Un colloque intitulé « La Terre, notre Maison commune : défis et espoir » a été organisé, mercredi 9 novembre 2016, à l’UNESCO, à Paris (France), sous le haut-patronage de l’UNESCO et en collaboration avec le Conseil pontifical « Justice et Paix », et avec la Mission permanente d’observation du Saint-Siège à l’UNESCO. Quelque quarante ambassadeurs y ont participé soit, en tout environ 250 personnes.
Les quatre pistes de réflexion qui ont été présentées pour un premier bilan de l’encyclique « Laudato Si’ » publiée par le pape François en juin 2015 sont les suivantes :
– Les concepts clés de l’ « Ecologie intégrale et son évolution dans la Doctrine
sociale de l’Eglise »
– La Lettre Encyclique Laudato Si’, la science et la spiritualité écologique
– Le livre de la nature dans Laudato Si’
– La racine humaine de la crise écologique.
Le point de départ de la réflexion s’inscrivait, explique le Saint-Siège, dans l’appel du pape à un changement de direction de du modèle actuel de développement durable, pour donner plus de centralité aux principes de solidarité, de justice, d’équité et de participation. Surtout à travers la réalisation des trois objectifs interdépendants suivants : promotion de la dignité humaine, lutte contre la pauvreté, et respect de l’environnement.
L’année 2015 a vu l’éveil d’une plus grande conscience au niveau international, souligne le Saint-Siège. Plusieurs conférences organisées à Addis Abeba (Ethiopie, Conférence internationale sur le financement du développement, juillet 2015), New York (Etats-Unis, Assemblée plénière des Nations Unies, septembre 2016), Paris (France, COP 21, décembre 2015) ont mis au centre de l’attention mondiale les thèmes de l’écologie et du développement durable. Et grâce au pape François, l’encyclique a apporté une contribution efficace à ces nouveaux enjeux.
Lors du colloque le cardinal ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson, a fait observer qu’ « avec l’encyclique Laudato Si’, le pape François a souligné les efforts nécessaires pour assurer un futur à notre planète, dans la conviction que le paradigme basé sur la moralité est le seule chemin à prendre pour le bien des générations futures ».
Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, a ouvert le colloque avec une introduction sur l’urgence de promouvoir une « éducation au développement durable ». Il fait sienne « l’invitation pontificale à développer une « écologie de l’humain » (lancée par Benoît XVI et relancée par le Pape François) ».
Voici le texte de l’intervention de Mgr Follo que nous publions avec l’aimable autorisation de la Mission du Saint-Siège, de l’auteur et de l’éditeur. Le texte sera publié dans les Actes du colloque.
Allocution de Mgr Follo
Eminence, le Card. Peter A. Turkson
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
- Introduction
C’est pour moi un honneur et un plaisir de vous donner la bienvenu à l’occasion du Colloque « La Terre, notre Maison commune : défis et espoir ».
Le but du colloque est de présenter et discuter plusieurs pistes de réflexions qui puissent établir un premier bilan de l’Encyclique « Laudato si’ » de Sa Sainteté le Pape François, 18 mois après sa parution, le 24 mai 2015.
En effet, au lendemain de la définition du nouvel agenda 2030 et de la COP 21, la Lettre Encyclique « Laudato Si’ », continue à inspirer les décideurs politiques et les Organisations internationales à agir ensemble dans le but de promouvoir la lutte contre la pauvreté, la promotion de la dignité humaine et le respect de l’environnement.
L’appel du Pape François à une « révolution culturelle », à une « citoyenneté écologique » et à « une éducation à la relation entre l’humanité et l’environnement » rejoint les efforts de l’UNESCO engagé à la promotion d’une éducation au développement durable.
Dans ce contexte, le colloque présente une réflexion sur la Lettre Encyclique « Laudato Si’ » et ses liens avec l’UNESCO avec la même certitude que « l’Humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune ».
Le Pape François a récemment écrit « Comme l’écologie intégrale le met en évidence, les êtres humains sont profondément liés les uns aux autres et à la création dans son ensemble. Quand nous maltraitons la nature, nous maltraitons aussi les êtres humains. En même temps, chaque créature a sa valeur propre intrinsèque qui doit être respectée. Écoutons « tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (Laudato si’, n. 49), et cherchons à comprendre attentivement comment pouvoir assurer une réponse adéquate et rapide » (Message pour la deuxième Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création, 1er septembre 2016, n. 1)
Dans le sillon théorique et pratique de l’Encyclique Laudato si’ je voudrais donner une contribution qui a comme but principal de développer une coresponsabilité, éveiller l’attention et le souci de l’autre, favoriser une intelligence collective. En bref, créer les conditions pour que la gestion de la « maison commune » soit véritablement commune. A partir de l’enseignement et de l’exemple du Pape François, j’essayerai de donner des suggestions pour une réflexion et une action à mener en faveur de la paix durable par l’éducation, la culture et les sciences, qui permettent un développement durable et intégral qui à son tour permet d’habiter la Terre comme maison pour toutes et tous.
Le Saint-Siège et l’UNESCO ont été fortement impliqués dans les travaux de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (Cop 21) l’année dernière à Paris, et ceux de la Cop 22 en cours au Maroc, à Marrakech (7-18 novembre 2016) et je suis sûr que notre Organisation, grâce à son Programme d’action global pour l’éducation en vue du développement durable, joue et jouera davantage un rôle très important pour transformer l’éducation au changement climatique en un élément plus central et plus visible de la réponse internationale au changement climatique. A ce titre, le Saint-Siège a salué la pertinence du paragraphe 01029 du document 38C/5 qui précise la feuille de route de l’UNESCO pour la mise en oeuvre de ce programme. Il cherche à aider les personnes à comprendre l’impact du réchauffement planétaire actuel et à mieux familiariser les jeunes, notamment, au changement climatique la COP 22 : Conférence de l’action. Les axes thématiques s’inscrivent dans la durabilité (avant, pendant, et après la COP22) et portent notamment sur : l’éducation pour le développement durable et sensibilisation au changement climatique ; l’impulsion pour mettre en avant les dimensions éthique, culturelle et scientifique du changement ; le savoir traditionnel et autochtone ; la valorisation des réseaux des réserves de biosphères et des oasis pour l’adaptation et la résilience face au changement climatique ; et la coopération sud – sud, y inclut le secteur privé. En accueillant « l’invitation urgente (du Saint Père) à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète » (Lettre encycl. Laudato si’, n n14). Donc le Pape François nous invite à une éducation « écologique » qui doit tenir compte d’une éthique de la vie et du dialogue. Dialogue qui implique une éducation à l’écoute.
- Education écologique par une éthique du dialogue
Ce dialogue commence avec la prise de conscience qu’ « habiter la Terre » consiste à habiter « en elle » avec un respect, une sobriété et une simplicité dans ce que nous exigeons, prenons, recevons d’elle. Mais c’est aussi habiter « avec elle » et prendre soin d’elle. La planète Terre est un don et une tâche pour nous tous. Faut-il avoir avec elle une attitude contemplative ou utilitariste, pour ne pas dire prédatrice ? La réponse est : il faut une attitude humaine qui vient du travail et de la prise en compte de la responsabilité.
Pourquoi le travail ? Les modalités avec lesquelles l’homme traite l’environnement ont une claire influence sur les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et vice-versa. Il y a une dimension éthique dans l’écologie et dans le travail de la personne humaine. A cet égard, je veux souligner ici que le Saint-Siège partage la nécessité d’établir une déclaration de principes éthiques en rapport avec le changement climatique comme il a été décidé à la 38ème Session de la Conférence Générale (2015). En effet, une écologie de l’humain favorise une écologie de l’environnement et un développement durable intégral. L’homme ne transforme pas seulement la nature en l’adaptant à ses propres nécessités, mais aussi il se réalise comme homme et, dans un certain sens, il devient plus homme (cf. Laborem excercens). Il est important de ne pas oublier que le rapport homme-nature est synthétisé par le travail. En effet, d’une part la nature est expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et nous est donnée par Dieu comme milieu de vie. D’autre part, la nature est à notre disposition comme cadeau de Dieu qui en a dessiné les ordonnément intrinsèques afin que l’homme en tire des orientations pour « la garder et la cultiver » (Gn 2,15), selon une utilisation sage, non instrumentale, ni arbitraire, donc responsable (cf. Veritas in Caritate. 32).
La Responsabilité, qu’est-ce à dire ? Assez simplement, dans la succession des générations, chacune a des devoirs envers celles qui lui succèderont, et que le premier de ces devoirs est de leur léguer les conditions d’une vie humaine sur la Terre des hommes. La responsabilité s’exerce à petite échelle, et nous la connaissons bien — pour n’en citer qu’un cas — chacun doit veiller aujourd’hui à l’éducation de ses enfants, parce que les enfants d’aujourd’hui seront les citoyens de demain. Mais elle s’exerce aussi à grande échelle, et nous sommes tous ici familiers d’un cas privilégié : nous sommes héritiers d’un patrimoine culturel et naturel que nous devons transmettre intact (et enrichi, peut-être) à nos successeurs. Ici encore, l’UNESCO se distingue par son action en faveur de la préservation du pluralisme culturel et le Saint-Siège veut saluer le lancement de la campagne « Unite4Heritage » par la Directrice Générale dont l’objectif est de faire de la protection de la culture un pilier de la construction de la paix. Et cela étant dit, ajoutons l’essentiel de notre propos présent : qu’il n’y a pas de culture et d’héritage culturel et naturel possible si notre « maison commune », notre oikos, la planète que nous habitons, cesse d’être habitable. L’homme doit avoir le droit de penser, le droit de lire de la poésie ou d’écouter de la musique, le droit de prier et beaucoup d’autres encore. Mais où et sous quelles conditions exercer ces droits ? Plusieurs réponses sont possibles, insistons aujourd’hui sur la plus élémentaire : notre habitation sur la Terre. Deux points sautent aux yeux. Le premier est que nous avons tous part à une même nature humaine. Le second est que nous y avons concrètement part, tous et absolument tous, en ce que nous sommes des « terriens ». Cette Terre doit être gérée avec intelligence et prévoyance. En effet, il nous reste assez d’intelligence et de prévoyance pour cesser d’être, vis à vis de notre « maison commune », ceux qui la saccagent, épuisent ses ressources et se désintéressent des générations à venir.
Je ne possède pas « la » solution globale. Ce n’est pas peu, toutefois, que de parler d’une crise que tous reconnaissent et que tous analysent plus ou moins dans les mêmes termes. En termes simples, nous savons tous où nous en sommes. En termes aussi simples, nous savons tous où nous voulons aller : laisser la Terre habitable, ou la rendre habitable à nouveau si nous l’avons saccagée.
A lire et à relire tout ce qui a été écrit depuis qu’une « conscience écologique » est apparue, on conclura aisément que n’ont parlé intelligemment que les porte-parole de ceux qui n’existent pas encore, les générations à venir, qui exercent des droits sur nous tout en n’étant pas là. Il est toujours presque facile de défendre les droits de ceux qui sont là. Défendre les droits de ceux qui ne sont pas encore là est certainement plus difficile. Les voix les plus lucides que je connaisse, et elles sont nombreuses, en tout cas celles qui défendent ces droits.
- Ecologie de l’environnement et écologie de l’humain
Maison se dit oikos, en grec, et le gérant se dit oikonomos, l’économe ou l’intendant. Lorsque le gérant se croit propriétaire, seul son droit compte à ses yeux. Mais lorsque le gérant sait qu’il gère une demeure que d’autres habitent en même temps que lui et, plus encore, que d’autres habiteront après lui, alors le respect des droits d’autrui doit primer pour lui. Le gérant, précisons, n’est pas préposé à l’idolâtrie. Il doit respecter la maison commune par respect pour ceux qui l’habitent et l’habiteront ; et la maison n’existe que pour ceux qui l’habitent et l’habiteront. Une maison doit être aimée, elle doit être entretenue, mais nous ne lui devons pas la vénération que nous ne devons qu’à autrui. Aucun gérant n’est créateur de la maison. Aucun gérant, je l’ai dit, n’est fabricateur d’un homme nouveau. La vérité est moins ambitieuse en théorie mais plus respectable en pratique : le gérant doit être mû par l’amour de son prochain, y compris du prochain qui n’existe pas encore.
Mes propos ont été inspirés par la lettre encyclique Laudato Si’ consacrée il y a peu à notre maison commune par le Pape François.
En conclusion, je fais mienne l’invitation pontificale à développer une « écologie de l’humain » (lancée par Benoît XVI et relancée par le Pape François). L’intelligence commande de respecter l’autre homme autant que la maison que nous habitons ensemble dans la suite des temps : une écologie qui ignorerait les droits de l’homme à être un homme aujourd’hui et demain ne saurait pas ce qu’est une maison. Le Pape François dit que l’intelligence commande réciproquement que nous respections notre maison commune parce qu’en la respectant, nous prouverons notre amour du prochain. Dans tous les dangers qui nous menacent se cache un projet auquel C.S. Lewis a donné son nom, celui d’une « abolition de l’homme ». Il faut évidemment la refuser. Nous avons les moyens intellectuels de la refuser. La refusant, nous prouverons notre amour du prochain, quelles que soient les distances spatiales et chronologiques qui nous séparent de lui. Et comme le verbe « aimer » est toujours liée au verbe « faire », le souci que nous aurons de notre maison commune se traduira en ce qu’il faut appeler par son nom : en une authentique oeuvre de miséricorde.
© Mgr Francesco Follo