Voeux du Doyen du Corps diplomatique au pape Jean-Paul II

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L´importance de la coopération internationale pour résoudre les conflits

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CITE DU VATICAN, Jeudi 10 janvier 2002 (ZENIT.org) – Dans son discours de présentation des voeux du Corps diplomatique au pape Jean-Paul II, M. Giovanni Galassi, ambassadeur de Saint-Marin près le Saint-Siège, souligne l´importance de la coopération internationale et en particulier sur le rôle de l´Union européenne pour résoudre la conflits. Voici le texte intégral de ce discours dans son original en français.

– Discours du Doyen du Corps diplomatique –

« Très Saint Père,

« C’est avec une vive émotion que je m’apprête, au nom du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, à vous présenter nos vœux pour l’année nouvelle, en un moment particulièrement instable et préoccupant de la situation mondiale.

« Au début du nouveau siècle, Votre Sainteté nous avait exhortés, avec des paroles empreintes de tristesse mais aussi de vigueur, à défendre l’homme dans sa dignité et dans sa dimension transcendante, avec la ferme conviction que nous sommes tous membres d’une unique famille.

« Le grand Jubilé avait lui aussi donné à beaucoup l’espérance fondée qu’il était possible de repartir de la Porte Sainte, mémoire du passé et prophétie de l’avenir, avec une vigueur et un enthousiasme renouvelés, vers des lendemains qui ne connaîtraient plus les barbaries du siècle écoulé et qui pourraient s’édifier sur le progrès réel de tous les peuples, dans un partage solidaire et fraternel des biens de la terre.

« Malheureusement, l’attentat terroriste du mois de septembre dernier nous a tous mis, de manière brutale, devant une réalité bouleversante, où la haine et la violence aveugle se sont manifestées avec une cruauté extrême contre des victimes civiles innocentes. La société américaine et l’humanité entière se sont trouvées au centre d’un cauchemar angoissant, sans que l’on puisse expliquer toutes ces victimes et avec la hantise inquiétante pour les rescapés de comprendre les raisons d’une telle atrocité, que rien ne pourra jamais justifier et qui a instauré la peur diffuse que chacun puisse devenir sans le savoir la prochaine victime.

« Si, d’un côté, il est indispensable de n´accepter ni tolérance ni justification pour cet acte abject de cruauté, et si tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut punir de manière exemplaire les commanditaires de telles barbaries, tout en maintenant le respect absolu des lois et des conventions internationales, d’un autre côté, on s’est rendu compte qu’aucun pays, de quelque protection qu’il bénéficie, ne peut se considérer à l’abri de futurs attentats.

« Une nouvelle ère est commencée, dans laquelle il ne sera plus permis à aucune nation de se considérer comme une île de félicité, mais où chaque pays sera appelé à s’associer aux autres en vue d’une protection commune de l’humanité entière, avec la collaboration loyale et constante des différents gouvernements et de leurs services de sécurité, plutôt qu’avec des rétorsions armées contre des populations civiles entières sans défense, ayant tendance à accuser de manière erronée et simpliste leurs ethnies et leurs religions d’être la cause première du terrorisme.

« De même, la sécurité mondiale étant liée à la sécurité régionale, on souhaite que les pays les plus avancés, se réveillant de la torpeur de leur bien-être, puissent prendre en charge de manière responsable et concrète, dans le cadre de leur politique étrangère, la résolution au moins partielle des énormes déséquilibres qui demeurent encore dans le monde aussi bien en ce qui concerne la misère qui touche des millions de personnes, pour lesquelles même la simple survie est un problème désespérant, que par rapport aux situations conflictuelles et aux foyers de guerre, qui rendent instables de vastes zones de la planète.

« Dans notre société actuelle, définie peut-être seulement verbalement comme un village global, ayant conscience que 20% de la population la plus développée consomme 80% des ressources globales de la planète, il sera nécessaire de prendre en considération dans ses proportions exactes la rancune croissante qu’une vaste partie de l’humanité la plus laissée-pour-compte nourrit à l’égard de l’hémisphère nord, qui semble avoir surtout comme préoccupation primordiale sa propre satiété.

« Dans la conviction des croyants, Dieu a conçu l´homme pour qu’il gère les biens de la création, mais il n’a pas fait de distinction entre les pays avancés et les pays pauvres: les fruits de la terre, comme Votre Sainteté l’a affirmé à maintes reprises, appartiennent à TOUT homme, qui doit pouvoir en tirer sa propre subsistance.

« Il ne semble pas que cela soit avéré quand on assiste, à l’heure actuelle, à la substitution insidieuse du vieux colonialisme armé par un nouveau colonialisme économique, plus dommageable encore, qui rend les faibles toujours plus esclaves des plus forts, lesquels jouissent de manière égoïste des matières premières et d´un travail qu’ils ne rétribuent pas de manière adéquate.

« La mondialisation des marchés elle-même, qui avait suscité tant d’espérance et qui peut encore aujourd’hui être un instrument important pour le développement de tous les peuples, devrait cesser d’avoir comme objectif prioritaire le seul profit économique d’un petit nombre; avec sa valeur indiscutable, elle est au contraire appelée à fournir des moyens concrets aux pays en voie de développement, afin qu’ils puissent rivaliser avec tous les autres. Mais l’élément premier essentiel demeure l’annulation de la lourde dette extérieure accumulée jusqu’à présent par les pays sous-développés et la fin des injustes embargos économiques que depuis trop longtemps des États plus forts ont imposés à des pays plus faibles, situations qui ne font que provoquer des conditions de vie inacceptables pour des hommes, des femmes et des enfants innocents.

« Au cours de la récente conférence de l’Organisation mondiale du Commerce qui s’est tenue à Doha, on a finalement vu apparaître des signes positifs en faveur d’échanges plus équitables entre tous les pays, en vue d´affronter de manière plus solidaire ce défi du nouveau siècle, en tentant d’éviter une exploitation injuste des nations les plus faibles.

« À cette fin, il est temps désormais que tous les pays, dont aucun ne dispose individuellement de moyens juridiques capables de régir la croissance chaotique des transactions internationales, soient appelés à un effort de créativité. Cet effort, outre le fait qu´il revitaliserait les compétences spécifiques des organismes internationaux existants, engagerait concrètement dans la recherche de normes précises et donnerait naissance à de nouveaux Organismes supranationaux en mesure d’orienter le libre marché non seulement en fonction de profits financiers mais surtout en accord avec les normes du Droit international et avec les valeurs éthiques que doit comporter toute législation.

« Il est également nécessaire qu’une collaboration internationale bien articulée puisse supprimer dans toutes les parties du globe les trafics illégaux, qui minent à la base toute forme de vie sociale, notamment
– le commerce honteux des armes, fabriquées largement et avec d’énormes profits par les pays de l’hémisphère nord, et cédées par eux à des clans dominants de pays émergents, fomentant des guerres continuelles et meurtrières entre les pauvres,
– la diffusion du trafic de stupéfiants, par lequel on attente à la santé de notre jeunesse et qui donne lieu à l’accumulation d’énormes richesses utilisées inévitablement à des fins délictueuses,
– l’esclavage de milliers de femmes, contraintes à la prostitution par des bandes organisées qui opèrent sans être inquiétées, ou presque, dans les pays les plus avancés,
– l’exploitation de nombreux mineurs, utilisés depuis leur plus tendre enfance non seulement pour des travaux pénibles et non rétribués, mais aussi pour alimenter de manière éhontée la pédophilie, qui se répand aujourd’hui à l’échelle planétaire par les moyens modernes de communication.

« Il convient aussi de réfléchir sérieusement et honnêtement sur les motivations de notre progrès scientifique, dont nous sommes si fiers, mais qui, dans son développement fabuleux, ne doit pas faire oublier la place centrale de l’homme et le respect de l’environnement dans lequel nous vivons.

« Sont-elles toujours moralement acceptables les manipulations génétiques sans discrimination, l’utilisation impropre d’embryons humains ou même la possibilité du clonage humain, récemment annoncé par une société américaine ?

« Est-il toujours justifié l’attentat quotidien perpétré contre l’environnement de la part d’entreprises multinationales qui ne se soucient de rien d’autre que de leur profit économique immédiat ?

« Est-ce un indice de solidarité que de mettre à la disposition uniquement du monde avancé les médicaments les plus modernes pour les malades frappés par le sida, tandis qu’en Afrique, où la maladie se répand majoritairement, cela ne peut se réaliser parce que les coûts imposés par les entreprises pharmaceutiques sont trop lourds pour ces pays ?

« À toutes ces interrogations nous serons appelés à apporter des réponses dans de brefs délais et sans hypocrisie afin d’éviter que même les conquêtes intellectuelles ne se transforment en une culture virtuelle de l’éphémère, conditionnée uniquement par l’égoïsme de quelques-uns et prise par la soif du profit immédiat, au lieu d’être les émules d’une société nouvelle qui, s’insérant dans les cultures locales séculaires, fournirait un réel progrès pour l’humanité entière.

« Dans ce sens, nous regardons avec confiance vers l’Union européenne qui, unifiée sur le plan économique et commercial, tend aussi à se proposer, après la réunion de Laeken, comme une force politique unitaire pouvant mettre concrètement en action les principes qui sont à l’origine de sa propre constitution. Une GRANDE EUROPE, de l’Atlantique à l’Oural, forte de ses racines chrétiennes, de ses institutions démocratiques, de son patrimoine culturel et de sa maturité juridique, qui n’ont pas d’égal dans le monde, pourra donner une contribution considérable au bien commun par le dialogue, la coopération, la solidarité, la subsidiarité et la promotion des droits humains, et non par l’usage unilatéral de la force.

« Même dans la situation dramatique du Moyen-Orient, qui angoisse tant Votre Sainteté et nous tous, l’Europe pourra accomplir sa part, utilisant les ressources de sa diplomatie: après environ cinquante ans d’attentats continuels et de dures réactions armées, qui ont provoqué tant de morts, il n’est pas possible de remettre à plus tard des négociations sérieuses et constructives entre les parties en conflits qui, indépendamment des revendications irréalisables, puissent redonner aux Lieux Saints leur caractère sacré, et permettre aux Palestiniens et aux Israéliens d’avoir une terre pour y vivre et pour y grandir en paix dans le respect mutuel.

« La condition indispensable pour un réel progrès dans un monde aussi inquiet, c’est que l’homme, comme Votre Sainteté l’a maintes fois souhaité, s’ouvre à une véritable renaissance de sa démarche spirituelle et au sens du transcendant: ce n’est pas un hasard si l’œcuménisme entre les Églises chrétiennes se poursuit de manière constructive et si le dialogue interreligieux est considéré par Votre Sainteté comme un élément essentiel pour une convivialité pacifique entre les peuples.

« Avec joie, nous avons été témoins de vos pèlerinages en Grèce, en Syrie, à Malte, en Ukraine, au Kazakhstan et en Arménie, de votre message au peuple chinois, de la promulgation de votre exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Oceania, de votre message pour la Journée mondiale de la Paix; nous avons pu également réfléchir sur les conclusions de la dixième Assemblée générale du Synode des Évêques.

« Avec un grand intérêt et une profonde espérance, nous vivons le dialogue continuel avec l’Islam, auquel on a récemment attribué à tort un aspect démoniaque, mais qui est au contraire l’héritage d’une culture millénaire n’ayant rien de commun avec les franges d’un intégrisme extrême, profanateur de ses propres principes: Dieu, comme Votre Sainteté l’a affirmé, ne doit pas devenir l’otage des ambitions humaines et c’est la violence humaine, quelle qu’en soit l’utilisation, qui déshonore la sainteté de Dieu.

« Dans la perspective d’un christianisme qui rénovera sa propre force et qui se fera, dans un monde sécularisé, l’ardent témoin des lois immuables de son Credo, nous vous savons gré, Très Saint-Père, d’avoir décrété une journée de jeûne, qui a conduit tout homme à réfléchir sur les avantages d’une vie plus sobre et plus enracinée dans l’être, limitant la recherche fébrile des biens superflus; de même, nous attendons de la rencontre d’Assise que, par la force de la prière des croyants de toutes les religions, la justice et le pardon puissent donner naissance à un «homme nouveau» en harmonie avec Dieu et avec ses semblables.

« Au terme de mon intervention, je vous exprime, Sainteté, nos vœux les plus fervents, afin que votre Magistère puisse se poursuivre, avec la sagesse et la vigueur de toujours, et être un guide et une lumière pour tous les responsables de gouvernement, auxquels est confiée la résolution du défi actuel de construire un meilleur village global où, sans se laisser prendre par le mirage des principes égoïstes de l’utilitarisme à tout prix, il y aura un espace de dignité pour que tout homme vive dans la liberté, la justice et la paix.

« Bonne Année, Très Saint-Père »

Giovanni Galassi, ambassadeur de Saint-Marin près le Saint-Siège

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ZENIT Staff

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