« Veux-tu l’épanouissement ? Veux-tu le bonheur ? Heureux ceux qui œuvrent pour que les autres puissent avoir une vie épanouie. Veux-tu la paix ? Travaille pour la paix. » C’est l’exhortation du pape François aux Chiliens, au premier jour de sa visite dans le pays, le 16 janvier 2018.
Au lendemain de son arrivée au Chili, pour son 22e voyage apostolique qui inclut aussi le Pérou, le pape a célébré une messe au Parque O’Higgins de Santiago, à 10h30 heure locale (14h30 heure de Rome) en présence de 400 000 personnes. Dans son homélie, il a médité sur les béatitudes qui « ne proviennent pas de prophètes de malheur » ou « de mirages qui nous promettent le bonheur avec un ‘‘clic’’ » mais qui « naissent du cœur compatissant de Jésus », » du cœur miséricordieux qui ne se lasse pas d’espérer ».
« En disant heureux le pauvre, celui qui pleure, la personne affligée, le malade, celui qui a pardonné…, Jésus vient extirper l’immobilité paralysante de celui qui croit que les choses ne peuvent pas changer », a expliqué le pape François, encourageant à « semer la paix par la proximité, dans le voisinage ».
Voici le texte intégral de l’homélie prononcée par le pape, qui a encouragé les Chiliens à ne pas se résigner mais à « reconstruire et (à) recommencer » : « que vous êtes capables de vous lever après de nombreuses chutes ! »
AK
Homélie du pape François
« Voyant les foules » (Mt 5, 1). En ces premières paroles de l’Évangile que nous venons d’entendre, nous trouvons dans quelle attitude Jésus veut venir à notre rencontre, cette même attitude par laquelle Dieu a toujours surpris son peuple (cf. Ex 3, 7). La première attitude de Jésus est de voir, de regarder le visage des siens. Ces visages suscitent l’amour viscéral de Dieu. Ce ne sont pas des idées ou des concepts qui font agir Jésus… ce sont les visages, ce sont les personnes ; c’est la vie qui crie vers la Vie que le Père veut nous transmettre.
En voyant les foules, Jésus regarde le visage des personnes qui le suivaient et le plus beau, c’est de constater qu’en retour ils trouvent dans le regard de Jésus l’écho de leurs quêtes et aspirations. De cette rencontre naît la liste des béatitudes qui sont l’horizon vers lequel nous sommes invités et les défis à affronter. Les béatitudes ne naissent pas d’une attitude passive face à la réalité, ni ne peuvent non plus trouver leur origine dans un spectateur devenant un triste auteur de statistiques de ce qui se passe. Elles ne proviennent pas de prophètes de malheur qui se contentent de semer de la désillusion. Ni non plus de mirages qui nous promettent le bonheur avec un ‘‘clic’’, le temps d’ouvrir et de fermer les yeux. Par contre, les béatitudes naissent du cœur compatissant de Jésus qui rencontre le cœur compatissant et qui a besoin de compassion d’hommes et de femmes qui veulent et désirent une vie bénie ; d’hommes et de femmes qui savent ce qu’est la souffrance ; qui connaissent le désarroi et la douleur qu’on éprouve quand ‘‘tout s’affaisse sous vos pieds’’ ou que ‘‘les rêves sont noyés’’ et que le travail de toute une vie s’écroule ; mais qui sont davantage tenaces et davantage combatifs pour aller de l’avant ; qui sont davantage capables de reconstruire et de recommencer.
Que le cœur chilien est capable de reconstruire et de recommencer ! Que vous êtes capables de vous lever après de nombreuses chutes ! C’est à ce cœur que Jésus fait appel ; pour que ce cœur reçoive les béatitudes.
Les béatitudes ne naissent pas d’attitudes critiques ni de ‘‘bavardages à bon marché’’ de ceux qui croient tout savoir mais ne veulent s’engager ni à rien ni avec personne, et finissent ainsi par bloquer toute possibilité de créer des processus de transformation et de reconstruction dans nos communautés, dans nos vies. Les béatitudes naissent du cœur miséricordieux qui ne se lasse pas d’espérer. Et il fait l’expérience que l’espérance « est le jour nouveau, l’extirpation d’une immobilité, la remise en cause d’une prostration négative » (PABLO NERUDA, El habitante y su esperanza, p. 5).
En disant heureux le pauvre, celui qui pleure, la personne affligée, le malade, celui qui a pardonné…, Jésus vient extirper l’immobilité paralysante de celui qui croit que les choses ne peuvent pas changer, de celui qui a cessé de croire au pouvoir régénérateur de Dieu le Père et en ses frères, spécialement en ses frères les plus fragiles, en ses frères rejetés. Jésus, en proclamant les béatitudes, vient remettre en cause cette prostration négative appelée résignation qui nous fait croire que nous pouvons vivre mieux si nous esquivons les problèmes ou nous enfermons dans nos conforts, si nous nous endormons dans un conformisme tranquillisant (Cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 2). Cette résignation qui nous conduit à nous isoler de tout le monde, à nous diviser, à nous séparer ; à devenir aveugles face à la vie et à la souffrance des autres.
Les béatitudes sont ce jour nouveau pour tous ceux qui continuent de miser sur l’avenir, qui continuent de rêver, qui continuent de se laisser toucher et pousser par l’Esprit de Dieu.
Qu’il nous fait du bien de penser que Jésus, depuis le Cerra Renca ou Puntilla vient nous dire : heureux… ! Oui, heureux vous et vous ; à chacun de nous. Heureux vous qui vous laissez contaminer par l’Esprit de Dieu et qui luttez et travaillez pour ce jour nouveau, pour ce Chili nouveau, car le royaume des cieux vous appartiendra. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).
Et face à la résignation qui, comme une méchante rumeur, compromet les relations vitales et nous divise, Jésus nous dit : heureux ceux qui œuvrent pour la réconciliation. Heureux ceux qui sont capables de se salir les mains et de travailler pour que d’autres vivent en paix. Heureux ceux qui s’efforcent pour ne pas semer de la division. Ainsi, la béatitude fait de nous des artisans de paix ; elle nous invite à nous engager pour que l’esprit de réconciliation gagne de l’espace parmi nous. Veux-tu l’épanouissement ? Veux-tu le bonheur ? Heureux ceux qui œuvrent pour que les autres puissent avoir une vie épanouie. Veux-tu la paix ? Travaille pour la paix.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer ce grand pasteur de Santiago, quand lors d’un Te Deum il disait : « Si tu veux la paix, travaille pour la justice… Et si quelqu’un nous demande ‘‘qu’est-ce que la justice ?’’ ou si au contraire elle consiste simplement à ‘‘ne pas voler’’, nous lui dirons qu’il existe une autre justice : celle qui exige que chaque homme soit traité comme homme » (Card. Raúl SILVA HENRÍQUEZ, Homélie lors du Te Deum Œcuménique, 18 septembre 1977).
Semer la paix par la proximité, dans le voisinage ! En sortant de sa maison et en regardant les visages, en allant à la rencontre de celui qui est dans une mauvaise passe, qui n’a pas été traité comme une personne, comme un digne enfant de ce pays. C’est pour nous l’unique façon de tisser un avenir de paix, de recoudre une réalité qui peut s’effilocher. L’artisan de paix sait qu’il faut souvent vaincre de grandes ou de petites mesquineries et des ambitions, qui trouvent leur origine dans la prétention de grandir et de ‘‘se faire un nom’’, de gagner du prestige au détriment des autres. L’artisan de paix sait qu’il ne suffit pas de dire : je ne fais de mal à personne, puisque comme disait saint Albert Hurtado : « C’est très bien de ne pas faire de mal, mais il est très difficile de faire du bien » (Meditación radial, avril 1944).
Construire la paix est un processus qui nous place en face d’un défi et stimule notre créativité à créer des relations permettant de voir dans mon voisin non pas un étranger, un inconnu, mais un enfant de ce pays.
Confions-nous à la Vierge Immaculée qui depuis le Cerra San Cristobal protège et accompagne cette ville. Qu’elle nous aide à vivre et à désirer l’esprit des béatitudes ; pour que partout dans cette ville on entende comme un susurrement : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).
© Librairie éditrice du Vatican
Messe au Parque O'Higgins, capture Vatican Media
"Veux-tu la paix ? Travaille pour la paix", lance le pape aux Chiliens
Homélie de la messe au Parque O’Higgins (Texte intégral)