« Apprendre la logique de l’Amour »: c’est l’école à laquelle convient les lectures de la messe de dimanche prochain, 24 février 2019 (VIIème dimanche du temps ordinaire – Année C), explique Mgr Francesco Follo.
Il souligne notamment « le bonheur d’aimer son ennemi » et il invite à entrer dans « la logique de Dieu ».
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose ensuite comme lecture patristique un passage des « Centuries sur la Charité » de saint Maxime, le Confesseur: « En dehors de l’amour, tout est vain ».
Apprendre la logique de l’Amour
1°) Le bonheur d’aimer son ennemi.
Les exigences de l’amour et le commandement nouveau que Jésus a apporté au monde, « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé… » (Jn 19, 12) forment la trame de l’Évangile d’aujourd’hui et comme le couronnement des Béatitudes sur lesquelles nous avons médité dimanche dernier. Aujourd’hui le Christ nous parle: « Je vous le dis à vous qui m’écoutez: aimez… ». Sur le thème conducteur de l’amour s’articule tout le discours du Rédempteur qui rend manifeste la logique du Christ, logique qu’il n’est pas toujours facile de faire nôtre dans les situations concrètes de notre vie.
« Aimez » dit Jésus, mais l’amour dont il parle n’a ni les limites de la famille, ni celles du cercle des amis ou des personnes qui sont agréables. L’amour dont nous parle le Seigneur a le goût du défi: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent », un amour qui n’est pas seulement un sentiment mais qui s’accomplit dans des gestes concrets: « Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent… Priez pour ceux qui vous calomnient… A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue… Donne à quiconque te demande… et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. » Un amour qui est donc sans limite mais qui n’est pas absurde parce que cette façon d’aimer est celle de Dieu lui-même qui s’est rendu visible dans son fils Jésus. Si en effet nous contemplons la passion du Christ, nous voyons comme lui aussi voit, nous entrevoyons que dans sa passion, le Christ met en pratique les paroles qu’il nous adresse aujourd’hui: paroles d’offrande, d’amour et de pardon envers le monde qui est en train de le condamner à mort. Comme Jésus, prions pour les bourreaux, offrons notre joue, ouvrons la porte du pardon comme lui qui a ouvert la porte du paradis à un voleur.
Jésus est toujours celui qui donne et qui se donne. Le chrétien est aussi appelé à faire de même, guidé par la règle d’or: « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. »
Et gardons à l’esprit que l’amour de l’ennemi est le sommet de l’amour du prochain. L’amour de l’ennemi en effet met en évidence – comme aucune autre forme d’amour ne le fait – les deux caractéristiques profondes de tout authentique amour évangélique. Avant tout, l’aspiration à l’universalité: dans l’amour de l’ennemi, la figure du « prochain » s’élargit jusqu’à inclure aussi « le plus lointain »: et qui est plus lointain que notre ennemi? Et puis la caractéristique de la gratuité qui est l’âme de tout amour vrai.
Nous devons garder à l’esprit que la figure de l’ennemi dont nous parle saint Luc est, pour ainsi dire, quotidienne, normale: il ne s’agit pas du persécuteur mais plus simplement de celui qui parle mal de nous, qui nous déteste et nous maltraite. Les exemples concrets sont nombreux et vont au delà du stricte cadre de l’ennemi: il s’agit en effet non seulement de celui qui déteste, agresse, vole mais aussi de celui qui demande un prêt sans avoir après la possibilité de le rendre. Saint Luc est particulièrement attentif à souligner la gratuité de l’amour.
Les motivations qui justifient d’aimer son ennemi sont doubles: se distinguer des pécheurs et agir en enfant du Très-Haut. Il s’agit de se comporter comme Dieu lui-même, « bienveillant envers les ingrats et les méchants ». L’adjectif « bienveillant » en grec « …. (chrestos) » dit l’amour attentif, accueillant, doux qui ne fait pas peser ce qu’il donne. Et « ingrat » en grec « … (acharistos) » souligne une fois de plus l’absence de toute prétention à la réciprocité. On n’aime pas ce qui est lointain pour qu’il se rapproche. On l’aime parce qu’on veut étendre jusqu’à lui la bienveillance de Dieu. Même si cela peut nous sembler paradoxale, éduquons en nous la capacité d’aimer l’autre sans mérite de sa part, en nous rappelant que Dieu nous a aimés depuis toute éternité et donc bien avant déjà notre naissance. Dieu nous a donc aimés d’un amour éternel et continue à nous aimer d’un amour fidèle, non par notre mérite mais par amour pur et désintéressé. Il n’avait pas besoin de nous mais il nous a créés par pur amour dans le but de nous rendre heureux comme il l’est lui-même.
2°) Apprendre la logique de Dieu.
La logique de Dieu bouleverse radicalement notre logique. Aimer ses ennemis et leur pardonner est le commandement le plus scandaleux, le plus incompréhensible et le plus absurde, tant pour les disciples de Jésus d’il y a deux mille ans que pour nous aujourd’hui. On nous demande d’agir non selon notre instinct d’homme mais selon Dieu, comme Dieu. Et « comme Dieu » signifie être miséricordieux. Celui qui se venge veut une victoire pour lui-même. Celui qui pardonne donne la possibilité à l’autre de vaincre c’est à dire de s’ouvrir à la vie de Dieu.
La logique de Dieu est toujours « autre » par rapport à la nôtre, comme Dieu le révèle lui-même par la bouche du prophète Isaïe: « Vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins » (Is 55, 8). C’est pourquoi suivre le Seigneur demande toujours à l’homme une profonde conversion, un changement dans la façon de penser et de vivre, une ouverture du cœur pour se laisser illuminer et transformer intérieurement. Une caractéristique essentielle qui différencie l’homme de Dieu est l’orgueil: il n’y a pas d’orgueil en Dieu parce qu’il est parfaite plénitude et entièrement tourné à aimer et donner la vie; en revanche chez nous les hommes, l’orgueil est intimement enraciné et demande une vigilance et une purification constantes. Nous qui sommes petits, nous aspirons à paraître grands, à être les premiers, alors que Dieu ne craint pas de s’abaisser et de se faire le dernier. La Vierge Marie est en parfaite « syntonie » avec Dieu: invoquons-la avec confiance et imitons-la avec générosité, en suivant fidèlement Jésus avec elle sur la voie de l’amour et de l’humilité.
La logique de Dieu n’est pas inhumaine, au contraire elle fait fleurir notre humanité. « Nous ne devons donc pas avoir peur d’assumer la logique de Dieu même si c’est la logique de la Croix, qui n’est pas d’abord celle de la douleur et de la mort, mais celle de l’amour et du don de soi qui apporte la vie » (Pape François).
La logique de Dieu est différente de la nôtre. Même sa toute-puissance est différente: elle ne s’exprime pas comme une force automatique ou arbitraire mais elle se caractérise par une liberté amoureuse et paternelle. En réalité Dieu, en créant des créatures libres, en donnant la liberté, a renoncé à une part de son pouvoir en laissant le pouvoir de notre liberté. Si nous assumons la logique de Dieu, nous utiliserons notre pouvoir ni dans la violence, ni dans la destruction mais dans l’amour, dans la miséricorde et dans le pardon. Cette façon d’agir n’est faible seulement qu’en apparence parce qu’en réalité « seul celui qui est vraiment puissant peut supporter le mal et faire preuve de compassion; seul celui qui est vraiment puissant peut exercer pleinement la force de l’amour. Et Dieu, à qui toutes choses appartiennent parce que tout a été fait par Lui, révèle sa force en aimant tout et tous, dans une attente patiente de notre conversion, à nous, les hommes, qu’il désire avoir comme fils » (Benoît XVI).
« La logique de Dieu est partage et miséricorde ; elle ne raisonne pas avec des récompenses ou des châtiments mais elle accueille tous ceux qui demandent miséricorde et pardon, pour que tous redeviennent des frères » (Pape François).
Si nous apprenons la logique de Dieu, nous comprenons aussi ce qu’est la virginité qui est imitation du Christ, Verbe de Dieu. Elle est la forme la plus haute de l’identification à l’humanité du Rédempteur. Jésus a vécu une complète dépendance amoureuse au Père. Le Fils et le Père sont une seule chose, le Fils fait ce que le Père lui dit, ce qui plaît au Père (Cf Jn 8, 28-29; 10, 30; 14, 31). C’est d’abord cela la virginité: vivre entièrement pour Dieu, participer à sa volonté, consacrer toute son énergie à l’édification de son royaume dans le monde.
Les vierges consacrées nous donnent un exemple de vie vécue dans la logique de la virginité. Dans un temps comme le nôtre, si dense d’érotisme et de liberté sexuelle, réfléchir sur la virginité consacrée peut sembler incompréhensible. Aujourd’hui, à l’égard de la virginité, peut-être plus que de la contestation, il y a beaucoup de confusion, ainsi qu’un manque de foi et de courage à proposer la beauté et la fécondité de ce choix de vie chrétien. La virginité consacrée est un don, un charisme, une grâce pour celle qui, en vue du Royaume, instaure un rapport personnel et exclusif avec le Christ, décidant radicalement de ne rien posséder, pas même son propre corps. La virginité consacrée, vécue dans l’Église locale, se nourrit de l’amour, il n’y a pas d’autre explication logique ou rationnelle.
L’unique joie de la vierge sera toujours le Christ. Les vierges consacrées sont donc appelées à vivre leur vocation en témoignant que la virginité chrétienne est le signe manifeste dans le monde du royaume futur parce que sa présence révèle la relativité des biens matériels et le caractère transitoire du monde lui-même. En ce sens, comme le célibat du prophète Jérémie, elle est prophétie de la fin imminente, mais en même temps, en vertu du lien conjugal avec le Christ, elle annonce aussi le début de la vie du monde future, le nouveau monde selon l’Esprit. Le signe ainsi, comme cela arrive dans la vision biblique, n’est pas un point de repère purement conventionnel ou la pâle image d’une réalité lointaine mais la réalité elle-même dans le commencement de sa manifestation. Dans le signe est contenue, même si encore cachée, la réalité future.
La virginité consacrée se situe donc à l’horizon d’une conjugalité qui n’est pas théogamique ( c’est à dire de mariage avec la divinité) mais théologale c’est à dire baptismale parce qu’elle concerne l’amour conjugal du Christ pour l’Église (Ep 5, 25-26). Il s’agit d’une réalité salvifique surnaturelle et pas seulement humaine, qui ne peut pas être expliquée par la logique de la raison mais par la foi parce que – comme le rappelle l’Écriture – ton Époux est ton Créateur (Is 54, 5). Elle est une des grandes œuvres de l’ordre nouveau inauguré avec la Pâque du Christ et l’effusion de l’Esprit Saint, expérience difficile à comprendre pour l’homme charnel et compréhensible seulement à qui se laisse instruire par l’Esprit de Dieu (cf 1 Cor 2, 12-13) (Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, Instruction sur l’Ordo Virginum Ecclesiae Sponsae Imago, n. 17).
Lecture Patristique
Saint Maxime, le Confesseur: Centuries sur la Charité
En dehors de l’amour, tout est vain
L’amour de Dieu est une excellente disposition de l’âme qui lui fait estimer plus que tout la connaissance de Dieu. Et il est impossible de parvenir à la possession habituelle de cet amour si l’on demeure attaché à n’importe quel bien terrestre.
Celui qui aime Dieu estime sa connaissance plus que toutes ses créatures et, dans son désir, il ne cesse de la poursuivre.
Puisque tout ce qui existe n’est créé que par Dieu et pour Dieu, et puisque Dieu est supérieur à ce qui a été créé par lui, l’homme qui abandonne Dieu, l’être incomparablement meilleur, pour s’adonner à ce qui est en dessous de lui, celui-là montre qu’il estime les créatures de Dieu plus que Dieu même. ~
Celui qui m’aime, dit le Seigneur, restera fidèle à mes commandements. Et mon commandement, dit-il, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. Donc celui qui n’aime pas son prochain ne reste pas fidèle au commandement. Et celui qui ne reste pas fidèle au commandement ne peut pas aimer le Seigneur.
Heureux l’homme capable d’aimer tous les hommes également. ~
Celui qui aime Dieu aime aussi pleinement son prochain. Un tel homme ne peut garder ses richesses, mais il les répartit à la manière de Dieu, en les donnant à chacun de ceux qui en ont besoin.
Celui qui fait l’aumône à l’imitation de Dieu ne fait aucune différence entre bon et méchant, juste et injuste, lorsqu’ils sont dans la nécessité il distribue également à tous, selon leurs besoins, même s’il estime le vertueux, à cause de sa bonne intention, plus que le méchant. ~
Non seulement l’amour se manifeste en distribuant les richesses, mais bien davantage en distribuant la parole de Dieu et en se mettant personnellement au service d’autrui.
Celui qui a réellement renoncé aux biens de ce monde et se fait serviteur de son prochain sincèrement, par amour, bientôt délivré de toute passion, devient participant de l’amour et de la connaissance divines.
Celui qui possède en soi l’amour divin n’a aucune peine à suivre de près le Seigneur son Dieu, selon Jérémie, mais supporte généreusement labeur, injures et mauvais traitements, sans vouloir aucun mal à personne.
Ne dites pas, conseille Jérémie : Nous sommes le temple du Seigneur. Quant à toi, ne dis pas : La foi seule en notre Seigneur Jésus Christ peut me sauver, car cela est impossible si, par tes œuvres, tu n’acquiers pas l’amour envers lui. Croire seulement ? Mais les démons ont la foi, et ils tremblent !
L’œuvre de l’amour, c’est d’être disposé envers le prochain à la bienfaisance, à la patience, à l’endurance ; et c’est d’employer ses biens selon la droite raison.
Mgr Follo, 2016 © courtoisie de la Mission du Saint-Siège à l'UNESCO
"Le bonheur d'aimer son ennemi", par Mgr Francesco Follo
« Apprendre la logique de l’Amour »