Dans son discours aux autorités du Pérou, ce vendredi 19 janvier 2018, le pape François au prôné une écologie « intégrale » respectueuse des peuples et de chaque personne, de la terre et des fleuves.
Le pape venait de passer la première partie de sa journée auprès des peuples natifs d’Amazonie, à Puerto Maldonado, et auprès des enfants. Il a déjeuné avec des représentants des tribus locales. A son retour, à l’aéroport de Lima, il s’est rendu à la chapelle militaire et a offert une Vierge à l’Enfant, Marie Auxiliatrice, à l’image de la Vierge de Tommaso Lorenzone, commandée, à Turin par Don Bosco, en 1868: c’est la « Vierge des temps difficiles ».
Il devait ensuite rencontrer en privé le président Pedro Pablo Kuczynski lui-même emmêlé dans une affaire de corruption qui a bien failli le conduire à la destitution.
Le pape a invité à faire du Pérou un « lieu d’espérance et d’opportunité », mais « pour tous » et pas pour « quelques uns », sous de nouveaux applaudissements, afin que chacun puisse sentir que c’est « son pays » avec des « relations de fraternité et d’équité ».
Devant les autorités, le pape a aussi rappelé le thème de son voyage: l’espérance, et a assuré de l’engagement de l’Eglise pour que le Pérou apporte l’espérance à tous et pas seulement à quelques uns.
Dans son discours, le pape a nommé les deux grands saints du Pérou, Martin de Porres (+1639), dominicain de Lima, qui parlait aux animaux et qui est le saint patron des métis, et Rose de Lima, première sainte du Nouveau monde, tertiaire dominicaine (+1617) qu’il aime particulièrement, parce que sa grand-mère s’appelait Rosa, mais aussi parce que c’était une sainte dévouée au service des indiens, des enfants abandonnés, des vieillards, des infirmes, et des malades.
Le pape a aussi cité deux auteurs péruviens, car il cite habituellement le patrimoine spirituel, artistique et intellectuel des pays qu’il visite, pour le mettre en valeur.
Le pape a cité José María Arguedas Altamirano (1911-1969), écrivain et ethnologue (« Tous les sangs » – « Todas las sangres », 1964), qui connaissait les indiens quechua, et a recueilli leurs traditions orales. Il était hanté par la scission du pays en deux cultures: celle des montagnes des Andes et la culture hispanisante de la côte.
Cette citation allait dans le sens de l’emploi du temps de la journée du pape, aussi significatif que son discours: la rencontre avec les autorités n’est arrivée qu’en second, après la rencontre avec les peuples natifs.
Le pape a également cité Jorge Basadre Grohmann, historien de son pays notamment, universitaire et homme politique (1903-1980), qui fut ministre de l’Education (« La promesse de la vie péruvienne » – « La promesa de la vida peruana », 1943). Promesse et donc espérance, c’est le thème de la visite du pape.
A.B.
Discours du pape François
Monsieur le Président,
Membres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Distinguées Autorités,
Représentants de la société civile,
Mesdames et Messieurs, vous tous, chers amis:
Arrivant dans cette demeure historique, je rends grâce à Dieu pour l’occasion qu’il m’a donnée de fouler le sol péruvien. Je voudrais que mes paroles soient des mots de salutation et de gratitude à l’adresse de chacun des fils et des filles de ce peuple qui a su maintenir et enrichir sa sagesse ancestrale au cours du temps, et c’est, sans l’ombre d’un doute, l’un de ses patrimoines importants.
Merci, Monsieur Pedro Pablo Kuczynski, Président de la Nation, pour votre invitation à visiter le pays et pour les paroles de bienvenue que vous m’avez adressées au nom de tous. Je viens au Pérou avec la devise “Unis pour l’espérance”. Permettez-moi de vous dire que voir cette terre est, en soi, un motif d’espérance.
Une partie de votre territoire est composée par l’Amazonie, que j’ai visitée ce matin et qui constitue dans sa globalité la plus grande forêt tropicale et le bassin fluvial le plus étendu de la planète. Ce “poumon”, comme on a voulu l’appeler, est l’une des zones de grande biodiversité du monde puisqu’il héberge les espèces les plus variées.
Vous possédez une très riche pluralité culturelle toujours plus en interconnexion, qui constitue l’âme de ce peuple. Une âme marquée par des valeurs ancestrales tels que l’hospitalité, la considération pour l’autre, le respect et la gratitude envers la mère terre et la créativité en ce qui concerne le nouvel esprit d’entreprise, ainsi que par la responsabilité communautaire pour le développement de tous, qui se décline en une solidarité souvent manifestée face aux diverses catastrophes qui ont été vécues.
À ce sujet, je voudrais attirer l’attention sur les jeunes; ils sont le présent le plus vital que cette société possède. Avec leur dynamisme et leur enthousiasme, ils promettent et invitent à rêver un avenir rempli d’espérance qui naît de la rencontre entre la plus haute sagesse ancestrale et le regard nouveau que donne la jeunesse.
Je suis heureux aussi d’un fait historique: savoir que dans ce pays l’espérance a un visage de sainteté. Le Pérou a engendré des saints qui ont ouvert des chemins de foi pour tout le continent américain. Et pour n’en nommer qu’un seul, Martin de Porres, fils de deux paysans, a montré la force et la richesse qui jaillissent chez les personnes quand elles s’affermissent dans l’amour. Et je pourrais allonger cette liste matérielle et immatérielle des raisons d’avoir de l’espérance. Le Pérou est une terre d’espérance qui invite et qui présente des défis pour l’unité de tout son peuple. Ce peuple a la responsabilité de se garder uni précisément, entre autres, pour défendre tous ces motifs d’espérance.
Sur cette espérance une ombre se profile, une menace plane. «Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser» (Lettre enc. Laudato si’, n. 104). Cela se manifeste clairement dans la manière avec laquelle nous sommes en train de dépouiller la terre de ses ressources naturelles sans lesquelles aucune forme de vie n’est possible. La disparition des savanes et des forêts implique non seulement la disparition d’espèces qui pourraient même représenter à l’avenir des ressources extrêmement importantes, mais aussi une disparition de relations vitales qui finissent par altérer tout l’écosystème (cf. ibid., n. 32).
Dans ce contexte, “unis pour défendre l’espérance” signifie impulser et développer une écologie intégrale comme alternative à «un modèle de développement déjà dépassé mais qui continue à engendrer de la dégradation humaine, sociale et environnementale» (Message Urbi et Orbi, Noël 2017). Et cela exige d’écouter, de reconnaître et de respecter les personnes et les populations locales comme des interlocuteurs valables. Elles maintiennent un lien direct avec la terre, elles connaissent ses temps ainsi que ses processus et connaissent, par conséquent, les effets catastrophiques qu’au nom du développement sont en train de provoquer de nombreux projets. Donc, tout le tissu vital qui constitue la nation se détériore. La dégradation de l’environnement, hélas, ne peut être séparée de la dégradation morale de nos communautés. Nous ne pouvons pas les penser comme deux questions distinctes.
Par exemple, l’exploitation minière clandestine est devenue un danger qui détruit la vie des personnes; les forêts et les rivières sont dévastées en même temps que toute la richesse qu’ils possèdent. Tout ce processus de dégradation implique et promeut des organisations, à l’extérieur des structures légales, qui dégradent beaucoup de nos frères en les soumettant à la traite – nouvelle forme d’esclavage -, au travail informel, à la délinquance… et à d’autres maux qui affectent gravement leur dignité, et en même temps, celle de la nation.
Travailler unis pour défendre l’espérance exige d’être très attentif à cette autre forme – souvent subtile – de dégradation environnementale qui contamine progressivement tout le tissu vital : la corruption. Que de mal ne fait pas à nos peuples latino-américains, et aux démocraties de ce continent béni, ce “virus” social, un phénomène qui infecte tout, les pauvres et la mère terre étant les plus lésés. Tout ce qu’on peut faire pour lutter contre ce fléau social mérite le plus grand des soutiens et des aides… et cette lutte nous revient à tous. “Unis pour défendre l’espérance”, implique une plus grande culture de la transparence entre les entités publiques, le secteur privé et la société civile. Personne ne peut rester étranger à ce processus; la corruption peut être évitée et exige l’engagement de tous.
Ceux qui ont une charge de responsabilité, dans quelque domaine que ce soit, je les encourage et je les exhorte à s’engager en ce sens pour donner à votre peuple et à votre terre la sécurité qui naît du sentiment que le Pérou est un lieu d’espérance et d’opportunité… mais pour tous et non pour quelques-uns, afin que tout Péruvien, toute Péruvienne puisse sentir que ce pays est le sien, un pays où il peut établir des relations de fraternité et d’équité avec son prochain et aider l’autre quand il en a besoin, une terre où il peut réaliser son avenir. Et ainsi forger un Pérou qui a de la place pour «tous les sangs» (José María Arguedas, Todas las sangres, Buenos Aires, 1964), où peut se réaliser «la promesse de la vie péruvienne » (Jorge Basadre, La promesa de la vida peruana, Lima, 1958).
Je voudrais renouveler avec vous l’engagement de l’Eglise catholique qui a accompagné la vie de cette nation, dans cette œuvre commune consistant à continuer à travailler afin que le Pérou demeure une terre d’espérance.
Que Sainte Rose de Lima intercède pour chacun de vous et pour cette nation bénie.
Merci beaucoup.
[Texte original: Espagnol] Copyright – Libreria Editrice Vaticana