Devant la « lenteur des progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif critique de développement durable “Zéro faim” d’ici 2030 », Mgr Bernardito Auza tire la sonnette d’alarme. Pour lui, « l’appel à une action urgente est donc fort et clair ».
Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège, est intervenu lors de la soixante-treizième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, à la deuxième commission sur le point 26 de l’ordre du jour : Développement de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de la nutrition à New York, le 12 octobre 2018.
Le problème de la faim et de la malnutrition est « bien plus qu’une question de production », souligne-t-il : « dans une large mesure, il découle d’une répartition inégale ». En d’autres termes, « la nourriture n’est pas là où elle devrait être ».
Le représentant du Saint-Siège a dénoncé les causes de la crise alimentaire mondiale, entre autres « le commerce déloyal » et « les conditions de marché abusives » qui découragent les agriculteurs de produire et de commercialiser plus, les conflits violents et ceux qui sont « exacerbés » par les phénomènes climatiques, et enfin la « culture du gaspillage » dont parle le pape François. Il faut, a-t-il conclu « appliquer le principe d’humanité » à tous les niveaux.
Voici notre traduction de la déclaration de Mgr Auza, en anglais.
HG
Déclaration de Mgr Bernardito Auza
Monsieur le Président,
Le rapport du Secrétaire général sur le développement de l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition donne à nouveau une évaluation alarmante de la lenteur des progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif critique de développement durable « Zéro faim » d’ici 2030. En effet, il ne reste que 12 ans pour atteindre cet objectif et, considérant que le nombre de personnes souffrant de malnutrition chronique dans le monde est passé de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016, ma délégation partage la principale conclusion de ce rapport selon laquelle, selon les tendances actuelles, la faim ne sera pas éradiquée à l’horizon 2030 [1]. Comme l’indique le rapport de 2017 intitulé « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde », cette récente augmentation après un déclin prolongé « pourrait indiquer un renversement des tendances » [2]. L’appel à une action urgente est donc fort et clair.
L’absence de progrès tangibles au cours des deux dernières décennies met en évidence les difficultés pratiques à ramener la faim dans le monde au-dessous des 800 millions, ainsi que la vulnérabilité persistante de larges couches de la population mondiale face aux catastrophes naturelles et au changement climatique. Parmi les personnes sous-alimentées, nombreuses sont les femmes et les jeunes enfants qui vivent dans les zones rurales en tant que petits exploitants familiaux, en particulier en Afrique, où l’insécurité alimentaire touche plus du quart de la population.
Au cours de la dernière année seulement, le nombre de personnes confrontées à une crise d’insécurité alimentaire est passé brutalement de 108 millions dans 48 pays à 124 millions dans 51 pays ; quatre de ces pays, ainsi que 30 millions de personnes, souffrent de la faim sévère, souvent exacerbée par les conflits armés. Malgré une réponse humanitaire généreuse à ces crises, le nombre de personnes touchées par l’insécurité alimentaire a en fait augmenté, ce qui montre que l’assistance humanitaire est essentielle pour éviter la famine, mais qu’elle ne suffit pas à elle seule pour s’attaquer aux causes profondes de la faim et de la famine.
Quelles mesures sont donc nécessaires pour aider à réduire l’insécurité alimentaire dans ces pays ? Des investissements supplémentaires dans l’agriculture, ainsi que de meilleures opportunités pour le commerce des produits agricoles sont deux des instruments importants mis en exergue dans le rapport du Secrétaire Général, qui peuvent contribuer à réduire la vulnérabilité des pays en développement les plus pauvres face à l’insécurité alimentaire actuelle. Des investissements supplémentaires dans l’agriculture sont également essentiels pour améliorer la productivité. Pour les pays en développement incapables d’attirer les investissements privés, les gouvernements doivent intervenir pour accroître la capacité de production du pays. Étant donné que l’agriculture reste un secteur vital en termes de contribution au produit intérieur brut, aux exportations, et notamment à l’emploi dans nombre des pays en développement les plus pauvres, l’amélioration des conditions du commerce est un moyen rapide et efficace de transférer des revenus vers certains des agriculteurs les plus pauvres.
Le problème de la faim et de la malnutrition est cependant bien plus qu’une question de production : dans une large mesure, il découle d’une répartition inégale. Alors que les niveaux actuels de production sont plus que suffisants pour nourrir la population mondiale, la nourriture n’est pas là où elle devrait être. Une abondance de produits ne parvient pas aux personnes qui en ont besoin. Les agriculteurs rencontrent de graves difficultés pour le transport, la vente et la conservation des fruits de leur travail. Le commerce déloyal et des conditions de marché abusives découragent les agriculteurs de produire davantage ou de commercialiser leurs produits.
Les conflits violents sont une autre cause clé de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Selon le rapport de 2017 susmentionné, intitulé « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde », la situation en matière de sécurité alimentaire s’est détériorée, notamment dans les situations de conflit ou de conflits combinés ou exacerbés par les sécheresses, les inondations et d’autres phénomènes liés au climat. [3] Les conflits armés sont non seulement un facteur déterminant de graves crises alimentaires et un facteur contribuant à la récente récurrence de la famine dans certaines régions, mais également un facteur primordial pour toutes les formes de sous-développement, de déplacements forcés et massifs de populations, et de graves violations des droits de l’homme.
Une autre cause majeure de la faim est ce que le pape François appelle une « culture du gaspillage ». Elle est profondément liée à d’autres problèmes graves qui affectent profondément la faim et la malnutrition, à savoir le gaspillage alimentaire et la surconsommation. Le pape François a déclaré que « le consumérisme nous a amenés à nous habituer aux excès et au gaspillage quotidien de denrées alimentaires, dont nous ne sommes plus capables de juger correctement la valeur et qui dépasse de loin les seuls paramètres financiers ». [4] Il note que « pour certains, il suffirait de réduire le nombre de bouches à nourrir pour résoudre ainsi le problème ; mais c’est une fausse solution si l’on considère les niveaux de gaspillage alimentaire et les modèles de consommation qui gaspillent de nombreuses ressources. Réduire, c’est facile; le partage demande à la place une conversion, et c’est exigeant. » [5]
La sécurité alimentaire ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité inviolable de la personne humaine et appelle toutes les personnes et toutes les institutions, à tous les niveaux, à appliquer le principe d’humanité. Ce terme, commun dans le langage international et diplomatique, est une expression de la « règle d’or » qui consiste à aimer son prochain. Le pape François a exprimé l’espoir « que la diplomatie et les institutions multilatérales développent et organisent cette capacité à aimer, car c’est la voie royale qui garantit non seulement la sécurité alimentaire, mais également la sécurité humaine au sens global » [6].
Merci, Monsieur le Président.
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1. Cf. A / 73/293, 65.
2. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et al., La situation de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, 2017.
3. Ibidem.
4. Pape François, Audience générale, 5 juin 2013.
5. Pape François, discours à la FAO à l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, 16 octobre 2017, n. 3
6. Ibid.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Mgr Bernardito Auza, 13/12/2017, capture CTV
ONU, sécurité alimentaire : Mgr Auza tire la sonnette d’alarme
Le « principe d’humanité », règle d’or pour garantir la sécurité humaine