Oeuvres pontificales missionnaires © L'Osservatore Romano

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Message du pape François aux Oeuvres pontificales missionnaires (texte complet)

Dieu agit par « attraction », gratuitement

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Le pape François adresse un message aux Oeuvres pontificales missionnaires dont l’assemblée générale aurait dû se tenir ce 21 mai 2020, comme le pape l’explique lui-même au début de ce message, publié ce jeudi de l’Ascension en italien, français, anglais, espagnol et portugais.

Dans un tweet, le pape insiste sur le lien entre l’annonce de l’Evangile et la gratitude, selon l’envoi en mission rapporté par l’évangile de la messe de l’Ascension:  » La joie d’annoncer l’Évangile brille toujours sur fond d’une mémoire reconnaissante. Le fait de se mettre “en état de mission” est un reflet de la gratitude. C’est la réponse de celui qui par gratitude se rend docile à l’Esprit, et donc est libre. »

Dans son message le pape rappelle que Dieu agit par « attraction », gratuitement, et que la réponse c’est la gratitude, l’humilité. Mais aussi la simplicité: « Faciliter, ne pas compliquer ». Et la « proximité ». Pour le pape il y a aussi le « sensus fidei » du Peuple de Dieu, et la prédilection de l’Eglise pour les petits, les pauvres.

Mais après avoir souligné ces qualités de l’évangélisateur le pape François énumère quelques « pièges à éviter » et donne quelques conseils.

Les pièges à éviter (pour toute institution ecclésiastique dit le pape): auto-référencialité, auto-promotion;  souci de commander « comme si l’Église était le fruit de nos analyses, de nos programmes, de nos accords et de nos décisions »; élitisme: éviter de former ses membres selon « les systèmes et les logiques mondains du militantisme ou de la compétence technico-professionnelle, toujours avec l’intention principale de promouvoir ses propres prérogatives oligarchiques »; l’isolement du peuple: « La tentation élitiste, dans certaines structures liées à l’Église, s’accompagne parfois d’un sentiment de supériorité et d’impatience à l’égard de la multitude des baptisés, envers le peuple de Dieu qui fréquente peut-être les paroisses et les sanctuaires, mais qui n’est pas composé de “militants” engagés dans des organisations catholiques »;  l’abstraction: « extrait du contexte réel, tout peut être transformé en simulacre, même les références à la foi, les appels verbaux à Jésus et au Saint-Esprit »; et le fonctionnalisme: « une Église qui a peur de compter sur la grâce du Christ et qui se concentre sur l’efficacité de son organisation est déjà morte ».

C’est pourquoi le pape exprime ces recommandations: « maintenez ou redécouvrez l’insertion des OPM au sein du Peuple de Dieu »; « veiller à ce que la structure essentielle des OPM reste celle liée aux pratiques de la prière et de la collecte de fonds pour la mission »; « les OPM sont et doivent être vécues comme un instrument au service de la mission dans les Eglises particulières, dans l’horizon de la mission de l’Eglise qui embrasse toujours le monde entier »; « le service assuré par les OPM permet aux opérateurs d’entrer en contact avec d’innombrables réalités »: « il ne peut pas y avoir de bureaucrates ou de fonctionnaires de la mission »; la « gratitude » pour « échapper plus facilement aux pièges des replis autoréférentiels », et « sortir de soi, en suivant Jésus »; « concernant la collecte de fonds pour aider la mission, à l’occasion de nos précédentes rencontres j’avais rappelé le risque de transformer les OPM en une ONG entièrement consacrée à la recherche et à la distribution de fonds »; « en ce qui concerne l’utilisation des dons reçus, examinez toujours, avec un sensus Ecclesiae approprié, la redistribution des fonds qui soutiennent les structures et les projets qui mènent à bien, de manières variées, la mission apostolique et l’annonce de l’Évangile dans diverses parties du monde »; « quant aux pauvresne les oubliez pas vous non plus »; « que les OPM, avec leur réseau répandu dans le monde entier, reflètent la riche variété du « peuple aux mille visages » rassemblé par la grâce du Christ, avec sa ferveur missionnaire »: « les OPM ne sont pas une entité en soi dans l’Église, suspendue dans le vide. Elles en font partie. Parmi leurs spécificités, qui doivent toujours être cultivées et renouvelées, figure le lien spécial qui les unit à l’Evêque de l’Église de Rome, qui préside à la charité ».

« Allez avec enthousiasme: au long du cheminement qui vous attend, il y a beaucoup de choses à faire », conclut le pape qui indique comme modèle la Visitation de Marie à Elisabeth.

Voici le message du pape aux OPM dans la traduction officielle.

AB

Message du pape François aux Oeuvres pontificales missionnaires

Etant donc réunis, ils l’interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant, le temps où tu vas restaurer la royauté d’Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » A ces mots, sous leurs regards, il s’éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux (Ac 1, 6-9).

Or, le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s’assit à la droite de Dieu. Alors, les disciples s’en allèrent prêcher en tout lieu. Le Seigneur agissait avec eux, confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient (Mc 16, 19-20).

Puis il les emmena vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Et il advint, comme il les bénissait, qu’il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Pour eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient continuellement dans le temple à louer Dieu (Lc 24, 50-53).

*.*.*

Chers frères et sœurs!

Cette année, j’avais décidé de participer à votre Assemblée Générale annuelle, le jeudi 21 mai, Fête de l’Ascension du Seigneur. Puis, l’Assemblée a été annulée en raison de la pandémie qui nous implique tous. C’est ainsi que je voudrais envoyer à tous ce message, afin de vous communiquer les choses que j’avais à cœur de vous dire. Cette fête chrétienne, dans les temps inimaginables que nous vivons, me semble encore plus riche en suggestions pour le cheminement et la mission de chacun de nous et de toute l’Église.

Nous célébrons l’Ascension comme une fête, et pourtant elle commémore la séparation de Jésus d’avec ses disciples et d’avec ce monde. Le Seigneur monte au Ciel, et la liturgie orientale raconte l’émerveillement des anges en voyant un homme qui, avec sa chair, s’élève à droite du Père. Cependant, alors que le Christ est sur le point de monter au ciel, les disciples – qui l’ont pourtant vu ressuscité – ne semblent pas encore avoir bien compris ce qui s’est passé. Jésus commence l’accomplissement de son Royaume, et ses disciples se perdent encore en conjectures. Ils lui demandent s’il va restaurer la royauté d’Israël (cf. Ac1, 6). Mais, lorsque le Christ les quitte, au lieu d’être tristes, ils retournent à Jérusalem « en grande joie », comme l’écrit Luc (cf. 24, 52). Ce fait serait étrange si quelque chose ne s’était pas passé. En fait, Jésus leur a déjà promis la force du Saint-Esprit, qui descendra sur eux à la Pentecôte. Ceci est le miracle qui change tout. Ils deviennent plus assurés lorsqu’ils confient tout au Seigneur. Ils sont pleins de joie. Et la joie en eux est la plénitude de la consolation, la plénitude de la présence du Seigneur.

Paul écrit aux Galates que la plénitude de joie des Apôtres n’est pas l’effet d’émotions qui procurent satisfaction et rendent joyeux. C’est une joie débordante qui ne peut être vécue que comme fruit et don du Saint-Esprit (cf. 5, 22). Recevoir la joie de l’Esprit est une grâce. Elle est la seule force que nous puissions avoir pour prêcher l’Évangile, pour professer la foi au Seigneur. La foi, c’est témoigner de la joie que le Seigneur nous donne. Une telle joie, personne ne peut se la donner à soi-même.

Avant de quitter ses disciples, Jésus leur a dit qu’il leur enverrait l’Esprit, le Consolateur. Ainsi, il a confié aussi à l’Esprit l’œuvre apostolique de l’Église, tout au long de l’histoire, jusqu’à son retour. Le mystère de l’Ascension, avec l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte, imprime et transmet à la mission de l’Église son caractère génétique le plus intime à tout jamais: celui d’être l’œuvre du Saint-Esprit et non la conséquence de nos réflexions et intentions. C’est ce caractère qui la rend féconde et la préserve de toute autosuffisance présumée, de la tentation de prendre en otage la chair du Christ – monté au Ciel – en vue de ses propres projets cléricaux de pouvoir.

Lorsque, dans la mission de l’Église, on ne saisit pas et on ne reconnaît pas l’œuvre actuelle et efficace du Saint-Esprit, cela signifie que même les paroles de la mission – voire les plus exactes ou les plus réfléchies – ne sont plus que des « discours de sagesse humaine », utilisés pour se donner la gloire ou pour refouler et masquer ses déserts intérieurs.

LA JOIE DE L’ÉVANGILE

Le salut est la rencontre avec Jésus, qui nous aime et nous pardonne, en nous envoyant l’Esprit qui nous console et nous défend. Le salut n’est pas la conséquence de nos initiatives missionnaires, ni même de nos discours sur l’incarnation du Verbe. Le salut de chacun ne peut arriver que par le regard de la rencontre avec Lui, qui nous appelle. Pour cette raison, le mystère de la prédilection commence et ne peut commencer que dans un élan de joie, de gratitude. La joie de l’Évangile, cette « grande joie » des pauvres femmes qui, au matin de Pâques, étaient allées au Sépulcre du Christ et l’avaient trouvé vide; et qui, ayant rencontré les premières Jésus ressuscité, avaient couru le dire aux autres (cf. Mt 28, 8-10). C’est seulement de cette manière que le fait d’être choisis et aimés peut témoigner, par nos vies, la gloire du Christ ressuscité devant le monde entier.

Les témoins, dans toute situation humaine, sont ceux qui attestent ce qui a été fait par quelqu’un d’autre. Dans ce sens, et seulement dans ce sens, nous pouvons être témoins du Christ et de son Esprit. Après l’Ascension, comme le raconte la fin de l’Évangile de Marc, les Apôtres et les disciples «s’en allèrent prêcher en tout lieu. Le Seigneur agissait avec eux, confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (16, 20). Le Christ, par son Esprit, donne son propre témoignage à travers les œuvres qu’il accomplit en nous et avec nous. L’Église – Saint Augustin l’expliquait déjà – ne prierait pas le Seigneur pour demander que la foi soit donnée à ceux qui ne connaissent pas le Christ, si elle ne croyait pas que c’est Dieu lui-même qui convertit et attire à lui les volontés des hommes; l’Eglise ne ferait pas prier ses enfants pour demander au Seigneur de persévérer dans la foi au Christ si elle ne croyait pas que le Seigneur a lui-même nos cœurs en son pouvoir. Car si l’Eglise lui demandait ces choses, mais pensait pouvoir se les donner à elle-même, cela voudrait dire que toutes ces prières ne sont pas authentiques mais sont des formules vides, des “manières de dire”, des convenances imposées par le conformisme ecclésiastique (cf. Le don de la persévérance. A Prosper et à Hilaire, 23, 63).

Si on ne reconnaît pas que la foi est un don de Dieu, même les prières que l’Église lui adresse n’ont aucun sens. Et on n’exprime à travers elles aucune passion sincère pour le bonheur et le salut des autres, et de ceux qui ne reconnaissent pas le Christ ressuscité, même si on consacre du temps à organiser la conversion du monde au christianisme.

C’est le Saint-Esprit qui enflamme et garde la foi dans les cœurs, et le fait de reconnaître cela change tout. En fait, c’est l’Esprit qui enflamme et anime la mission, il l’imprègne des connotations « génétiques », des accents et des mouvements singuliers qui font de l’annonce de l’Évangile et de la confession de la foi chrétienne une autre chose par rapport à tout prosélytisme politique ou culturel, psychologique ou religieux.

J’ai rappelé bon nombre de ces traits distinctifs de la mission dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium. J’en reprends ici certains.

Attraction. Le mystère de la Rédemption est entré dans le monde et continue d’y opérer grâce à une attraction qui peut gagner le cœur des hommes et des femmes parce qu’elle est et semble plus attrayante que les séductions qui ont prise sur l’égoïsme, conséquence du péché. «Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire», dit Jésus dans l’Évangile de Jean (6, 44). L’Église a toujours répété que c’est pour cette raison qu’on suit Jésus et qu’on annonce son Évangile: la puissance d’attraction exercée par le Christ lui-même et par son Esprit. L’Église – a déclaré le Pape Benoît XVI – croît dans le monde par attraction et non par prosélytisme (cf. Homélie de la messe d’ouverture de la Cinquième Conférence Générale de l’Episcopat d’Amérique latine et des Caraïbes, Aparecida, 13 mai 2007: AAS 99 [2007], 437). Saint Augustin disait que le Christ se révèle à nous en nous attirant. Et, pour donner une image de cette attraction, il citait le poète Virgile, selon lequel chacun est attiré par ce qui lui plaît. Jésus non seulement convainc notre volonté, mais attire notre plaisir (Commentaire sur l’Évangile de Jean, 26, 4). Si l’on suit Jésus, heureux d’être attiré par lui, les autres le remarquent. Et ils peuvent s’en étonner. La joie qui transparaît chez ceux qui sont attirés par le Christ et par son Esprit, voilà ce qui peut rendre féconde et fructueuse chaque initiative missionnaire.

Gratitude et gratuité. La joie d’annoncer l’Évangile brille toujours sur fond d’une mémoire reconnaissante. Les Apôtres n’ont jamais oublié le moment où Jésus a touché leur cœur: «C’était environ la dixième heure, c’est-à-dire quatre heures du soir» (Jn1, 39). L’histoire de l’Église brille lorsque la gratitude se manifeste en elle pour l’initiative gratuite de Dieu, parce que «c’est lui qui nous a aimés» le premier (1 Jn 4, 10), parce que «c’est Dieu seul qui donne la croissance» (1 Co 3, 7). La prédilection aimante du Seigneur nous surprend et l’émerveillement, de par sa nature, ne peut pas être possédé ou imposé par nous. On ne peut pas “s’émerveiller par force”. Ce n’est que de cette manière que le miracle de la gratuité, du don gratuit de soi-même, peut s’accomplir. Même la ferveur missionnaire ne peut jamais être obtenue à la suite d’un raisonnement ou d’un calcul. Le fait de se mettre “en état de mission” est un reflet de la gratitude. C’est la réponse de celui qui par gratitude se rend docile à l’Esprit, et donc est libre. Sans percevoir la prédilection du Seigneur, qui nous rend reconnaissants, même la connaissance de la vérité, voire la connaissance même de Dieu, affichées comme une propriété à atteindre par ses propres forces, deviendrait en fait une « lettre qui tue » (cf. 2 Co 3, 6), comme l’ont montré in primis Saint Paul et Saint Augustin. Ce n’est que dans la liberté de la gratitude que l’on reconnait vraiment le Seigneur. A l’inverse, il est inutile et surtout inapproprié d’insister à présenter la mission et la proclamation de l’Évangile comme si elles étaient un devoir contraignant, une sorte “d’obligation contractuelle” des baptisés.

Humilité. Si la vérité et la foi, si le bonheur et le salut ne sont pas notre propriété, un objectif à atteindre par nos propres mérites, l’Évangile du Christ ne peut être annoncé qu’avec humilité. On ne peut jamais penser servir la mission de l’Église en faisant preuve d’arrogance en tant qu’individus et à travers les structures, avec l’orgueil de celui qui dénature même le don des sacrements et les paroles les plus authentiques de la foi chrétienne, les considérant comme un butin qu’il nous a mérité. On peut être humble non pas par bonne éducation, ni pour vouloir paraître attrayant. On est humble si on suit le Christ, qui a dit à ses disciples: «Apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur» (Mt 11, 29). Saint Augustin se demande pourquoi, après la résurrection, Jésus ne s’est fait voir qu’à ses disciples et non à ceux qui l’ont crucifié; et il répond que Jésus ne voulait pas donner l’impression de «défier ses assassins d’une manière ou d’une autre. En effet, il était plus important pour lui d’enseigner l’humilité à ses amis plutôt que d’exhiber la vérité à ses ennemis» (Discours 284, 6).

Faciliter, ne pas compliquer. Un autre trait de l’œuvre missionnaire authentique est celui qui fait référence à la patience de Jésus qui, aussi dans les récits de l’Évangile, a toujours accompagné les étapes de croissance des personnes avec miséricorde. Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut rendre le cœur de Dieu plus heureux que les grands pas de ceux qui avancent dans la vie sans grandes difficultés. Un cœur missionnaire reconnaît la condition réelle dans laquelle se trouvent les personnes réelles, avec leurs limites, leurs péchés, leurs faiblesses, et se fait « faible avec les faibles » (1 Co 9, 22). “Sortir” en mission pour atteindre les périphéries humaines ne signifie pas errer sans direction et sans sens, comme des vendeurs impatients qui se plaignent parce que les gens sont trop frustes et primitifs pour s’intéresser à leur marchandise. Il s’agit parfois de ralentir le rythme, pour accompagner ceux qui sont restés au bord de la route. Parfois, il faut imiter le père de la parabole du fils prodigue, qui laisse les portes ouvertes et scrute l’horizon chaque jour en attendant le retour de son fils (cf. Lc 15, 20). L’Église n’est pas une douane, et quiconque participe de quelque manière que ce soit à la mission de l’Église est appelé à ne pas ajouter des fardeaux inutiles à la vie déjà chargée des gens, à ne pas imposer des voies de formation sophistiquées et pénibles pour profiter de ce que le Seigneur donne avec facilité. Ne pas mettre d’obstacles au désir de Jésus, qui prie pour chacun de nous et veut guérir et sauver tout le monde.

Proximité dans la vie concrète. Jésus a rencontré ses premiers disciples sur les rives du lac de Galilée alors qu’ils étaient occupés par leur travail. Il ne les a pas rencontrés lors d’une convention, d’un séminaire de formation ou dans un temple. Depuis toujours, l’annonce du salut de Jésus atteint les gens là où ils sont et tels qu’ils sont, dans leur vie concrète. L’ordinaire de la vie de chacun, en participant aux besoins, aux espoirs et aux problèmes de tous, est le lieu et la condition dans lesquels ceux qui ont reconnu l’amour du Christ et ont reçu le don du Saint-Esprit peuvent rendre raison, à ceux qui le demandent, de la foi, de l’espérance et de la charité. Et cela, en marchant avec les autres, au côté de chacun. Surtout en ce temps-ci, il ne s’agit pas d’inventer des formations « réservées », de créer des mondes parallèles, de construire des bulles médiatiques dans lesquelles on fait écho à ses propres slogans, à ses propres déclarations d’intention, réduites à de rassurants « nominalismes déclaratifs ». J’ai rappelé en d’autres circonstances, à titre d’exemple, que dans l’Église, il y en a qui continuent à lancer avec emphase le slogan: « C’est le temps des laïcs! », mais en attendant, l’horloge semble s’être arrêtée.

Le « sensus fidei » du Peuple de Dieu. Il y a une réalité dans le monde qui a une espèce de “flair” pour le Saint-Esprit et pour son action. C’est le Peuple de Dieu, appelé et aimé par Jésus, qui à son tour continue de Le chercher et d’avoir recours à Lui dans les soucis de la vie. Le Peuple de Dieu mendie le don de son Esprit: il confie son attente aux paroles simples des prières et ne s’installe jamais dans la présomption de son autosuffisance. Le saint Peuple de Dieu, rassemblé et oint par le Seigneur, est rendu infaillible « in credendo », en vertu de cette onction, comme l’enseigne la Tradition de l’Église. L’œuvre du Saint-Esprit confère au Peuple des fidèles un « instinct » de foi – le sensus fidei – qui l’aide à ne pas se tromper lorsqu’il croit aux choses de Dieu, même s’il ne connaît pas les raisonnements et les formules théologiques pour définir les dons qu’il expérimente. Le mystère du peuple pèlerin, qui, avec sa spiritualité populaire, marche vers les sanctuaires et se confie à Jésus, à Marie et aux saints, puise et se révèle connaturel à l’initiative libre et gratuite de Dieu, sans avoir à suivre des plans de mobilisation pastorale.

Prédilection pour les petits et les pauvres. Tout élan missionnaire, s’il est animé par le Saint-Esprit, manifeste une prédilection pour les pauvres et les petits comme signe et reflet de la préférence du Seigneur pour eux. Les personnes directement impliquées dans les initiatives et les structures missionnaires de l’Église ne devraient jamais justifier leur inattention aux pauvres avec l’excuse – largement utilisée dans certains cercles ecclésiastiques – de devoir concentrer leurs énergies sur les tâches prioritaires de la mission. La préférence pour les pauvres n’est pas une option facultative pour l’Église.

Les dynamiques et les approches décrites ci-dessus font partie de la mission de l’Église, animée par le Saint-Esprit. Habituellement, dans les déclarations et les discours ecclésiastiques, on reconnaît et on affirme la nécessité du Saint-Esprit comme source de la mission de l’Église. Mais, il arrive aussi que cette reconnaissance se réduise à une sorte “d’hommage formel” à la Très Sainte Trinité, à une formule conventionnelle d’introduction aux interventions théologiques et aux plans pastoraux. Il existe de nombreuses situations dans l’Église où la primauté de la grâce ne demeure qu’un postulat théorique, une formule abstraite. Il arrive que de nombreuses initiatives et instances liées à l’Église, au lieu de laisser transparaître l’œuvre du Saint-Esprit, finissent par n’être qu’auto-référentiels. De nombreuses structures ecclésiastiques, à tous les niveaux, semblent être en proie à l’obsession de se promouvoir elles-mêmes et leurs propres initiatives. Comme si tel était le but et l’horizon de leur mission.

Jusqu’à présent, j’ai voulu reprendre et proposer de nouveau les critères et les points d’attraction sur la mission de l’Église que j’avais déjà formulés de manière plus détaillée dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium. Je l’ai fait parce que je pense qu’il est également utile et fructueux, voire urgent, pour les OPM de se mesurer avec ces critères et suggestions, à ce niveau de leur parcours.

LES OPM ET LE TEMPS PRÉSENT.
TALENTS À DÉVELOPPER, TENTATIONS ET MALADIES À ÉVITER

Vers quelle direction devons-nous regarder pour le présent et pour l’avenir des OPM? Quels obstacles risquent par contre d’en alourdir le cheminement?

Dans la physionomie, je dirais dans l’identité, des Œuvres Pontificales Missionnaires, on distingue quelques traits spécifiques – certains, pour ainsi dire, génétiques, et d’autres acquis au long du parcours historique – qui sont souvent négligés ou tenus pour sûrs. Or, précisément, ces traits peuvent sauvegarder et rendre précieuse, surtout à l’heure actuelle, la contribution de ce “réseau” à la mission universelle à laquelle toute l’Église est appelée.

– Les Œuvres Missionnaires sont nées spontanément de la ferveur missionnaire exprimée par la foi des baptisés. Il existe et demeure une consonance profonde, une familiarité entre les Œuvres Missionnaires et le sensus fidei infaillible in credendo du Peuple fidèle de Dieu.

– Les Œuvres Missionnaires, depuis le début, ont avancé en marchant sur deux “voies”, ou plutôt sur deux routes, toujours parallèles, qui, dans leur simplicité, ont toujours été familières au cœur du Peuple de Dieu: la voie de la prière et celle de la charité, sous la forme de l’aumône, qui «sauve de la mort et purifie de tout péché» (Tb 12, 9), la «charité fervente» qui «recouvre une multitude de péchés» (1P 4, 8). Les initiateurs des Œuvres Missionnaires, à commencer par Pauline Jaricot, n’ont pas inventé les prières et les œuvres à qui confier leurs désirs concernant la proclamation de l’Évangile, mais ils les ont simplement tirées du trésor inépuisable des gestes les plus familiers et habituels du Peuple de Dieu en marche dans l’histoire.

– Les Œuvres Missionnaires, nées de manière gratuite dans la vie du peuple de Dieu, de par leur configuration simple et concrète, ont été reconnues et estimées par l’Église de Rome et par ses Évêques, lesquels ont demandé, au siècle dernier, de pouvoir les adopter comme un instrument particulier du service rendu par elles à l’Église universelle. De cette façon, le qualificatif « Pontificales » a été attribué à ces Œuvres. Dès lors, les OPM se distinguent comme instrument de service en soutien aux Églises particulières, dans l’œuvre d’annonce de l’Évangile. De la même manière, les Œuvres Pontificales Missionnaires se sont offertes avec docilité comme instrument au service de l’Église, dans le ministère universel exercé par le Pape et par l’Église de Rome, qui « préside dans la charité ». En ce sens, suivant leur propre chemin, et sans entrer dans des conflits théologiques complexes, les OPM ont contredit les arguments de ceux qui, même dans les cercles ecclésiastiques, opposent indûment charismes et institutions, lisant toujours les relations entre ces réalités à travers une « dialectique des principes »trompeuse ; alors que dans l’Église, même les éléments structurels permanents – tels que les sacrements, le sacerdoce et la succession apostolique – doivent être continuellement recréés par l’Esprit Saint et ne sont pas à la disposition de l’Église comme des biens acquis (cf. Card. J. RATZINGER, Les mouvements ecclésiaux et leur situation théologique. Discours à la Conférence mondiale des mouvements ecclésiaux, Rome, 27-29 mai 1998).

– Les Œuvres Missionnaires, depuis leur première diffusion, se sont structurées comme un réseau capillaire répandu dans le Peuple de Dieu, pleinement ancré et de fait « ajusté » au réseau des institutions antérieures et des réalités de la vie ecclésiale, telles que les diocèses, les paroisses, communautés religieuses. La vocation particulière des personnes impliquées dans les Œuvres Missionnaires n’a jamais été vécue et perçue comme une voie alternative, une appartenance “externe” par rapport aux formes de vie ordinaires des Églises particulières. L’invitation à prier et à collecter des fonds pour la mission a toujours été vécue comme un service à la communion ecclésiale.

– Les Œuvres Missionnaires, devenues au fil du temps un réseau étendu sur tous les continents, reflètent par leur configuration même la variété d’accents, de conditions, de problèmes et de dons qui caractérisent la vie de l’Église dans les différents lieux du monde. Une pluralité qui peut protéger contre les récupérations idéologiques et les unilatéralismes culturels. En ce sens, le mystère de l’universalité de l’Église peut également être vécu à travers les OPM, dans lesquelles le travail incessant du Saint-Esprit crée l’harmonie entre les différentes voix, tandis que l’Evêque de Rome, par son service de charité, exercé également par le biais des Œuvres Pontificales Missionnaires, garantit l’unité dans la foi.

Toutes les caractéristiques décrites jusqu’ici peuvent aider les Œuvres Pontificales Missionnaires à éviter les pièges et les pathologies qui entravent leur cheminement et celui de nombreuses autres institutions ecclésiales. Je voudrais en souligner quelques-uns.

PIÈGES À ÉVITER

Auto-référencialité. Au-delà des bonnes intentions des individus, certaines organisations et entités ecclésiales finissent parfois par se replier sur elles-mêmes, dépensant énergies et attention avant tout à leur auto-promotion et à la célébration publicitaire de leurs initiatives. D’autres semblent être dominées par l’obsession de redéfinir continuellement leur importance et leurs espaces au sein de l’Église, avec la justification de vouloir mieux relancer leur mission. En conséquence – disait alors le cardinal Joseph Ratzinger – s’alimente la trompeuse idée qu’une personne est d’autant plus chrétienne qu’elle est plus engagée dans des structures intra-ecclésiales, alors qu’en réalité presque tous les baptisés vivent la foi, l’espérance et la charité dans leur vie ordinaire, sans jamais apparaître dans les comités ecclésiastiques et sans se soucier des derniers développements de politique ecclésiastique (cf. Une Société à réformer sans cesse, Conférence au Meeting de Rimini, 1er septembre 1990).

Souci de commander. Il arrive parfois que des institutions et des organismes, nés pour aider les communautés ecclésiales, en servant les dons suscités en eux par l’Esprit Saint, prétendent, au fil du temps, exercer la suprématie et les fonctions de contrôle sur les communautés qu’ils devraient servir. Cette attitude s’accompagne presque toujours de la présomption d’exercer envers les autres le rôle de “détenteurs” et dispensateurs de licences de légitimité. De fait, dans ces cas, on se comporte comme si l’Église était le fruit de nos analyses, de nos programmes, de nos accords et de nos décisions.

Élitisme. Parmi les personnes qui font partie d’organismes et de réalités organisées dans l’Église, s’installe souvent un sentiment élitiste, cette idée inavouée d’appartenir à une aristocratie; une classe supérieure de spécialistes qui cherche à élargir ses propres espaces en complicité ou en concurrence avec d’autres élites ecclésiastiques, et qui forme ses membres suivant les systèmes et les logiques mondains du militantisme ou de la compétence technico-professionnelle, toujours avec l’intention principale de promouvoir ses propres prérogatives oligarchiques.

Isolement du peuple. La tentation élitiste, dans certaines structures liées à l’Église, s’accompagne parfois d’un sentiment de supériorité et d’impatience à l’égard de la multitude des baptisés, envers le peuple de Dieu qui fréquente peut-être les paroisses et les sanctuaires, mais qui n’est pas composé de “militants” engagés dans des organisations catholiques. Dans ces cas, le peuple de Dieu est également considéré comme une masse inerte, qui a toujours besoin d’être relancée et mobilisée à travers une “prise conscience” à stimuler par des raisonnements, des rappels, des enseignements. On agit comme si la certitude de la foi était le résultat d’un discours de persuasion ou de méthodes de formation.

Abstraction. Des organismes et des réalités liés à l’Église, lorsqu’ils deviennent autoréférentiels, perdent contact avec la réalité et tombent dans la maladie de l’abstraction. On multiplie des lieux inutiles d’élaboration stratégique pour produire des projets et des lignes directrices qui ne servent qu’à l’autopromotion de leurs auteurs. Les problèmes pris en compte sont alors fractionnés dans des laboratoires intellectuels, où tout est maîtrisé et interprété selon les clés idéologiques préférées. Extrait du contexte réel, tout peut être transformé en simulacre, même les références à la foi, les appels verbaux à Jésus et au Saint-Esprit.

Fonctionnalisme. Les organisations autoréférentielles et élitistes, y compris dans l’Église, finissent souvent par tout miser sur l’imitation des modèles mondains d’efficacité, tels ceux imposés par la concurrence économique et sociale exacerbée. Le choix du fonctionnalisme garantit l’illusion de « résoudre les problèmes » avec équilibre, de garder les choses sous contrôle, d’augmenter sa propre importance, d’améliorer l’administration ordinaire de ce qui existe. Cependant, comme je vous l’ai déjà dit lors de notre rencontre de 2016, une Église qui a peur de compter sur la grâce du Christ et qui se concentre sur l’efficacité de son organisation est déjà morte, même si les structures et les programmes en faveur des clercs et des laïcs “auto-engagés” devaient durer des siècles.

CONSEILS POUR LE CHEMINEMENT

Regardant le présent et vers l’avenir, et en recherchant aussi dans le parcours des OPM les ressources pour surmonter les pièges qui se dressent sur leur cheminement afin d’avancer, je me permets de faire quelques suggestions pour aider votre discernement. Puisque vous vous êtes aussi engagés dans une voie de réexamen des OPM, que vous voulez inspiré par les indications du Pape, je propose à votre attention quelques critères et traits généraux, sans entrer dans les détails, étant donné que les différents contextes peuvent requérir des adaptations et des variations.

1) Autant que possible, et sans faire trop de conjectures à ce sujet, maintenez ou redécouvrez l’insertion des OPM au sein du Peuple de Dieu, leur ajustement dans la trame de la vie réelle dans laquelle elles sont nées. Une plus profonde « immersion » dans la vie réelle des personnes telles qu’elles sont fera du bien. Cela fait du bien à chacun de sortir du renfermement de ses problématiques personnelles, lorsqu’on suit Jésus. Il faut descendre dans les circonstances et les conditions concrètes, même en veillant ou en essayant de réintégrer la capillarité de l’action et des contacts des OPM, dans son entrelacement avec le réseau ecclésial (diocèses, paroisses, communautés, groupes). En privilégiant l’ajustement au Peuple de Dieu, avec ses lumières et ses difficultés, on échappe mieux au piège de l’abstraction. Il faut répondre à des questions et à des besoins réels, plutôt que de formuler et de multiplier des propositions. Peut-être dans le corps à corps avec la vie concrète, et non pas à partir des cercles fermés ou des analyses théoriques sur leurs dynamiques internes, des intuitions utiles pourraient surgir pour changer et améliorer leurs procédures de fonctionnement, en les adaptant aux différents contextes et circonstances.

2) Je suggère de veiller à ce que la structure essentielle des OPM reste celle liée aux pratiques de la prière et de la collecte de fonds pour la mission. Cette structure est précieuse et chère précisément en raison de sa nature simple et concrète. Elle exprime l’affinité des OPM avec la foi du Peuple de Dieu. Avec toute la flexibilité et les adaptations requises, il convient que cette conception de base des OPM ne soit pas oubliée ou déformée. Prières au Seigneur car c’est lui qui ouvre les cœurs à l’Évangile, et invitations à tous afin qu’ils soutiennent aussi concrètement l’œuvre missionnaire: il y a en cela une simplicité et un caractère concret que chacun peut ressentir avec plaisir en ce temps présent où, même dans les circonstances du fléau de la pandémie, se fait sentir partout le désir de trouver et de rester proche de tout ce qu’est simplement l’Église. Recherchez donc de nouvelles voies, de nouvelles formes pour votre service; mais, ce faisant, il n’est pas nécessaire de compliquer ce qui est simple.

3) Les OPM sont et doivent être vécues comme un instrument au service de la mission dans les Eglises particulières, dans l’horizon de la mission de l’Eglise qui embrasse toujours le monde entier. En cela réside leur contribution toujours précieuse pour l’annonce de l’Évangile. Nous sommes tous appelés à sauvegarder, par amour et gratitude, même à travers vos œuvres, les germes de la vie théologale que l’Esprit du Christ fait éclore et croître où il veut, même dans les lieux désertiques. S’il vous plaît, dans la prière, demandez d’abord au Seigneur de nous rendre tous davantage prêts à saisir les signes de son œuvre, pour ensuite les faire connaître au monde entier. Seul ceci peut être utile: demander pour nous, pour le fond de notre cœur, que l’invocation du Saint-Esprit ne se réduise pas à un postulat stérile et redondant de nos rencontres et homélies. Il n’est pas utile de spéculer et de théoriser sur de super stratégies ou sur les « directives centralisées » de la mission, à qui confier, comme à des « gardiens » présumés et immodestes de dimension missionnaire de l’Eglise, la tâche de réveiller l’esprit missionnaire ou de donner aux autres des licences pour la mission. Si dans certaines situations la ferveur de la mission diminue, c’est le signe que la foi faiblit. Dans ces cas, la prétention à raviver la flamme qui s’éteint par des stratégies et des discours finit par l’affaiblir encore plus, et ne fait que faire avancer le désert.

4) De par sa nature, le service assuré par les OPM permet aux opérateurs d’entrer en contact avec d’innombrables réalités, situations et événements qui font partie du grand flux de la vie de l’Église dans tous les continents. Dans ce flux, on peut tomber sur de nombreuses pesanteurs et scléroses qui accompagnent la vie ecclésiale, mais aussi sur des dons gratuits de guérison et de consolation que le Saint-Esprit répand dans la vie quotidienne de ce que l’on pourrait appeler la « classe moyenne de sainteté ». Quant à vous, réjouissez-vous et exultez de joie à cause des rencontres que vous expérimentez grâce au travail des OPM, vous laissant surprendre par ces rencontres. Je pense aux récits entendus de tant de miracles qui se produisent chez les enfants, qui rencontrent peut-être Jésus à travers les initiatives proposées par l’Enfance missionnaire. C’est pourquoi votre travail ne doit jamais être “stérilisé” dans une dimension exclusivement bureaucratico-professionnelle. Il ne peut pas y avoir de bureaucrates ou de fonctionnaires de la mission. Votre gratitude peut à son tour devenir un don et un témoignage pour tout le monde. Vous pouvez raconter pour le réconfort de tous, par les moyens dont vous disposez et sans artifice, les histoires de personnes et de communautés que vous pouvez rencontrer avec plus de facilité que d’autres; des personnes et des communautés sur lesquelles brille gratuitement le miracle de la foi, de l’espérance et de la charité.

5) La gratitude devant les merveilles que le Seigneur opère parmi ses bien-aimés, les pauvres et les petits auxquels il révèle les choses tenues cachées aux sages (cf. Mt 11, 25-26), peut aussi vous permettre d’échapper plus facilement aux pièges des replis autoréférentiels, et de sortir de soi, en suivant Jésus. L’idée d’une activité missionnaire autoréférentielle qui passe son temps à contempler ses propres initiatives et à s’auto-encenser serait en soi absurde. Ne perdez pas trop de temps et d’énergies à vous « regarder dans la glace », à élaborer des plans autocentrés sur des mécanismes internes, sur la fonctionnalité et les compétences de votre structure. Portez votre regard à l’extérieur, ne vous regardez pas dans le miroir. Brisez tous les miroirs de la maison. Les critères à suivre, même dans la mise en œuvre des programmes, doivent viser à alléger, à assouplir les structures et les procédures, plutôt qu’à alourdir le réseau des OPM avec d’autres éléments organisationnels. Par exemple, chaque Directeur national, au cours de son mandat, devrait s’engager à identifier quelques potentiels successeurs, en ayant comme seul critère celui de ne pas choisir des personnes de son cercle d’amis ou les membres de sa « coterie » ecclésiastique, mais plutôt des personnes qui lui semblent avoir plus de ferveur missionnaire que lui.

6) Concernant la collecte de fonds pour aider la mission, à l’occasion de nos précédentes rencontres j’avais rappelé le risque de transformer les OPM en une ONG entièrement consacrée à la recherche et à la distribution de fonds. Cela dépend du cœur avec lequel on fait les choses, plutôt que des choses que l’on fait. Dans la collecte de fonds, il peut certainement être conseillé et même approprié d’utiliser avec créativité des méthodologies mises à jour pour trouver des financements auprès d’éventuels mécènes méritants. Mais si, dans certaines régions, la collecte de dons diminue, notamment en raison de la perte de la mémoire chrétienne, dans ces cas, la tentation peut nous venir de vouloir résoudre le problème en “couvrant” la réalité et en se focalisant sur un système de collecte plus efficace qui va à la recherche de grands donateurs. Au contraire, la souffrance pour la perte de foi et la baisse des fonds ne devrait pas être occultée, elle doit être placée entre les mains du Seigneur. De toute façon, il est bon que la demande d’offrandes pour les missions soit toujours adressée prioritairement à la multitude des baptisés, en se concentrant également d’une manière nouvelle sur la collecte pour les missions qui est effectuée dans les églises de tous les pays en octobre, à l’occasion de la Journée Missionnaire Mondiale. L’Église a avancé depuis toujours grâce aussi à l’offrande de la veuve, à la contribution de toutes ces innombrables personnes qui se sentent guéries et réconfortées par Jésus et qui, pour cette raison, débordant de gratitude, donnent ce qu’elles ont.

7) En ce qui concerne l’utilisation des dons reçus, examinez toujours, avec un sensus Ecclesiae approprié, la redistribution des fonds qui soutiennent les structures et les projets qui mènent à bien, de manières variées, la mission apostolique et l’annonce de l’Évangile dans diverses parties du monde. Tenez toujours compte de véritables besoins essentiels des communautés, et évitez en même temps les formes d’assistance qui, au lieu d’offrir des outils à la ferveur missionnaire, finissent par refroidir les cœurs et alimenter des phénomènes de clientélisme parasitaire, aussi dans l’Église. Par votre contribution, visez à donner des réponses concrètes à des besoins objectifs, sans gaspiller les ressources dans des initiatives caractérisées par l’abstraction, l’autoréférentialité ou nées du narcissisme clérical de l’un ou de l’autre. Ne cédez pas aux complexes d’infériorité ou aux tentations d’émulation envers ces organisations super-fonctionnelles qui collectent des fonds pour des causes justes, utilisées ensuite, pour un bon pourcentage, afin de financer leur propre fonctionnement et faire la publicité de leur marque. Même cela devient parfois un moyen de prendre soin de ses propres intérêts, tout en montrant qu’on travaille pour le bien des pauvres et des nécessiteux.

8) Quant aux pauvresne les oubliez pas vous non plus. Telle était la recommandation que, au Concile de Jérusalem, les Apôtres Pierre, Jean et Jacques ont donnée à Paul, Barnabé et Titus, venus discuter de leur mission parmi les incirconcis: «Ils nous ont seulement demandé de songer aux pauvres» (Ga 2, 10). Après cette recommandation, Paul a organisé des collectes en faveur des frères de l’Église de Jérusalem (cf. 1 Co 16, 1). La prédilection pour les pauvres et les petits fait partie de la mission d’annoncer l’Évangile depuis le début. Les œuvres de charité spirituelle et corporelle envers eux témoignent d’une « préférence divine » qui défie la vie de foi de tous les chrétiens, appelés à avoir les mêmes sentiments que Jésus (cf. Ph 2, 5).

9) Que les OPM, avec leur réseau répandu dans le monde entier, reflètent la riche variété du « peuple aux mille visages » rassemblé par la grâce du Christ, avec sa ferveur missionnaire. Une ferveur qui n’est pas, toujours et partout, intense et vive de la même manière. En tout cas, en partageant la même urgence à confesser le Christ mort et ressuscité, elle s’exprime avec des accents différents, s’adaptant aux différents contextes. La révélation de l’Évangile ne s’identifie à aucune culture. Aussi, dans la rencontre de nouvelles cultures qui n’ont pas reçu la prédication chrétienne, il n’est pas nécessaire d’imposer une forme culturelle spécifique avec la proposition évangélique. Aujourd’hui, même dans le travail des OPM, il ne convient pas de porter de lourds bagages; il vaut mieux que ces Œuvres gardent leur profil varié et leur référence commune aux traits essentiels de la foi. La prétention de standardiser la forme de l’annonce peut être aussi préjudiciable à l’universalité de la foi chrétienne, en se concentrant entièrement sur des clichés et des slogans à la mode dans quelques cercles de certains pays culturellement ou politiquement dominants. À cet égard, la relation spéciale qui unit les OPM au Pape et à l’Église de Rome représente également une ressource et un soutien à la liberté, qui aide tous à échapper aux modes éphémères, aux nivellements des écoles de pensée unilatérale ou aux uniformisations culturelles d’empreinte néo-colonialiste. Des phénomènes qui se produisent malheureusement même dans des contextes ecclésiaux.

10) Les OPM ne sont pas une entité en soi dans l’Église, suspendue dans le vide. Elles en font partie. Parmi leurs spécificités, qui doivent toujours être cultivées et renouvelées, figure le lien spécial qui les unit à l’Evêque de l’Église de Rome, qui préside à la charité. Il est beau et réconfortant de reconnaître que ce lien se manifeste dans un travail accompli dans la joie, sans rechercher des applaudissements ni afficher des prétentions. Une œuvre qui, dans sa gratuité même, se relie au service du Pape, serviteur des serviteurs de Dieu. Je vous demande que le caractère distinctif de votre proximité avec l’Évêque de Rome consiste précisément en ceci: le partage de l’amour de l’Église, reflet de l’amour envers le Christ, vécu et exprimé en silence, sans s’enfler, sans marquer « ses propres territoires ». Par un travail de chaque jour qui puise dans la charité et dans son mystère de gratuité; par un travail qui soutient d’innombrables personnes qui sont intérieurement reconnaissantes, mais ne savent même pas qui remercier, car ne connaissant rien des OPM, pas même le nom. Le mystère de la charité dans l’Église se réalise de cette manière. Continuons d’avancer ensemble, heureux de marcher au milieu des épreuves grâce aux dons et aux consolations du Seigneur. Cependant, à chaque étape, reconnaissons dans la joie de n’être tous que des serviteurs inutiles, à commencer par moi.

CONCLUSION

Allez avec enthousiasme: au long du cheminement qui vous attend, il y a beaucoup de choses à faire. S’il y a des changements à apporter dans les procédures, il est bon qu’ils visent à alléger, et non à augmenter les poids; qu’ils visent à faire gagner en flexibilité opérationnelle, et non à produire de nouveaux systèmes rigides et toujours menacés d’introversion. Ayez à l’esprit qu’une centralisation excessive, au lieu d’aider, peut compliquer la dynamique missionnaire. Et aussi, une articulation des initiatives à l’échelle purement nationale met en péril la physionomie même du réseau des OPM, tout comme l’échange de dons entre Églises et communautés locales, vécu comme le fruit et le signe tangible de charité entre frères, en communion avec l’Evêque de Rome.

Dans tous les cas, demandez toujours que toute considération concernant la structure opérationnelle des OPM soit éclairée par la seule chose nécessaire: un peu d’amour vrai pour l’Église, comme reflet de l’amour pour le Christ. Votre travail est un service rendu à la ferveur apostolique, c’est-à-dire à un élan de vie théologale que seul le Saint-Esprit peut opérer dans le Peuple de Dieu. Quant à vous, pensez à bien faire votre travail «comme si tout dépendait de vous, sachant qu’en réalité tout dépend de Dieu» (Saint Ignace de Loyola). Comme je vous l’ai déjà dit lors d’une rencontre, ayez la promptitude et la disponibilité de Marie. Lorsqu’elle est allée voir Elisabeth, Marie n’a pas agi à titre personnel: elle est allée en tant que servante du Seigneur Jésus qu’elle portait dans ses entrailles. Elle n’a rien dit d’elle-même, elle n’a fait que porter le Fils et louer Dieu. Ce n’était pas elle la protagoniste. Elle est allée comme la servante du seul protagoniste de la mission. Mais elle n’a pas perdu de temps, elle est allée en toute hâte pour assister sa parente. Elle nous enseigne cette disponibilité, cette promptitude, cette hâte de la fidélité et de l’adoration.

Que la Vierge vous garde, vous et les Œuvres Pontificales Missionnaires, et que son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, vous bénisse. Avant de monter au Ciel, il nous a promis d’être toujours avec nous. Jusqu’à la fin des temps.

Donné à Rome, près Saint Jean de Latran, le 21 mai 2020, Solennité de l’Ascension du Seigneur

FRANÇOIS

[00656-FR.01] [Texte original: Italien]
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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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