UISG, audience du 12 mai 2016, L'Osservatore Romano

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Vie consacrée: «le diable entre ‘par les poches’» (5/5)

Dialogue du pape François avec les religieuses, 12 mai 2016

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« Le problème d’argent est un problème très important, dans la vie consacrée comme dans l’Eglise diocésaine. N’oublions pas que le diable entre ‘par les poches’ », fait observer le pape François : « Jamais, jamais l’argent n’est une solution pour les problèmes spirituels… Sans la pauvreté la décadence commence. »
Le pape François a répondu à cinq questions posées par des supérieures générales de l’UISG qu’il a rencontrées en la salle Paul VI du Vatican jeudi dernier, 12 mai.
Nous avons déjà publié les réponses du pape à quatre questions des supérieures générales de l’UISG qui représentent des communautés sur les cinq continents: sur une éventuelle commission sur le rôle des diaconesses aux premiers siècles de l’Église (1), sur le rôle de la femme dans l’Église (2), sur le service des femmes consacrées dans l’Eglise : « le service, oui, la servitude, non! » (3), et à la question du « discernement » (4).
On peut aussi consulter notre article sur les résultats de l’étude voulue par Jean-Paul II.
Le rôle de la femme dans la société c’est justement une intention de prière du pape François en ce mois de mai.
Nous publions une mise au point du directeur de la salle de presse du saint-Siège, le P. Federico Lombardi.
C’est aussi dans cette dernière partie de la rencontre que le pape cite sans la nommer les calomnies dont sœur Martha Pelloni a dû souffrir : nous avons parlé hier, 18 mai de sa mission, sous la dictature et aujourd’hui, auprès des enfants et des jeunes.
Evoquant la préoccupation pour les communautés vieillissantes, le pape fait observer : « Jamais, jamais l’argent n’est une solution pour les problèmes spirituels. C’est une aide nécessaire, mais pas à ce point. Saint Ignace disait, sur la pauvreté : elle est la «  mère » et « un rempart » pour la vie religieuse. Elle nous fait grandir dans la vie religieuse comme une mère, et la protège. Sans la pauvreté la décadence commence. »
Il fait aussi observer que « comme la richesse peut faire mal et corrompre la vocation, la misère aussi ».
Il recommande de parler avec l’évêque ou la Congrégation romaine en cas de souci : « la vie religieuse est un cheminement dans la pauvreté, mais ce n’est pas un suicide! »
Le pape met en garde contre les « roublards » et recommande la vertu de « prudence » et de consulter plusieurs personnes avant de prendre des décisions financières.
Voici notre traduction de ce dernier volet du dialogue du pape François avec quelque 900 religieuses : trois réponses sur l’argent, sur les services non rémunérés, sur le repos nécessaire.
A.B.
[Le pape François répond à une partie de la question précédente qui n’a pas été lue mais était écrite]
Les demandes d’argent dans nos Eglises locales. Le problème d’argent est un problème très important, dans la vie consacrée comme dans l’Eglise diocésaine. N’oublions pas que le diable entre «  par les poches » : par celles de l’évêque et celles de la congrégation. Cela touche le problème de la pauvreté, j’en parlerai plus tard. Mais, pour une paroisse, un diocèse, une congrégation de vie consacrée, la soif d’argent est le premier degré vers la corruption. C’est le premier degré. Je crois que le paiement pour des sacrements relève de cet ordre. Ecoutez. Si quelqu’un vous le demande, dénoncez le fait. Est-ce bien clair ? Je connais, j’ai assisté dans ma vie, à de la corruption de ce genre.
Je me souviens d’un épisode, je venais d’être nommé évêque, j’avais la zone la plus pauvre de Buenos Aires: elle est divisée en quatre vicariats. Il y avait tant de migrants des pays américains, et lorsqu’ils venaient se marier, il arrivait aux curés de dire: « Ces personnes n’ont pas de certificat de baptême ». Et quand ils le demandaient dans leur pays on leur disait : « Oui, mais envoyez-moi 100 dollars – je me souviens – et je vous l’envoie ». J’ai parlé avec le cardinal, le cardinal a parlé avec l’évêque local… Mais en attendant les gens pouvaient se marier sans le certificat de baptême, sous serment des parents et des parrain et marraine. Et ça c’est payer, non seulement le sacrement mais aussi les certificats.
Je me souviens, un jour à Buenos Aires, un jeune homme qui devait se marier est venu demander le nulla osta à sa paroisse pour se marier dans une autre : une procédure très simple. La secrétaire lui a dit: « Oui, passez demain, on vous le donnera, mais ça coûte cher »: une belle somme d’argent. Mais c’est un service : vérifier les généralités et remplir. Et lui – ce jeune homme, un brave avocat, très fervent, un bon catholique vraiment – il est venu me voir: « Et maintenant que faire ? » – « Demain vas-y et dis-leur que tu as envoyé le chèque à l’archevêque, et que celui-ci le leur remettra ». Le commerce de l’argent.
Ici nous touchons un problème sérieux, qui est celui de la pauvreté. Je vous dis : quand un institut religieux – et cela vaut aussi dans d’autres situations –, quand un institut se sent mourir, sent qu’il n’arrive plus à attirer de nouveaux éléments, sent que son temps, choisi par le Seigneur pour sa congrégation, est peut-être révolu, il se laisse tenter par la cupidité. Pourquoi? Parce qu’il pense: « Au moins nous aurons de l’argent pour nos vieux jours ». C’est grave ! Et quelle est la solution proposée par l’Eglise? Unir les divers instituts qui ont des charismes ressemblants, et avancer ensemble. Mais jamais, jamais l’argent n’est une solution pour les problèmes spirituels. C’est une aide nécessaire, mais pas à ce point. Saint Ignace disait, sur la pauvreté : elle est la «  mère » et « un rempart » pour la vie religieuse. Elle nous fait grandir dans la vie religieuse comme une mère, et la protège. Sans la pauvreté la décadence commence.
Je me souviens, dans un autre diocèse, d’un collège de religieuses très important qui devait rénover leur habitation, celle-ci était devenue trop vieille, il fallait rénover; et elles ont fait un beau travail. Mais à l’époque – je parle des années ’93, ’94 plus ou moins – elles disaient: « Il faut qu’il y ait tout le confort, chambre avec salle-de-bain privée, et même la télévision… ». Dans ce collège, si important, entre 14h et 16h on ne voyait plus une religieuse : elles étaient toutes dans leur chambre à regarder leur feuilleton! Par manque de pauvreté, qui porte à mener une vie confortable, fantaisiste… C’est un exemple, peut-être le seul au monde, mais c’était pour comprendre le danger de « trop de confort », d’un «  manque de pauvreté » ou d’une certaine austérité.
[Autre partie de la question non lue mais écrite]
« Les religieuses ne reçoivent pas un salaire pour les services qu’elles rendent, contrairement aux prêtres. Comment montrer une facette rassurante de notre subsistance? Comment pouvons-nous trouver les ressources financières nécessaires pour exercer notre mission ? »
Réponse du pape François
Je vous dirai deux choses. Premièrement: regardez votre charisme, à l’intérieur de votre charisme – chacun a le sien – et voyez quelle est la place de la pauvreté, car il y a des congrégations qui exigent une vie de pauvreté très, très forte; d’autres, pas tant que ça. Les deux sont approuvés par l’Eglise. Chercher la pauvreté selon son charisme.
Et puis : faire des économies ; avoir une bonne administration demande de la prudence, en faisant quelque petit investissement, pourquoi pas. C’est cela être prudent: pour les maisons de formation, pour poursuivre des œuvres pauvres, pour faire avancer des écoles pour les pauvres, remplir les taches de son apostolat… Fonder sa propre congrégation: c’est ce qu’il faut faire. Comme la richesse peut faire mal et corrompre la vocation, la misère aussi. Si la pauvreté devient misère, ce n’est pas bien non plus. On voit la prudence spirituelle de la communauté dans le discernement commun: l’économe informe, tout le monde discute. Oui, c’est trop, pas trop… Cette prudence maternelle.
Mais s’il vous plaît ne vous laissez pas berner par les amis de la congrégation qui, plus tard, vous « plumeront » et vous enlèveront tout. J’ai vu tant de maisons de religieuses, ou d’autres m’ont raconté, qui ont tout perdu après avoir fait confiance à telle ou telle personne … « un grand ami de la congrégation »! Il y a beaucoup de roublards, vraiment beaucoup. La prudence veut qu’on ne consulte jamais qu’une seule personne ; quand vous avez besoin, consulter plusieurs personnes différentes.
Administrer des biens est une très grande responsabilité, dans la vie consacrée. Si vous n’avez pas assez pour vivre, dites-le à l’évêque. Dire à Dieu: « Donne-nous notre pain quotidien », c’est bien. Mais parler avec l’évêque, avec la supérieure générale, avec la congrégation pour les religieux. Pour les besoins élémentaires, car la vie religieuse est un cheminement dans la pauvreté, mais ce n’est pas un suicide! C’est ce que l’on appelle de «  la sainte prudence ». Est-ce bien clair ?
Et puis, là où il a des conflits pour ce que les Eglises locales vous demandent, il faut prier, discerner et avoir le courage, quand il faut, de dire « non » ; et la générosité, quand il faut, de dire « oui ». Mais, quoiqu’il en soit, vous devez discerner, il le faut !
Question (reprise)
« Alors que nous exerçons notre ministère, en étant solidaires des pauvres et des exclus, on nous considère souvent, à tort, comme des activistes sociales ou comme si nous prenions des positions politiques. Certaines autorités dans l’Eglise voient d’un mauvais œil notre ministère, soulignant que nous devrions être plus concentrées sur une forme de vie mystique. Dans ces circonstances, comment pouvons-nous vivre notre vocation prophétique… ? »
Réponse du pape François

Oui. Toutes les religieuses, toutes les consacrées, doivent vivre mystiquement, car vous êtes mariées ; votre vocation est une vocation de maternité, être à la place de la Mère Eglise et de Marie la Mère. Mais ceux qui vous disent cela, pensent qu’être mystique équivaut à faire la momie, être toujours en train de prier … Non, non. On doit prier et travailler selon son propre charisme; et quand votre charisme vous porte à vous occuper des réfugiés, des pauvres, faites-le, même si on vous traite de « communistes »: C’est le moins qu’on puisse vous dire. Mais vous devez le faire ! Car votre charisme vous le demande.
En Argentine, je me souviens d’une sœur : c’était la provinciale de sa congrégation. Une brave femme, et elle travaille encore … elle a presque mon âge, oui. Et elle travaille contre les trafiquants de jeunes, de personnes. Je me souviens, dans le gouvernement militaire en Argentine, on voulait l’envoyer en prison, les autorités faisaient pression sur l’archevêque, et sur la supérieure provinciale, avant qu’elle ne le devienne à son tour,  « car cette femme est communiste », disait-on. Et cette femme a sauvé tant de jeunes filles, vraiment beaucoup !
Et oui, c’est la croix à porter. Que disaient-ils de Jésus? Que c’était Belzebuth, qu’il avait le pouvoir de Belzébuth. Soyez prêtes à la calomnie. Si vous faites le bien, priez devant Dieu, et assumez toutes les conséquences de votre charisme, préparez-vous à subir diffamation et calomnie, car c’est la voie choisie par le Seigneur pour Lui-même! Et nous, évêques, nous devons veiller sur ces femmes qui sont l’image de l’Eglise, quand elles font des choses difficiles et sont calomniées, persécutées. Etre persécutés est la dernière des béatitudes. Le Seigneur nous a dit : « Heureux êtes-vous quand on vous insulte et persécute » et toutes ces choses.
Mais le danger peut être : « je me débrouille seule » – non, non: on vous persécute, parlez. Avec votre communauté, avec votre supérieure, parlez avec tout le monde, cherchez un conseil, discernez: la Parole c’est après !
Et cette religieuse dont je vous parlais, un jour je l’ai trouvée en pleurs, elle disait: « regardez la lettre que j’ai reçue de Rome – je ne dirai pas d’où –: que dois-je faire? » – «  Tu es une fille de l’Eglise? » – «  Oui » – «  Tu dois obéir à l’Eglise ? » – «  Oui ! » – «  Réponds que tu seras obéissante à l’Eglise, et puis vas chez ta supérieure, vas dans ta communauté, vas chez ton évêque – c’était moi – et l’Eglise dira ce que tu dois faire. Mais pas une lettre qui vient de 12 000 km ». Car là un ami des ennemis de la religieuse avait écrit, elle avait été calomniée.
Etre courageuses, mais avec humilité, discernement, prière, dialogue.
Conclusion
« Une parole d’encouragement pour nous les chefs qui supportons le poids du jour. »
Réponse du pape François
Mais soufflez un peu! Le repos, car tant de maladies arrivent par manque de repos, un sain repos en famille … Ceci est important pour supporter le poids de la journée.
Vous parlez ici également des sœurs âgées et malades. Mais ces sœurs sont la mémoire de l’institut, celles qui ont semé, qui ont travaillé, et maintenant sont paralysées ou très malades ou mises de côté. Ces religieuses prient pour l’institut. C’est très important qu’elles se sentent impliquées dans la prière pour l’institut. Elles ont une si grand expérience derrière elles : certaines plus, d’autres moins. Ecoutez-les! Allez les trouver: «  Dites, ma soeur, que pensez-vous de ça ou ça? ». Qu’elles se sentent consultées et de leur sagesse sortira un bon conseil. Soyez-en sûres.
Voilà ce qu’il me vient de vous dire. Je sais que je me répète souvent, que je dis les mêmes choses, mais c’est la vie … J’aime qu’on me pose des questions, car elles me font réfléchir et je me sens comme un gardien de but qui est là, attend que le ballon arrive … C’est bon, faites-le vous aussi dans le dialogue.
Ces choses que j’ai promis de faire, je les ferai. Et priez pour moi, je prie pour vous. Et avançons. Notre vie est pour le Seigneur, pour l’Eglise et pour les personnes qui souffrent tant et ont besoin de la caresse du Père, à travers vous! Merci!
Je vous propose une chose : terminons avec la Mère. Que chacune prie dans sa propre langue l’Ave Maria. Je prierai en espagnol.
Ave Maria…
[Bénédiction]
Et priez pour moi, afin que je sache bien servir l’Eglise.
© Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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