apparait comme un effort surhumain ».
A suivre...