L’Église catholique s’est toujours opposée aux armes nucléaires, rappelle Mgr Auza, « ces instruments de guerre pervers qui créent à la fois un faux sentiment de sécurité et encouragent la méfiance et le désaccord ». D’autre part, souligne-t-il, leur maintien détourne « d’immenses ressources qui pourraient être consacrées », entre autres, « à l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim ». Enfin, il alerte sur « les effets catastrophiques, sur le plan humanitaire et sur l’environnement », de leur utilisation ou d’une erreur toujours possible.
Mgr Bernardito Auza, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies, est intervenu à la première Commission de la soixante-treizième session de l’Assemblée générale de l’ONU, pour le débat thématique sur le désarmement nucléaire, à New York, le 22 octobre 2018.
Le porte-parole du Saint-Siège déplore le fait qu’ « aucune négociation complète sur le désarmement nucléaire n’a jamais eu lieu », cinquante ans après le Traité sur la non-prolifération (TNP). Il « encourage vivement » les gouvernements qui ont adopté le « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » au siège de l’ONU le 7 juillet 2017, à le signer et à le ratifier. Ce « traité historique », estime-t-il, pourrait constituer « un grand pas en avant vers l’élimination de toutes les armes nucléaires ».
Voici notre traduction de la déclaration de Mgr Auza.
HG
Déclaration de Mgr Bernardito Auza
Monsieur le Président,
Une guerre nucléaire serait une catastrophe aux proportions inimaginables. Même une utilisation limitée des armes nucléaires tuerait un nombre incalculable de personnes, causerait des dommages environnementaux et une famine énormes. Le Secrétaire général des Nations Unies a récemment mis en garde : « Nous sommes à une erreur mécanique, électronique ou humaine d’une catastrophe qui pourrait éradiquer des villes entières de la carte » (1) Ma délégation est donc convaincue que les plus de 14 000 armes nucléaires encore existantes, détenues par une poignée de pays, constituent l’un des plus grands défis moraux de notre époque.
L’opposition de l’Église catholique aux armes nucléaires a une longue histoire. En 1943, deux ans et demi avant le test Trinity de 1945, le pape Pie XII (1939-1958), alerté de la découverte de la fission nucléaire, exprima sa profonde préoccupation face à l’utilisation violente de l’énergie nucléaire. Depuis, le Saint-Siège a mis en garde contre les dangers croissants que représentent les armes nucléaires pour l’humanité. Dans sa lettre encyclique de 1963 « Paix sur la terre », quelques mois après la crise d’octobre de 1962, le pape saint Jean XXIII avait appelé à l’interdiction des armes nucléaires. Les papes ultérieurs ont toujours appelé à l’abolition de ces instruments de guerre pervers qui créent à la fois un faux sentiment de sécurité et encouragent la méfiance et le désaccord.
Dans un document historique de 1965, l’Église catholique déclarait : « La course aux armements (nucléaires) est un piège totalement perfide pour l’humanité et un fléau qui blesse les pauvres de manière intolérable. » (2) Aujourd’hui, le maintien des armes nucléaires continue de détourner d’immenses ressources qui pourraient être consacrées, entre autres, à la mise en œuvre et à la réalisation des objectifs de développement durable, notamment l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim.
Au cours de la Guerre froide, le Saint-Siège n’a accepté que de manière limitée la stratégie militaire de dissuasion nucléaire à la stricte condition qu’elle conduise à des mesures de désarmement. Toutefois, ces dernières années et plus particulièrement de nos jours, les grandes puissances ont continué de s’appuyer sur la dissuasion nucléaire et ont commencé la modernisation de leurs arsenaux nucléaires.
Le pape François a clairement déclaré que cette escalade nucléaire était moralement inacceptable : « La dissuasion nucléaire et la menace d’une destruction mutuellement assurée ne peuvent être le fondement d’une éthique de fraternité et de coexistence pacifique. » (3)
S’exprimant lors d’un symposium international en 2017, le pape s’est déclaré gravement préoccupé par les effets catastrophiques, sur le plan humanitaire et sur l’environnement, de l’utilisation des armes nucléaires et, faisant observer le risque d’une détonation accidentelle résultant d’une erreur de quelque nature que ce soit, il a déclaré : « La menace de leur utilisation, ainsi que de leur possession même, doit être fermement condamnée ».
Malheureusement, les États dotés d’armes nucléaires n’ont pas pleinement respecté leur obligation légale, en vertu du Traité de non-prolifération (TNP), de poursuivre de bonne foi les négociations en vue de l’élimination des armes nucléaires. Il y a plus de deux décennies, la Cour internationale de Justice a décidé à l’unanimité que les négociations en vue d’un désarmement nucléaire devaient non seulement être poursuivies mais également conclues. Le TNP aura bientôt cinquante ans et aucune négociation complète sur le désarmement nucléaire n’a jamais eu lieu. La réduction des effectifs par rapport aux sommets de la guerre froide est un pas important dans la direction de l’élimination complète des armes nucléaires, mais il ne faut pas la citer pour masquer la modernisation des armes nucléaires entreprise par certains États dotés d’armes nucléaires.
Exprimant leur vive préoccupation devant les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire et environnemental de l’utilisation de l’arme nucléaire, un nombre important d’États non dotés d’armes nucléaires et de groupes de la société civile ont uni leurs efforts, sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies, pour produire le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, adopté au siège de l’ONU le 7 juillet 2017. Le traité interdit l’utilisation, la menace d’utilisation, le développement, les essais, la production, la fabrication et la possession d’armes nucléaires. Bien que certains États aient affirmé qu’il s’agissait d’une diversion du TNP, ce traité historique pourrait au contraire constituer un grand pas en avant vers l’élimination de toutes les armes nucléaires.
Le Saint-Siège a été l’un des premiers États à signer et à ratifier le Traité. Il entrera en vigueur lorsqu’il aura été ratifié par cinquante États. Ma délégation encourage vivement tous les gouvernements des États qui ont adopté le traité à le signer et à le ratifier.
Aujourd’hui, alors que tant d’analystes avertis mettent en garde contre les dangers extrêmes posés au monde par l’éloignement de nouveaux progrès dans le désarmement nucléaire et avec la condamnation vigoureuse de leur possession par le pape François, le temps d’agir est non seulement mûr, mais urgent. Nous avons besoin d’un dialogue mondial, comprenant à la fois les États dotés et ceux non dotés d’armes nucléaires et les organisations en plein essor qui composent la société civile, « afin de garantir que les armes nucléaires soient interdites une fois pour toutes au profit de notre maison commune » [5].
Merci, Monsieur le Président.
- António Guterres, Remarques à l’Université de Genève sur le lancement du programme de désarmement, 24 mai 2018.
- Concile Vatican II, Constitution pastorale sur le monde moderne, Gaudium et spes, 7 décembre 1965, 81.
- Pape François, Message à l’occasion de la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, 7 décembre 2014.
- Discours prononcé par le pape François devant les participants au colloque international «Perspectives d’un monde exempt d’armes nucléaires et du désarmement intégral», 10 novembre 2017.
- Pape François, Message à l’occasion de la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, 7 décembre 2014.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat