Une “conversion intégrale” pour une écologie intégrale, un développement humain intégral, c’est une des lignes force du « document préparatoire » pour le synode des évêques d’octobre 2019 sur l’Amazonie qui aura pour thème “Nouveaux chemins pour l’Église et pour l’écologie intégrale”. Un document qui concerne spécialement la France. Et insiste sur la dimension « maternelle » des réponses à apporter.
La France et l’Europe sont concernées
Ces “Lineamenta” sont en effet publiés et présentés à la presse par le Vatican ce vendredi 8 juin 2018, sous le signe de la fête du Coeur du Christ. Le document, selon la tradition, s’accompagne d’un questionnaire qui assurera un nouvel échange entre Rome et les Eglises locales, en vue de la rédaction de « l’Instrument de travail » qui servira ensuite de trame aux débats du synode. Le document présenté aujourd’hui constitue donc une étape décisive sur le chemin « synodal ».
En quoi consiste cette « conversion intégrale » ? Le premier point c’est certainement que la question de l’Amazonie ne concerne pas seulement l’Eglise et pas seulement l’Eglise des 9 pays nommés, et pas seulement les populations autochtones, mais le monde entier.
Parmi les 9 pays, le document cite : « Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela, y compris la Guyane française comme Territoire d’outre-mer » : l’Eglise de France qui est en Guyane et la France font partie des plus concernés.
C’est pourquoi le synode s’occupe de tout un bassin amazonien et pas seulement de l’Amazonie dans tel ou tel pays : « Reconnaître le territoire amazonien comme bassin, au-delà des frontières des pays, facilite une vision intégrale de la région, essentielle pour la promotion d’un développement d’ensemble et d’une écologie intégrale » (n.9).
Plus encore, la question de l’Amazonie touche l’avenir de toute planète. D’une part parce que c’est un poumon vital, un concentré de forêt primaire et de biodiversité et de cultures qui sont autant de trésors pour les autres cultures. Lors d’une conférence de presse à Rome, au siège de Radio Vatican, le 16 avril 2010, les évêques de la région amazonienne du Brésil, en visite ad limina, avaient averti que l’Europe devait « se réveiller », parce que le désastre actuellement en cours concerne « toute la planète » et en particulier la France, en Guyane. Et qu’au contraire, un vrai projet de développement aurait un impact positif sur toute la région.
Mais d’autre part, l’Amazonie concerne la planète aussi parce que ce qui se dira de l’Amazonie, ce qui se fera pour l’Amazonie, pourra susciter des solutions aussi pour « le bassin du Congo, le couloir biologique méso-américain, les forêts tropicales de l’Asie-Pacifique et l’aquifère Guarani ».
Une conversion intégrale
Avec toutes ses richesses extraordinaires, la région « panamazonienne » est aussi pillée par le « néocolonialisme », à la fois économique et (im)moral. Déjà dans Laudato si’, le pape déplorait « des propositions d’internationalisation de l’Amazonie, qui servent uniquement des intérêts économiques des corporations transnationales ».
La violence déchaînée par les convoitses flagelle la région et les populations. Trois des évêques présents à Rome vivaient sous menace de mort notamment pour leur lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs. Telle religieuse a été assassinée pour son engagement. Les évêques se disaient par ailleurs engagés dans le soutien des populations autochtones opposées aux projets brésiliens de barrages hydro-électriques qui allaient inonder leur territoires de dizaines de milliers d’habitants, et les forcer à partir, c’est-à-dire à quitter leur mode de vie ancestral, leurs valeurs, leurs cultures, pour augmenter le nombre des déracinés voués à un sort misérable, dans un milieu inadapté, aux portes des grandes métropoles.
Les « Lineamenta » s’inscrivent dans cette perspective dénonçant un « néocolonialisme féroce sous couvert de progrès ».
Ainsi, à l’exigence de « développement intégral » promu par l’encyclique Laudato si’– c’est même le nom de l’un des nouveaux dicastères romains – correspond une exigence de « conversion intégrale » à la fois « pastorale et écologique ».
Car le constat est dramatique et les racines du désastre sont spirituelles, comme le pape l’a dit dans un récent message: « La relation harmonieuse entre le Dieu Créateur, les êtres humains et la nature est rompue à cause des effets nocifs de nouvelle politique d’extraction et de la pression des grands intérêts économiques qui exploitent le pétrole, le gaz, le bois, l’or, et à cause de la construction d’infrastructures (par exemple: mégaprojets hydroélectriques, axes routiers comme les routes interocéaniques) et des monocultures industrielles (cf. Fr.PM) » (n. 5).
Une conversion « maternelle »
Plus précisément, le document reprend une des idées force du pontificat du pape François pour qui la conversion suppose de revenir à se comporter en « mère » pour prendre soin de ces populations et de ces terres : « Le Pape dénonce ce modèle de développement anonyme, asphyxiant, sans mère, dont les seules obsessions sont la consommation et les idoles de l’argent et du pouvoir. »
Plus encore : « Il affirme clairement que « la défense de la terre n’a d’autre finalité que la défense de la vie » (Fr. PM). Elle doit être considérée comme une terre sainte : ‘Cette terre n’est pas orpheline! C’est la terre de la Mère’ » (Fr. EP). »
Cette nécessité de la « maternité » se reflète dans la préoccupation du document pour la place de la femme, en particulier dans la pastorale : « Il convient de discerner le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes, en tenant compte du rôle central joué aujourd’hui par les femmes dans l’Église amazonienne. »
Et le questionnaire final demande : « Le rôle des femmes dans nos communautés est de la plus haute importance: comment le reconnaître et comment le mettre en valeur dans l’horizon des nouveaux chemins?” (question 12).
Ces « Lineamenta » en appellent à une prise de conscience en vue de cette « conversion intégrale » : « Ce n’est que lorsque nous sommes conscients de la façon dont notre style de vie et notre manière de produire, de commercer, de consommer et d’éliminer affectent la vie de notre milieu et de nos sociétés, que nous pouvons alors entreprendre un changement de direction intégral. »
C’est un « changement radical » pas seulement au niveau individuel mais dans les structures mêmes : « Changer de cap ou se convertir intégralement ne se réduit pas à une conversion au niveau individuel. Une transformation profonde du cœur, exprimée par un changement de nos habitudes personnelles, est aussi nécessaire qu’une transformation structurelle, exprimée par un changement des habitudes sociales, des lois et des programmes économiques. »
Le document rappelle que « l’Encyclique Laudato si’ (cf. n. 216 sq.) nous invite à une conversion écologique qui implique un style de vie nouveau. »
Il demande une « solidarité globale » pour « dépasser l’individualisme, ouvrir des chemins nouveaux de liberté, de vérité et de beauté ».
Il en va de la responsabilité des consommateurs, dans le monde entier : « La conversion, explique le document, signifie nous libérer de l’obsession de la consommation. Acheter est un acte moral, pas seulement économique. La conversion écologique consiste à assumer la mystique de l’interconnexion et de l’interdépendance de toute la création. La gratuité s’impose dans nos attitudes quand nous concevons la vie comme don de Dieu. Vivre sa vie dans une solidarité communautaire suppose un changement de cœur. »
Surtout, le document demande un regard contemplatif et une écoute, à l’école des populations locales : « Il « est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux » et par leurs cultures, et que le devoir de la nouvelle évangélisation implique de « prêter notre voix à leurs causes, mais [nous sommes aussi appelés] à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (EG 198). Leurs enseignements pourraient, par conséquent, indiquer la voie des priorités des nouveaux chemins de l’Église en Amazonie. »
Le Peuple de Dieu
Un des points forts de cette conversion apparaît, dès les premiers mots du document dans l’expression « peuple de Dieu » qui inclut les populations “autochtones”, “aborigènes” et “peuples natifs” et tous les baptisés, de la planète. C’est certainement une vertu de ce synode « panamazonien » de secouer les consciences et de discerner les responsabilités, planétaires, loin de l’indifférence globalisée et de l’individualisme hédoniste, ailleurs dénoncé par le pape François, notamment lors de ses voyages et ses rencontres avec les populations amazoniennes, comme au Pérou en janvier dernier. Autrement dit, quand l’Amazonie a la parole, pour ouvrir des « chemins nouveaux », c’est en vue du bien commun universel, et cela concerne chacun.
Ainsi, contrairement à « d’autres synodes spéciaux », ce synode « spécial » des évêques pour l’Amazonie ne se réduit pas à une région, il invite à une « conversion intégrale » concrète et globale.
Rencontre avec les Indiens d'Amazonie au Pérou © Vatican Media
Synode pour l’Amazonie: une “conversion intégrale” pour une écologie intégrale
La France, l’Europe, la planète sont concernées