« L’unité de la Pentecôte triomphe de la division de Babel », c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de la messe du dimanche 20 mai 2018 (Pentecôte – Année B – Ac 2, 1-11; Ps 103; Ga 5, 16-25; Jn15, 26-27; 16, 12-15).
« A la Pentecôte, l’Esprit Saint, par le don des langues, montre que sa présence unit et transforme la confusion en communion », souligne l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris qui invite à passer « de la Babel de l’égoïsme à la Pentecôte de l’Amour ».
1) De la tour de Babel au Cénacle de la Pentecôte
La première lecture de ce dimanche de Pentecôte est tirée des Actes des Apôtres et raconte l’événement de la Pentecôte, tout en faisant allusion, de manière sous-jacente, à l’histoire de la tour de Babel. (cf Gn 11, 1-9).
Qu’est-ce que signifie le récit de la construction de la tour de Babel? Il décrit un royaume où les hommes avaient acquis un tel pouvoir qu’ils pensaient être capables de construire, tout seuls, une route menant au ciel pour en ouvrir les portes et se mettre à la place de Dieu. Mais à ce moment-là, il se produisit quelque chose d’inattendue. Alors que les hommes étaient en train de travailler ensemble pour construire la tour, à l’improviste, ils se rendirent compte qu’ils étaient en train de travailler les uns contre les autres. Alors qu’ils cherchaient à être comme Dieu, sans l’aide de Dieu, ils étaient devenus moins « hommes », abîmant en eux le fait d’avoir été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui est communion, parce qu’ils avaient perdu un élément fondamental de la personne humaine: la capacité à se mettre d’accord, à se comprendre et à travailler ensemble.
Ce récit de l’Ancien Testament contient une vérité éternelle, que le Cardinal de Lubac a résumé ainsi: « On peut construire une ville sans Dieu mais elle sera toujours contre l’homme ».
Nous pouvons constater la véracité de l’affirmation de ce grand Jésuite en repensant à l’histoire lointaine et récente de l’humanité. Avec le progrès des sciences et des techniques, nous sommes arrivés à pouvoir dominer les forces de la nature, manipuler les éléments, fabriquer des êtres vivants, presque déjà l’être humain lui-même. Dans cette situation, prier Dieu semble quelque chose de dépassé, d’inutile, parce que nous pouvons nous-même construire et réaliser tout ce que nous voulons. Mais le chaos et le mal qui en dérivent nous font nous rendre compte que nous sommes en train de revivre la même expérience de Babel.
L’unité que les hommes voulaient construire à Babel reposait sur un projet décidé par l’homme et avait pour objectif la gloire de l’homme: « Allons! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre » (Gn 11, 4). C’est un projet d’unité qui naît de la volonté de puissance et de gloire, c’est à dire qui naît de l’orgueil.
En revanche, à la Pentecôte, l’Esprit Saint, par le don des langues, montre que sa présence unit et transforme la confusion en communion. L’orgueil et l’égoïsme de l’homme créent toujours des divisions, élèvent des murs d’indifférence, de haine et de violence. L’Esprit Saint, au contraire, rend les cœurs capables de comprendre les langues de chacun, parce qu’il rétablit le pont de l’authentique communication entre la terre et le ciel. L’Esprit Saint est Amour. L’Église est donc, plutôt que la nouvelle Babel, l’anti-Babel, vivifiée du feu de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte.
Si nous voulons que la Pentecôte ne se réduise pas à un simple rite ou à une simple commémoration suggestive, mais soit un événement réel de salut, nous devons mendier le don de l’Esprit Saint en nous mettant humblement et silencieusement à l’écoute de la Parole de Dieu et répéter souvent peut-être l’invocation : « Viens Esprit Saint, Viens par Marie ».
En ce jour de la Pentecôte, nous devons, comme la Sainte Vierge, nous ouvrir complètement à ce don de Dieu, l’accueillir en nous pour que toute notre humanité, attirée et assumée par le Verbe, devienne un seul corps avec le Christ et pour qu’en ne vivant qu’une seule vie avec le Christ notre Seigneur, toute notre vie soit transfigurée et devienne pur amour: amour pour Dieu et amour pour nos frères.
Pour que la Pentecôte se renouvelle en nous aujourd’hui, nous devons être moins tourmentés par les choses à faire et plus appliqués à la prière, parce que, plus nous serons unis à Dieu, plus nous serons unis entre nous dans le cénacle de l’Église, qui proclame que le Christ est le centre du monde.
Si avec l’aide de l’Esprit Saint, nous passons de la Babel de l’égoïsme à la Pentecôte de l’Amour, « nous nous décentrerons de nous-même et nous nous recentrerons sur Dieu » (cf Pierre Teilhard de Chardin) et nous vivrons « agrégés »(1), en communion joyeuse et forte.
L’Esprit Saint, en se donnant, façonne l’être humain dans l’unité, comme Saint Irénée l’enseignait déjà: « L’homme s’est échappé des mains de Dieu à cause du péché mais voici que les mains de Dieu le ressaisissent et le modèlent à nouveau et les mains de Dieu sont le Verbe et l’Esprit Saint ». Ces mains doivent se saisir de chacun de nous pour nous modeler de nouveau selon l’image de Dieu et nous redonner l’unité. « Dispersés, divisés intérieurement, c’est par l’amour de Dieu et dans l’amour de Dieu que nous serons restaurés dans une parfaite unité, ainsi notre corps répondra à l’esprit, la loi de notre corps ne contrariera pas la loi de notre esprit et ainsi, c’est tout notre être qui se consumera dans la louange divine, dans l’amour » (Divo Barsotti).
2) La Pentecôte de Marie et la Pentecôte avec Marie
Saint Luc décrit avec soin le cercle de la première communauté qui attend la Pentecôte: « Tous unanimes (les onze apôtres), ils étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie la mère de Jésus et avec les frères de Jésus » (Act 1, 14). Il y a donc quatre catégories de personnes présentes au cénacle le jour de la Pentecôte:
- Les Apôtres qui sont les colonnes de soutènement de l’Église naissante. Ils ont rencontré Jésus ressuscité en Galilée (cf Mc 14, 27-28) et ils sont retournés à Jérusalem pour attendre l’Esprit selon la promesse faite par Jésus lors du dernier repas (cf Lc 24, 42-49; Ac 1, 4-5).
- Les femmes. Il s’agit probablement des femmes que Saint Luc nomment dans l’Évangile comme étant présentes à la crucifixion, à la sépulture et à la résurrection de Jésus (Lc 8, 1-3; 23, 49.55; 24.10). Dans la première assemblée de Pentecôte, ce groupe de pieuses femmes n’a pas été moins sensible que les autres à la descente de ce Dieu qui se montre comme feu. L’amour qui les a retenues au pied de la croix de Jésus et qui les a conduites les premières au sépulcre, le matin de Pâques, s’est ravivé d’une nouvelle ardeur. Les langues de feu se sont arrêtées au dessus de chacune d’entre elles et elles aussi seront éloquentes à parler du Maître aux Hébreux et aux Païens.
- Marie est la seule femme présentée par son nom et sa fonction: « Mère de Jésus ». Par sa présence qui témoigne de la réalité historique de l’incarnation, elle est l’élément de continuité entre la naissance du Christ et la naissance de l’Église, toutes deux œuvres de l’Esprit.
- Les frères de Jésus, c’est à dire sa famille, qui sont passés d’une incrédulité initiale, à la foi en le Ressuscité, surtout lorsque celui-ci est apparu à Jacques, comme le rappelle Saint Paul (cf 1 Cor 15, 7). Alors le deuil familial pour la mort de Jésus s’est transformé en joie pascale.
C’est sur la présence de la Vierge Marie, mère du Christ, dans le cénacle, le jour de la Pentecôte, que je voudrais partager quelques brèves réflexions supplémentaires.
Imaginons-nous présents au cénacle et Marie plus que jamais « Pleine de Grâce ». Comme le jour de l’Annonciation, elle est remplie d »Esprit Saint: « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre » (Lc 1, 35). Ainsi le jour de la Pentecôte, l’Esprit Saint « étend son ombre » sur l’Église naissante parce que, sous son souffle, celle-ci reçoit la force « d’annoncer les merveilles de Dieu » (cf Ac 2, 11). Ce qui dans l’incarnation s’était produit dans le sein de Marie, trouve maintenant un nouvel accomplissement.
Une nouvelle mission commence pour la Mère du Christ. Nous pouvons dire que ce jour-là, l’Église est générée par Elle. C’est de Marie que naît au monde l’Épouse de son Fils et de nouveaux devoirs l’attendent. Jésus est désormais monté au Ciel et a laissé sa Mère sur la terre afin qu’elle prodigue ses soins maternels à l’Église naissante, son Corps mystique. C’est émouvant et consolant de savoir que l’Église naissante est accueillie dans les bras de Marie, nourrie par elle, soutenue par ses soins déjà dès ses premiers pas au monde. La langue de feu qui s’est posée sur la tête de la Sainte Vierge ne la fera pas parler en public mais la fera parler aux apôtres en les guidant et en consolidant leur mission d’évangélisateurs.
La Vierge Marie, Mère du Christ et de l’Église se dédie totalement à cette nouvelle et maternelle mission. Le 3 mars 2018, le Pape François a établi la célébration de la mémoire obligatoire de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Église, qui sera célébrée tous les lundis de Pentecôte. Cette nouvelle fête liturgique voulue par le Pape François augmente la croissance du sens maternel de l’Église.
Dans ce contexte, les Vierges consacrées sont un exemple pour nous : par leur don complet d’elles-mêmes au Christ et par leur vie exemplaire, elles vivent une maternité spirituelle dans la joie. « Réjouissez-vous vierges du Christ: la mère du Christ est votre sœur. Vous n’avez pas pu être mères du Christ dans la chair mais c’est par amour du Christ que vous n’avez pas voulu être mères. Celui qui n’est pas né de vous, est né pour vous. Cependant rappelez-vous ses paroles – et vous devez vous les rappeler – vous aussi, vous êtes ses mères parce que vous faites la volonté de son Père » (Saint Augustin, Discours 192).
C’est une maternité spirituelle vécue dans le service de la charité et dans la prière qui est dialogue. En effet, dans le dialogue avec Dieu, elles s’ouvrent au dialogue avec toutes les personnes qu’elles rencontrent et pour lesquels elles sont mères, mères des enfants de Dieu (cf Rite de la consécration des Vierges, 29).
Notes :
1- En effet, Saint Thomas d’Aquin appelle l’amour de Dieu « agrégatif » et l’amour de soi « ségrégatif ». « L’amour de Dieu est « agrégeant » dans la mesure où il ramène le désir de l’homme d’une multiplicité de choses à une seule chose. L’amour de soi en revanche disperse, désagrège le désir humain dans la multiplicité des choses. En effet l’homme s’aime lui-même en désirant pour lui les biens temporels qui sont multiples et divers » (Somme théologique, II-IIae, q.73, a.1, ad3).
2- Dans l’Encyclique Redemptoris Mater au numéro 24, Jean Paul II souligne le rôle de la Vierge Marie dans la naissance de l’Église et laisse entrevoir une continuité de la maternité de Marie: « Il y a donc, dans l’économie de la grâce, réalisée sous l’action de l’Esprit Saint, une correspondance unique entre le moment de l’Incarnation du Verbe et celui de la naissance de l’Église. La personne qui fait l’unité entre ces deux moments est Marie: Marie à Nazareth et Marie au Cénacle de Jérusalem. Dans les deux cas, sa présence discrète, mais essentielle, montre la voie de la «naissance par l’Esprit». Ainsi celle qui est présente dans le mystère du Christ comme Mère est rendue présente -par la volonté du Fils et par l’Esprit Saint- dans le mystère de l’Église. »
Lecture patristique
Saint Aelred de Rielvaux (+ 1167)
Sermon sur la septuple voix du Saint-Esprit à la Pentecôte,
Sermones inediti, éd. C.H. Talbot, Rome, 1952, 1, 112-114.
La solennité de ce jour nous enthousiasme, non seulement parce que nous reconnaissons son importance, mais aussi parce que nous savourons sa douceur. Ce qu’elle met surtout en valeur, c’est l’amour. Or il n’y a pas dans le langage des hommes une parole plus douce à entendre, un sentiment plus délicieux à cultiver. Cet amour n’est rien d’autre que la bonté de Dieu, sa bienveillance, son amour. Ou plutôt, c’est Dieu qui est en personne la bonté, la bienveillance, l’amour. Et cette bonté de Dieu s’identifie à son Esprit, lequel est lui-même Dieu. <>
Et selon le dessein de Dieu, au commencement, l’Esprit de Dieu a rempli l’univers, déployant sa vigueur d’un bout du monde à l’autre et gouvernant toute chose avec douceur (Sg 8,1). Mais, en ce qui concerne son oeuvre de sanctification, c’est à partir de ce jour de Pentecôte et par la suite que l’Esprit du Seigneur a rempli l’univers. Car c’est aujourd’hui que cet Esprit de douce ur est envoyé par le Père et le Fils pour sanctifier toute créature selon un plan nouveau, une manière nouvelle, une manifestation nouvelle de sa puissance et de sa vertu. Certes, auparavant l’Esprit n’avait pas été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié (Jn 7,39). <>
Mais aujourd’hui, venant du séjour céleste, l’Esprit s’est donné aux âmes des mortels avec toute sa richesse, toute sa fécondité. Ainsi cette rosée divine s’étendrait sur toute l’étendue de la terre, dans la diversité de ses dons spirituels. Et il est juste que la plénitude de ses richesses ait ruisselé pour nous du haut du ciel, puisque peu de jours auparavant, par la générosité de notre terre, le ciel avait reçu ce fruit d’une merveilleuse douceur. Car notre terre a-t-elle jamais produit rien de plus doux, de plus agréable, de plus délicieux, de plus saint? Oui, la vérité a germé de la terre (Ps 84,12).
Il y a quelques jours, nous avons envoyé en avant-coureur ce que le ciel possédait de plus doux, afin que nous le possédions à notre tour. L’humanité du Christ, c’est toute la grâce de la terre; l’Esprit du Christ, c’est toute la douceur du ciel. Il s’est donc produit une sorte d’échange très salutaire: l’humanité du Christ est montée de la terre au ciel; aujourd’hui, du ciel est descendu vers nous l’Esprit du Christ. <>
Puisque l’Esprit du Christ remplit l’univers, lui qui tient ensemble tous les êtres, il entend toutes les voix (Sg 1,7). C’est partout que l’Esprit Saint agit, c’est partout que l’Esprit prend la parole. Sans doute, avant l’Ascension, l’Esprit du Seigneur fut donné aux disciples, lorsque le Seigneur leur dit: Recevez le Saint-Esprit. Tous ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus (Jn 20,23). Mais en aucune façon, avant la Pentecôte, on n’entendit la voix de l’Esprit Saint, on ne vit briller sa puissance. Et sa connaissance ne parvint pas aux disciples du Christ, qui n’avaient pas été confirmés en courage, puisque la peur les obligeait encore à se cacher dans une salle fermée à clé.
Mais à partir de ce jour, la voix du Seigneur domine les eaux, le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre, la voix du Seigneur brise les cèdres, elle taille des lames de feu, elle épouvante le désert de Cadès, elle ravage les forêts, et tous s’écrient: Gloire! (cf. ps 28,3-9)