"La Passion du Christ" de Mel Gibson, commentée par le p. Di Noia, collaborateur du Vatican

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« Une œuvre d’une grande sensibilité artistique et religieuse »

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ROME, vendredi 12 décembre 2003 (ZENIT.org) – Plusieurs collaborateurs du Vatican ont assisté le week-end dernier à une projection privée du film de Mel Gibson « The Passion of the Christ » (La passion du Christ), qui devrait sortir sur les écrans début 2004. Parmi eux figuraient des représentants de la secrétairerie d’Etat, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Conseil pour les Communications Sociales. Tous ont exprimé un avis favorable. Zenit a rencontré le père Augustine Di Noia, prêtre dominicain actuellement sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dont le préfet est le cardinal Joseph Ratzinger.

Zenit : Vous faites partie des quelques personnes à avoir visionné « The Passion of the Christ ». Quelle est votre impression générale du film ?

P. Di Noia : La vision de ce film permettra à beaucoup de faire une expérience religieuse intense. Ça a été le cas pour moi. Une cinématographie stupéfiante, une performance brillante des acteurs, associées à une profonde analyse spirituelle de la signification théologique de la passion et de la mort du Christ du réalisateur, contribuent à produire une œuvre d’une grande sensibilité artistique et religieuse. Tous ceux qui verront ce film, croyants ou non croyants seront nécessairement confrontés au mystère central de la passion du Christ, en fait du christianisme lui-même : si c’est ça le remède, que pouvait donc être le mal ? Le Curé d’Ars dit quelque part que personne ne peut avoir une idée ou expliquer ce que le Seigneur a souffert pour nous ; pour saisir cela, il nous faudrait comprendre tout le mal que le péché lui a fait, et nous ne le comprendrons qu’à l’heure de notre mort. Le film de Mel Gibson nous aide à saisir quelque chose presque au-delà de notre capacité de compréhension, comme seul le grand art peut le faire. Au début, dans le Jardin de Gethsémani, le Diable tente le Christ avec la question inévitable : comment quelqu’un peut-il porter les péchés du monde entier ? C’est trop. Le Christ recule presque à cette idée mais ensuite il s’engage résolument dans cette direction : porter, selon la volonté de son Père, les péchés du monde entier. C’est étonnant en fait. Il y a un sentiment puissant, que l’on perçoit tout au long du fil, du drame cosmique dont nous faisons tous partie. Il est impossible d’être neutre ici, et personne ne peut rester simple spectateur devant ces événements. Les enjeux sont très importants et c’est quelque chose dont seuls, à part le Christ lui-même, sa mère Marie et le Diable continuellement présent, ont une intuition claire. Le spectateur comprend peu à peu, en même temps que les personnages, alors que l’action avance inexorablement du Mont des Oliviers au Mont du Calvaire.

Zenit : Le film est-il fidèle au récit de la passion du Christ du Nouveau Testament ?

P. Di Noia : Il y a quatre récits de la passion du Christ dans le Nouveau Testament, visant essentiellement à présenter la signification religieuse de ces événements. Dans « The Death of the Messiah », probablement l’étude des récits de la passion la plus complète et la plus juste jamais écrite, le père Raymond Brown a démontré que, même s’il y a des différences entre eux, ils sont dans l’ensemble fondamentalement d’accord. Le film de Mel Gibson n’est pas un documentaire mais un travail d’imagination artistique. Il reprend des éléments des récits de la passion de Matthieu, Marc, Luc et Jean mais reste fidèle à la structure fondamentale commune aux quatre récits. Le film de Mel Gibson est entièrement fidèle au Nouveau Testament, autant qu’une reconstruction imaginative de la passion du Christ peut l’être.

Zenit : Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans le film ?

P. Di Noia : Vous voulez la réponse simple ? Jim Caviezel et Maia Morgenstern. Jouer le rôle du Christ doit être l’un des rôles dramatiques les plus durs. J’ai été très frappé par l’intensité de l’interprétation du Christ de Caviezel. Ce n’est pas facile à réussir sans l’apparence d’une conscience de soi importune. Jim Caviezel, et Mel Gibson aussi certainement, ont compris que Jésus est le fils divin de Dieu incarné, qui est malgré tout pleinement humain. En repensant au film je me rends compte que Jim Caviezel rend cela d’abord à travers son regard, même lorsqu’il nous regarde, et regarde ceux qui l’entourent avec un seul œil, celui qui n’a pas été blessé. Jim Caviezel fait comprendre, de manière totalement convaincante et efficace, que le Christ vit sa passion et sa mort de son plein gré, en obéissance à son Père, afin de remédier à la désobéissance du péché. Nous sommes témoins de ce que l’Eglise devait appeler « la souffrance volontaire » du Christ. Souvenez-vous des paroles de saint Paul : « Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste » Romains 5, 19. Et ce n’est pas seulement une question d’obéissance. C’est d’abord de l’amour. Le Christ supporte cela par amour pour son Père, et pour nous. Il n’y a absolument aucun doute là-dessus dans la remarquable interprétation de Jim Caviezel dans ce film.

L’interprétation de Maia Morgenstern dans le rôle de Marie est tout aussi forte. Cela m’a rappelé une phrase de saint Anselme dans un sermon sur la Bienheureuse Vierge Marie : sans le Fils de Dieu, rien ne pourrait exister ; sans le Fils de Marie, rien ne pourrait être sauvé. En regardant l’interprétation de Marie de Maia Morgenstern, on a le sentiment très fort que Marie « laisse partir » son fils pour qu’il puisse nous sauver et, en s’associant à sa souffrance, elle devient la mère de tous les rachetés.

Zenit : Certains ont dit que le film est excessivement violent. Quelle a été votre impression ?

P. Di Noia : Je parlerais plutôt de brutalité que de violence. Le Christ est traité de manière brutale, essentiellement par les soldats romains. Mais il n’y a pas de violence gratuite. La sensibilité artistique à l’œuvre ici est de toute évidence plus celle de Grünwald et Caravaggio que celle de Fra Angelico ou Pinturrichio. Nous parlons d’un film bien sûr mais Mel Gibson a clairement été influencé par la représentation des souffrances du Christ dans la peinture occidentale. C’est dans ce contexte de représentation artistique qu’il faut situer la destruction totale du corps du Christ – interprétée graphiquement dans ce remarquable film. Mel Gibson veut nous montrer ce que beaucoup d’artistes ne font que suggérer. D’une manière parfaitement conciliable avec la tradition théologique chrétienne, Mel Gibson nous présente le Fils Incarné capable de supporter ce qu’une personne ordinaire ne pourrait pas – aussi bien sur le plan de la souffrance physique que mentale. A la fin, il faut regarder le corps détruit du Christ avec les yeux du prophète Isaïe qui décrivait le Serviteur Souffrant comme quelqu’un « qui n’avait plus figure humaine ». La beauté physique de Jim Caviezel permet d’accentuer l’impact global de la défiguration progressive que le Christ subit sous nos yeux, pour aboutir au résultat terrible que, comme le Serviteur Souffrant, il était « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits » (Isaïe 53, 2). Il faut les yeux de la foi pour voir que la dégradation du corps du Christ représente la dégradation spirituelle et le désordre spirituel provoqués par le péché. L’interprétation de la flagellation du Christ de Mel Gibson – de laquelle plus d’un spectateur pourra être tenté de détourner le regard – présente graphiquement ce que saint Paul dit dans la deuxième épître aux Corinthiens : « Celui qui n’avait pas connu le péché il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (5, 21). Quand on voit le corps détruit du Christ dans ce film, on c
omprend ce que signifie « être péché ».

Zenit : Au fil des années, de nombreux réalisateurs ont tenté de faire des films sur Jésus ou la passion. Le film de Mel Gibson vous semble-t-il particulièrement original ?

P. Di Noia : Je ne suis pas un critique de cinéma. Ce sera aux critiques de juger le film de Mel Gibson en le comparant à d’autres représentations de la vie et de la passion du Christ comme celles de Pasolini ou Zeffirelli. Tout comme ces autres réalisateurs, Mel Gibson apporte sa propre sensibilité artistique unique au sujet et en ce sens son film est entièrement original. « La Passion du Christ » est certes axée de manière beaucoup plus intense sur la souffrance et la mort du Christ que la plupart des films de ce genre. Comme première réaction, trois choses m’ont frappé : la première est l’interprétation du Diable, visible en arrière plan, parfois au premier plan, comme une présence menaçante constante et inquiétante. Je ne me souviens d’aucun film ayant fait cela avec une efficacité aussi dramatique. Autre chose : la solitude du Christ. Bien qu’il soit entouré d’une foule de gens, le film montre que Jésus est vraiment seul face à cette terrible souffrance. Puis il y a la représentation de la Dernière Cène à travers une série de flash-back qui s’entremêlent à l’action du film. Couché sur le sol de pierre couvert de sang après la flagellation, le Christ pose les yeux sur les pieds éclaboussés de sang de l’un des soldats et le film revient en arrière, de façon particulièrement significative, au lavement des pieds des disciples au cours de la Dernière Cène. Des flash-back similaires au cours du reste de la passion et de la crucifixion nous renvoient au Christ qui rompt le pain et à la coupe de vin : à travers les yeux du Christ le spectateur le voit qui dit « ceci est mon corps » et « ceci est mon sang ». La signification du Calvaire – sacrifice et donc eucharistie – est représentée à travers ces flash-back. Il y a une forte sensibilité catholique à l’œuvre ici. Dans sa récente encyclique sur l’Eucharistie, le pape Jean-Paul II dit que le Christ a établi le mémorial de sa passion et de sa mort avant de souffrir, anticipant le vrai sacrifice de la croix. Dans l’imagination artistique de Mel Gibson le Christ « se souvient » de la Dernière Cène même lorsqu’il accomplit le sacrifice dont celle-ci fait mémoire. Pour beaucoup de catholiques qui verront ces images, la messe ne sera plus jamais la même. Cela dit, les questions d’originalité mises à part, le film de Mel Gibson sera sans aucun doute considéré comme étant l’un des meilleurs.

Zenit : « La Passion » accuse-t-elle quelqu’un en particulier de ce qui est arrivé au Christ ?

P. Di Noia : C’est une question à la fois très intéressante et très difficile. Imaginez que vous l’ayez posée à quelqu’un qui ne connaissait pas bien les récits évangéliques de la passion avant de voir ce film. « Qui est responsable de ce qui est arrivé à Jésus ? » lui auriez-vous demandé. L’autre aurait réfléchi un instant avant de répondre : « Eh bien, ils sont tous responsables, non ? » Cette réponse me semble parfaitement juste. En regardant « La Passion » d’un point de vue strictement dramatique, ce qui se passe dans le film est que chacun des personnages contribue de quelque manière au destin de Jésus : Judas le trahit ; le sanhédrin l’accuse ; les disciples l’abandonnent ; Pierre nie le connaître ; Hérode joue avec lui ; Pilate permet qu’il soit condamné ; la foule se moque de lui ; les soldats romains le flagellent, le brutalisent et finalement le crucifient ; et le Diable est d’une certaine manière derrière toute l’action. Parmi les personnages principaux de l’histoire Marie est peut-être la seule qui soit vraiment innocente. Le film de Mel Gibson saisit très bien cet élément des récits de la passion. On ne peut pas dire qu’une seule personne ou un groupe de personnes agissant de manière indépendante soit responsable : ils le sont tous.

Zenit : Etes-vous en train de dire que personne en particulier n’est responsable de la passion et de la mort du Christ ?

P. Di Noia : Eh bien, effectivement. Je crois que c’est ce que je suis en train de dire – certainement dans un sens dramatique. Mais d’un point de vue théologique aussi, Mel Gibson a décrit de manière très efficace cet élément crucial dans la compréhension chrétienne de la passion et de la mort du Christ. Le récit montre comment les péchés de tous ces gens contribuent à provoquer la passion et la mort du Christ et évoque ainsi la vérité fondamentale selon laquelle nous sommes tous responsables. Ce sont leurs péchés et nos péchés qui conduisent le Christ sur la croix et il les porte de son plein gré. C’est pour cette raison que lorsque l’on tente de culpabiliser un personnage ou un groupe, ou lorsque l’on tente de se déculpabiliser, on fait une mauvaise interprétation sérieuse de l’Evangile. Le problème avec cette dernière constatation est que si je ne fais pas partie des responsables, comment puis-je faire partie de ceux qui vont partager les bénéfices de la croix ? Cela me fait penser à un verset d’un chant de Noël : « Sa miséricorde coule aussi loin que s’étend la malédiction ». Nous devons accepter le fait que nos péchés font partie de ceux que le Christ a portés, pour être inclus dans sa prière « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Nous ne voulons à aucun prix être exclus de cette prière. Le lecteur chrétien est appelé à trouver sa place dans ce drame de rédemption. Ceci est clair dans la lecture publique solennelle des récits de la passion dans le cadre de la liturgie catholique de la Semaine Sainte, lorsque les fidèles jouent le rôle de la foule qui crient des choses comme : « crucifie-le ! ». De manière paradoxale, la liturgie nous aide à comprendre ces cris qui nous auraient sinon semblé des cris horribles, comme une prière. Il est évident que nous ne voulons pas « littéralement » que le Christ soit crucifié, mais nous voulons être sauvés de nos péchés. Dans une perspective de foi, même l’expression terrifiante de « laissez que son sang soit sur nous et sur nos enfants », doit être comprise non pas comme une injure mais comme une prière. Ce que nous voulons en réalité, et ce que même la foule rassemblée devant Pilate voulait inconsciemment, c’est, comme le dit le livre de l’Apocalypse, être « lavés dans le sang de l’Agneau ».

Zenit : Certains ont prétendu que le film était antisémite. Qu’en pensez-vous ?

P. Di Noia : En tant que théologien catholique, je ne peux pas ne pas condamner l’antisémitisme ou l’anti-judaïsme dans toute représentation de la passion et de la mort du Christ – pas seulement en raison du mal terrible qui a été fait au peuple juif dans ce domaine, mais aussi parce que, comme je l’ai déjà dit, ceci constitue une mauvaise interprétation grave des récits de la passion. Mais laissez-moi répondre clairement à votre question : il n’y a rien d’antisémite ou d’anti-juif dans le film de Mel Gibson. Il est regrettable que des personnes qui n’avaient pas vu le film mais n’avaient fait qu’examiner des versions non définitives du scénario aient lancé l’accusation que « La Passion du Christ » était antisémite. Je suis convaincu que lorsque le film sortira et que les gens pourront le voir, l’accusation d’antisémitisme disparaîtra complètement. Le film n’exagère pas le rôle des autorités juives dans la procédure légale de la condamnation de Jésus et ne le minimise pas non plus. En fait, puisque le film présente un rapport global de ce que l’on pourrait appeler "le calcul de la responsabilité » dans la passion et la mort du Christ, il serait plus susceptible d’étouffer l’antisémitisme dans l’auditoire que de le stimuler.
D’un point de vue théologique, ce qui est encore plus important c’est que le film reprend un élément que les évangélistes et l’Eglise ont toujours vu clairement : que l’expérience du Christ
de Gethsémani au Golgotha et au-delà, serait complètement inintelligible sans l’alliance de Dieu avec Israël. Le cadre conceptuel est défini presque entièrement par l’histoire et la littérature, les prophètes et les héros, les histoires et les légendes, les symboles, les rites, les observances et pour terminer toute la culture du judaïsme. C’est ce cadre, fondamentalement, qui rend intelligible et exprimable le besoin naturel de satisfaction et de rédemption face au péché de l’homme et la détermination remplie d’amour de la part de Dieu, de satisfaire ce besoin. Loin de raviver l’antisémitisme ou l’anti-judaïsme, le film de Mel Gibson contraint son auditoire à approfondir sa compréhension de ce contexte indispensable de la passion et de la mort de Jésus de Nazareth, le Serviteur Souffrant.

Zenit : Quel impact aura le film selon vous ?

P. Di Noia : Tout au long de l’histoire chrétienne on a encouragé les fidèles à méditer la passion du Christ. La spiritualité de tous les grands saints – les noms de saint François, saint Dominique, sainte Catherine de Sienne, viennent immédiatement à l’esprit – a été marquée par une dévotion à la passion du Christ. Pourquoi ? Parce qu’on a reconnu qu’il n’y avait aucun chemin plus sûr pour faire apparaître dans le cœur de l’homme l’amour qui commence à répondre de manière adéquate à l’amour de Dieu qui a donné son Fils pour nous. Je crois que c’est ce genre d’amour que le film de Mel Gibson fera naître dans les cœurs. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas se laisser émouvoir par ce film extraordinaire et par la profondeur inouïe d’amour de Dieu qu’il tente de transmettre à travers l’écran.

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ZENIT Staff

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