Le Synode sur la synodalité s’est achevé fin octobre. Le pape François a aussitôt publié le Document final de cette 16e Assemblée, fruit des réflexions menées depuis trois ans et reflet d’un véritable consensus entre les participants. À cette occasion, Zenit a interrogé la française Nathalie Becquart, religieuse xavière et sous-secrétaire du Secrétariat général du Synode.
Zenit : Quelles sont les circonstances de votre nomination au Secrétariat général du Synode ?
Sr Nathalie Becquart : Mon parcours s’enracine dans près de 30 ans d’engagement dans la pastorale des jeunes en France, dont 10 ans à la Conférence des évêques. J’étais directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations lorsque le pape a annoncé en 2016 le synode sur « les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ».
Ma participation à ce synode comme auditrice en 2018 a été un moment clé qui m’a profondément transformée. Après cette expérience, j’ai pris un temps sabbatique au Canada et aux États-Unis, où j’ai commencé à écrire sur la synodalité. Alors que je me préparais à partir étudier à Boston College pour me spécialiser en ecclésiologie en menant une recherche sur la synodalité, j’ai eu la surprise d’être nommée consultrice pour le Secrétariat général du Synode des évêques par le pape François en mai 2019.
Cette nomination est venue comme une confirmation d’un appel à servir la synodalité que j’avais discerné dans la prière et avec ma supérieure générale. Puis, en février 2021, nouvelle surprise : ma nomination comme sous-secrétaire, m’appelant à Rome pour cette nouvelle aventure.
Zenit : Quel a été votre rôle exact durant ces trois ans ?
Sr Nathalie B. : Au départ, j’étais en particulier responsable de la commission spiritualité et de la commission méthodologie, où nous avons identifié à partir d’une écoute des bonnes pratiques synodales dans les Églises locales la méthode de la « conversation spirituelle », et l’avons suggérée comme outil pour la consultation synodale.
Au long de ces trois ans, mon travail a comporté plusieurs aspects : la participation à l’élaboration des différentes étapes du synode aux côtés du cardinal Grech et de son équipe, l’implication dans la rédaction des documents synodaux (Document préparatoire, Document pour l’étape continentale, Premier et Deuxième instrument de travail…), toujours en collaboration avec des groupes d’experts et sous l’égide du conseil du synode.
Un autre volet important, qui fait partie de la mission du Secrétariat du Synode, a été et reste la promotion de la synodalité. Cela s’est réalisé à travers de nombreuses rencontres, conférences et formations, ainsi que la participation à des publications et des liens avec les médias pour faire connaître et expliquer le synode. J’ai ainsi été appelée à accompagner différents acteurs ecclésiaux, et notamment les Églises locales, dans la mise en œuvre du processus synodal, ce qui s’est traduit par de nombreux déplacements et par la participation à quatre des sept assemblées continentales synodales en février-mars 2022. J’ai eu à cœur de porter particulièrement la dimension spirituelle de la synodalité en aidant d’autres à entrer dans l’expérience synodale.
Zenit : Comment avez-vous vécu la fin de ce Synode ?
Sr Nathalie B. : Ce fut une expérience de joie collective intense et de profonde consolation. La présence du Seigneur était palpable tout au long de cette seconde session. Le moment particulièrement marquant fut le samedi soir, après le vote du Document final qui a suscité une ovation, suivi du beau discours de clôture du pape François. J’ai été aussi spécialement touchée par sa citation de « La danse de la vie » de Madeleine Delbrêl, un texte découvert lors de mon noviciat. Cette référence m’a particulièrement émue car j’ai servi dans le diocèse de Créteil où Madeleine Delbrêl a vécu à Ivry-sur-Seine, cherchant à annoncer l’Évangile en terre communiste tout en servant les plus pauvres.
Malgré la fatigue accumulée, je me sens portée par un grand élan et une énergie nouvelle. Cette fin n’est qu’une étape, mais une belle étape qui ouvre à une autre phase encore plus importante, celle de la mise en œuvre des recommandations du Document final pour poursuivre, en tous les lieux d’Église, cette transformation synodale au service de la mission dans le monde d’aujourd’hui.
À travers ce chemin depuis 2021, j’ai vraiment pu contempler l’action de l’Esprit Saint à l’œuvre dans les Églises locales, souvent avec créativité. Si j’ai donné ce que je pouvais, j’ai surtout énormément reçu et appris, notamment que l’Esprit Saint peut agir partout, même dans les situations qui semblent bloquées ou chaotiques.
Les réactions au processus ont été variées : un grand enthousiasme généralement chez les laïcs et les consacrés, mais aussi des craintes et des résistances, notamment chez beaucoup de prêtres et certains évêques. L’enjeu est donc de continuer à permettre à d’autres d’expérimenter et d’adopter le style synodal qui implique l’écoute et le dialogue, et surtout une autre manière de prendre des décisions, basée sur des processus de discernement en commun.
Zenit : Quels événements de cette deuxième session garderez-vous en mémoire ?
Sr Nathalie. B : J’en évoquerai deux : d’abord, la veillée de prière pénitentielle qui a conclu les deux jours de retraite avant l’ouverture du synode. Ce fut un moment d’une grande intensité spirituelle exprimant combien le chemin de la synodalité appelle au pardon et à la réconciliation.
Ensuite, la veillée de prière œcuménique du 11 octobre, organisée pour commémorer l’anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II en 1962, qui a symbolisé notre engagement pour l’unité des chrétiens. La procession depuis l’Aula synodale jusqu’au lieu du Martyr de Pierre avec une jeune portant la Parole de Dieu, entourée de 4 enfants suivis du pape en chaise roulante, puis les délégués fraternels et tous les membres du synode portant une bougie, a rendu visible cet appel à marcher ensemble en tant que pèlerins se laissant guider par l’Esprit. Lors de cette prière préparée avec la communauté de Taizé qui a magnifiquement animé les chants, nous avons vécu un avant-goût du Royaume, goûtant cette communion et harmonie que seul l’Esprit peut générer.
Zenit : Quels thèmes vous ont spécialement marquée ?
Sr Nathalie B : L’œcuménisme s’est révélé comme l’un des fruits les plus significatifs du Synode 2021-2024 et a d’ailleurs fait l’objet d’un grand consensus à toutes les phases du Synode. J’ai eu la joie d’être particulièrement impliquée dans cette dimension œcuménique du processus, favorisée par une très bonne collaboration avec le Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens. Et j’étais chargée de faire le lien avec les délégués fraternels pendant les deux sessions. Leur participation a considérablement enrichi nos travaux, et tous s’accordent à dire que nous sommes entrés dans une nouvelle phase du dialogue œcuménique.
Le document « L’évêque de Rome » sur la primauté et la synodalité publié en juin par le Dicastère ouvre des perspectives très prometteuses ainsi que le Document final qui comporte des paroles fortes sur cette dimension œcuménique indissociable de la synodalité. Est même proposée la convocation d’un synode œcuménique sur l’évangélisation.
Zenit : Comment accueillez-vous la décision du pape de publier le Document final ?
Sr Nathalie B. : C’est un geste véritablement historique et un signe fort de synodalité. Bien que la Constitution apostolique Episcopalis Communio de 2018 prévoyait cette possibilité, c’est la première fois qu’elle se concrétise sous le pontificat du pape François. Cette décision témoigne de sa confiance dans le processus synodal et dans le discernement qui s’est opéré, tant à travers l’écoute du Peuple de Dieu dans les diocèses que lors des deux sessions romaines.
C’est particulièrement significatif car, pour la première fois, des membres non-évêques ont eu droit de vote. Cela donne une portée forte à ce document final qui exprime le consensus auquel est parvenu l’assemblée. Approuvé par le Pontife romain, celui-ci participe donc à son Magistère ordinaire et engage l’Église dans la mise en œuvre concrète de la synodalité.