Fin de vie © Twitter @PontAcadLife

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"On a perdu le sens de la mort", déplore Lucetta Scaraffia dans L'Osservatore Romano

Si un centre commercial est plus beau qu’un hôpital

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« La société face à la mort, reflet d’une culture », c’est le titre d’une tribune de Lucetta Scaraffia dans L’Osservatore Romano daté du 12 juillet 2018. « On a perdu le sens de la mort », estime-t-elle en dénonçant l’uniformité des protocoles qui nie la réalité de l’agonie, ainsi que la laideur des hôpitaux : « Si un centre commercial… est plus beau qu’un hôpital ou une morgue… quel est le véritable état de notre culture ? »
L’historienne italienne pointe du doigt « comme il est difficile de mourir dans notre société » : « Un symptôme évident nous le révèle (…) : la demande d’euthanasie. » Pour Lucetta Scaraffia, il s’agit non pas « d’un simple désir de l’être humain devenu arrogant de contrôler tous les aspects de sa vie », mais d’une « réaction – même si elle est mauvaise – à une expérience de plus en plus répandue : voir combien il est difficile de mourir pour ceux qui sont hospitalisés – c’est-à-dire presque tout le monde – à cause de traitements administrés d’une manière qui ressemble beaucoup à de l’acharnement thérapeutique ».
Dénonçant « les calvaires thérapeutiques, qui débouchent ensuite sur de très longues agonies, des personnes âgées hospitalisées », elle souligne que si « personne ne veut cruellement maintenir en vie des êtres humains, souvent très âgés, qui souffrent », cependant « on est dans un système général qui, dans un sens, oblige tout le monde à se comporter de façon insensée ».
En effet, même si les protocoles de traitement sont essentiels, Lucette Scaraffia note qu' »il y a aussi beaucoup d’aspects négatifs qui pénalisent surtout les personnes âgées » : « Les thérapies, en fait, sont fournies à égalité pour tous les âges, et le modèle de personne choisi est celui d’un jeune qui a toutes les chances de guérison. Appliquer les mêmes thérapies à une personne de 90 ans peut devenir un exemple d’acharnement thérapeutique. »
Déplorant aussi « des exemples opposés qui se heurtent à des décisions impitoyables » de mauvaise prise en charge, elle plaide pour « une voie intermédiaire de bon sens, parcourue par les médecins… pourquoi pas soutenus par une commission d’éthique à consulter rapidement, sans trop de bureaucratie, mais capable de comprendre la réalité de la vie humaine ».
Un complot du déni et du silence
« On a perdu le sens de la mort au sens le plus profond du mot, de la mort comme moment de vérité et de salut de toute une vie humaine », déplore la chroniqueuse : « dans les hôpitaux, les malades, même s’ils ont 90 ans, sont soumis à toutes sortes de traitements comme s’ils devaient encore vivre de longues années, comme si leur corps était fort et non déjà affaibli, comme s’ils devaient se battre comme de jeunes athlètes pour leur vie. Essentiellement, comme s’il n’y avait pas de mort. Comme si la mort ne les attendait pas, pour un processus naturel qui touche tous les êtres humains. »
« Ainsi, au lieu de reconnaître les signes d’une mort imminente, le malade est encouragé à lutter contre le mal, à s’accrocher à la vie », ajoute Lucetta Scaraffia en taclant un « climat d’optimisme forcé et faux ».
Et de faire observer : « Le laisser mourir en l’empêchant de souffrir, en évitant les interventions qui prolongent son agonie comme l’alimentation par transfusion, serait au contraire juste et approprié. Mais cela obligerait les médecins à admettre que la médecine n’est pas toute puissante, et les proches à ne pas aller au tribunal pour protester contre la suspension de certains traitements. Cela obligerait tout le monde à considérer la mort comme une éventualité inévitable. »
« Un complot du déni et du silence se resserre autour de l’homme mourant, qui – on le voit à son regard effrayé – voudrait parler de ce qui l’attend, de sa peur, peut-être même penser à ses dernières volontés qu’il n’ose pas dire non plus, dans un tel déferlement d’espérances exhibées », poursuit Lucetta Scaraffia : « tous devant la mort nous sommes pris d’angoisse, nous devons en parler, mais il semble impossible de briser le tabou ».
Si un centre commercial est plus beau qu’un hôpital
« Heureusement, souligne l’historienne, dans de nombreux cas, nous voyons qu’il y a la grâce, que Dieu ne fait pas attention aux horribles circonstances dans lesquelles le mourant est plongé : la même personne qui, la nuit précédente, semblait terrifiée, peut se transformer le lendemain en une image de paix, de douceur pour les autres… L’approche du mystère de la mort peut enseigner beaucoup de choses, sur la mort et la vie, et c’est une des bonnes occasions pour saisir l’action de l’Esprit. Mais seulement si nous ne sommes pas trop occupés à fermer les yeux, à tout effacer par peur. Parce que c’est certainement la peur qui domine sur le moment, qui paralyse. »
Lucetta Scaraffia met en relief un dernier paradoxe : la laideur des morgues et des hôpitaux. « Dès qu’il mourra, son corps sera emmené à la morgue, qui se trouve toujours dans l’endroit le plus horrible de l’hôpital, avec des murs abîmés par l’humidité, souvent à côté de la décharge d’ordures. L’endroit où aller pour une visite est déjà en soi une pénitence, sans parler des relations qui lient les morts et de la douleur pour sa perte. »
Elle conclut ainsi : « Si nous pensons que la culture humaine est témoignée, dans ses premières formes préhistoriques, par l’existence du culte des morts, nous devons conclure que, au-delà de nos objectifs technoscientifiques, nous tombons très bas. Si un centre commercial, un restaurant, un cinéma – nous ne sommes désormais capables que de construire cela – est plus beau qu’un hôpital ou une morgue … quel est le véritable état de notre culture ? Qui sommes-nous ? Qui sommes-nous en train de devenir ? »
Avec une traduction d’Océane Le Gall

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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