La croisade de charité de l'Eglise, par le cardinal Cordes (II)

Print Friendly, PDF & Email

Entretien avec le président de Cor Unum

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

ROME, Dimanche 10 janvier 2010 (ZENIT.org) – Ces 15 dernières années, le cardinal Paul Josef Cordes a servi comme président du dicastère chargé’ « d’orienter et d’inspirer l’œuvre de charité de l’Eglise catholique. » Un des aspects de son travail consiste à aider les organisations caritatives à maintenir leur foi et leur identité catholiques.

Le cardinal Cordes, âgé de 75 ans, est président du Conseil pontifical Cor Unum depuis 1995, lorsque celui-ci a été séparé du Conseil pontifical « Justice et paix ». Dans la deuxième partie de cet entretien à Zenit, il traite de l’action que mène actuellement de le Conseil pontifical Cor Unum pour aider les organisations caritatives à maintenir leur identité catholique ; et aussi de l’enseignement sans ambiguïté de Benoît XVI sur le rôle de la charité dans la doctrine sociale catholique.

Pour la première partie de l’entretien, cf. Zenit du 8 janvier.

ZENIT – Que fait Cor Unum pour que ces agences caritatives restent indépendantes des idéologies ou encore ne dévient pas dans des pratiques inspirées par des valeurs laïques ?

Card. Cordes – Au moins trois éléments importants sont à considérer :

Tout d’abord, avec la proclamation de la Parole et la célébration de la liturgie, l’évêque est le premier responsable de la mission de charité dans son diocèse. Dans le cadre des visites ad limina des évêques à Cor Unum, et de mes visites dans les différentes conférences épiscopales du monde entier, je m’efforce de rappeler aux pasteurs cette responsabilité qui est la leur.

L’encyclique Deus caritas est le confirme catégoriquement : « Il découle donc de la structure épiscopale de l’Église que, dans les Églises particulières, les Évêques, en qualité de successeurs des Apôtres, portent la responsabilité première de la mise en œuvre, aujourd’hui encore, du programme indiqué dans les Actes des Apôtres » (#32). Etant donné que les évêques portent le fardeau de la charité, ils ne peuvent pas simplement déléguer ou abdiquer cette responsabilité finale en la reportant sur d’autres. Ceci ne signifie nullement que l’évêque doit tout faire par lui-même, cela serait impossible. Mais que ceux qui l’assistent dans ce travail nécessaire le font en lien, sous le contrôle et avec les conseils du pasteur que le Seigneur a prévu pour le diocèse.

Deuxième élément, une des principales fonctions de Cor Unum est la proclamation de la « Catéchèse de la Charité ». L’encyclique du Saint-Père la rend plus facile et encore plus vivante ; mais, plus important, elle offre des pistes de réflexion, à la fois pour le dicastère et pour toutes les organisations caritatives catholiques.

Quand je pense aux centaines de personnes que j’ai rencontrées, animées d’une grande foi et motivées par leur amour du Christ qui, chaque jour, accomplissent d’innombrables oeuvres de charité au sein de l’Eglise, et dont un nombre croissant sont des bénévoles, réellement je ne rencontre pratiquement personne qui ne veuille pas suivre le droit chemin.

Nous les encourageons à mettre en pratique les exigences ordinaires de la vie chrétienne et à exhorter leurs évêques à leur donner des conseils stimulants et appropriés. Nous nous efforçons de soutenir, de la part de ceux qui travaillent à temps plein dans des organisations caritatives, une plus grande ouverture aux bénévoles de plus en plus nombreux qui se trouvent dans chaque paroisse et dans la multitude des nouveaux mouvements. Nous chercherons aussi à faire connaître les directives données dans la nouvelle encyclique aux directeurs des agences caritatives. Lors de nos deux dernières assemblées plénières, nous avons réfléchi avec nos membres et consulteurs sur la nécessité d’établir des lignes directrices pour aider à la formation de ceux qui travaillent dans les agences caritatives catholiques, professionnels ou bénévoles.

Une troisième et récente initiative du Conseil pontifical sont les « Exercices spirituels », organisés sur les différents continents, pour les dirigeants de la Caritas et autres organisations caritatives catholiques. En juin 2008, ces exercices se sont tenus au Mexique, à Guadalajara, pour l’Amérique (Nord et sud), et ont rassemblé quelque 500 personnes, dont 40 évêques. En septembre dernier, un rassemblement semblable a eu lieu à Taipei, Taiwan, dans ce grand continent qu’est l’Asie. Plus de 450 directeurs ont accepté notre invitation, dont cinq cardinaux et une soixantaine d’évêques.

L’écho extrêmement positif donné à ces deux évènements manifeste la soif de spiritualité dans le domaine de la charité. Les participants ont particulièrement apprécié le fait que la Charité chrétienne ne peut pas être séparée de son enracinement, la Parole, et qu’elle doit être toujours nourrie de prière. Parole de Dieu et prière : elles nourrissent les racines de la foi dans l’activité de charité. Les paroles émouvantes de l’archevêque d’un grand diocèse du Vietnam permettent de mesurer l’importance de cette initiative : « Après les exercices spirituels, je suis plus que jamais convaincu que l’oeuvre de charité signifie ceci : révéler aux autres l’amour de Dieu ; me conformer à Jésus toujours à travers une relation intime avec le Père ; et rayonner cette intimité sur mon peuple, sans distinction. Je vais tâcher de partager l’expérience de Taipei avec le Peuple de Dieu dans mon archidiocèse. »

A l’Assemblée plénière des évêques d’Australie, nous avons exprimé notre désir de proposer les exercices spirituels aux directeurs des organisations caritatives catholiques d’Australie, de Nouvelle Zélande et d’Océanie. Les évêques ont accueilli positivement cette proposition, et étudient maintenant le calendrier le plus adéquat.

ZENIT – Dans quelle mesure est-ce aux conférences épiscopales régionales de garantir que les agences caritatives catholiques accomplissent leur tâche comme l’entend l’Eglise ?

Card. Cordes – Il y a quelque temps – le 9 septembre 2002, pour être exact – l’ancien secrétaire d’Etat, le cardinal Angelo Sodano, a adressé une lettre à toutes les conférences épiscopales dans le monde sur ce sujet. Il a expliqué que la responsabilité de l’ensemble de l’activité caritative dans son diocèse appartient en dernier lieu à l’évêque, même s’il peut se reposer sur d’autres pour l’aider : « En effet, a fait observer le cardinal, témoigner de la charité au nom du Christ est mentionné d’une manière explicite au cours de la liturgie de l’ordination épiscopale dans la question suivante qui est posée : ‘ promettez-vous expressément d’être, au nom du Seigneur, accueillant et miséricordieux envers les pauvres et envers tous ceux qui ont besoin de réconfort et d’aide ?’ »

L’encyclique de Benoît XVI « Deus caritas est » confirme cette responsabilité de façon encore plus catégorique.

ZENIT – Comment voyez-vous l’avenir de l’activité catholique d’aide et de développement ?

Card. Cordes – Nous ne devons pas commettre l’erreur de penser que nous pouvons éliminer la pauvreté par nous-mêmes, car le Seigneur lui-même nous a assuré que nous aurons toujours des pauvres avec nous. Le paradis sur terre est une illusion. Comme le déclare Benoît XVI dans « Deus caritas est » : « il n’y aura jamais une situation dans laquelle on n’aura pas besoin de la charité de chaque chrétien, car l’homme, au-delà de la justice, a et aura toujours besoin de l’amour » (No. 29).

Nous arrivons à une meilleure appréciation de l’avenir de l’action catholique d’aide et de développement par une réflexion sur la vie de l’Eglise primitive : « L
ui (Jésus) qui a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable ; car Dieu était avec lui » (Ac 10, 38). C’est toute la mission de l’Eglise de « faire le bien » et de proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres comme le Christ l’a fait.

Notre témoignage de l’Evangile à travers la charité sera davantage crédible si nous faisons de notre mieux pour partager l’expérience de la bonté de Dieu, lui permettant ainsi de guérir les blessures de l’humanité.

ZENIT – Vous avez donné une conférence à l’Université catholique d’Australie sur la dernière encyclique du Saint-Père, « L’amour dans la vérité ». Qu’en avez-vous surtout retiré ?

Card. Cordes – J’ai cherché à comprendre l’encyclique dans le contexte de l’histoire de l’enseignement social de l’Eglise. Depuis l’ère de la Révolution industrielle, le combat de l’Eglise pour la dignité humaine était centré sur des objectifs sociaux et politiques. Il visait à l’efficacité du monde intérieur. Lors du récent Synode spécial des évêques pour l’Afrique qui s’est tenu au Vatican (octobre 2009), les interventions de nombreux évêques ont été également axées sur ce point. L’œuvre de charité, ou l’encyclique « Deus caritas est », a été à peine mentionnée. A vrai dire, le document préparatoire – les « lineamenta » – a cité le mot clé « justice » pas moins de 160 fois (le mot « amour » n’est apparu que trois fois). Naturellement, ces détails sont inspirés par les besoins actuels, variés, de l’Afrique.

Le thème même du synode – « Justice, Paix, Réconciliation » – encourageait de tels contenus. On peut regretter, toutefois, que l’œuvre de charité des Eglises locales et l’engagement de volontaires, dont, à Cor Unum, nous avons entendu tant de bien au cours des visites ad limina des évêques africains, aient trouvé si peu d’écho.

Encore plus troublant, le fait que l’engagement au nom de l’humanité, presque exclusivement, souhaite changer les structures sociales. De la sorte, la compréhension de Caritas et de ses objectifs sera dominée par une perspective purement politique. A l’évidence, l’exemple de certaines grandes organisations charitables catholiques, qui accompagnent de protestations politiques quelques manifestations et rassemblements mondiaux des Nations Unies, encourageant la « culture de protestation », est devenu une école. Et c’est tout à fait logiquement que la description des objectifs de travail de Caritas Afrique, qui a été présentée au synode des évêques dans un dépliant, culmine dans un changement social (« Plaidoyer pour les pauvres »).

Dans son nouveau document, Caritas in Veritate, Benoît XVI est clairement conscient de cette tendance au sécularisme. Il reprend la perspective de foi, et place les directives sociales de l’Eglise à la lumière de la Caritas, l’amour. « La charité, enseigne le pape, est la voie maîtresse de la doctrine sociale de l’Église » (No. 2). L’amour tel qu’il s’entend ici est un « amour reçu et donné » par Dieu (No. 5) : C’est l’amour du Père comme Dieu Créateur, du Fils comme Rédempteur, et répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui embellit la vie communautaire des hommes et des femmes sur la base de certains principes.

Concernant le développement humain, l’encyclique affirme que « la charité y occupe une place centrale » (No. 19). Et plus loin, la sagesse, qui est capable de guider l’homme « doit être ‘relevée’ avec le ‘sel de la charité’ » (No. 30). Ces phrases simples et évidentes ont des implications importantes : coupé de l’expérience chrétienne, l’enseignement social deviendrait comme n’importe quelle autre idéologie, ce que le pape Jean-Paul II a exclu. Ou il peut même devenir un manifeste sans âme. En réalité, l’instruction sociale « incarne » les fidèles dans la société. Elle oblige le chrétien à donner corps à sa foi. Comme le stipule le document : « La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde » (No. 6).

Ces caractéristiques de la doctrine sociale l’ancrent solidement dans la Révélation. Nous voyons ici une continuité directe avec le message de Deus caritas est et son orientation de foi pour toute la diaconie (diakonia) ecclésiale.

ZENIT – Vous avez écrit deux livres, qui seront bientôt publiés en anglais. Sur quels sujets ?

Card. Cordes – Where are the Helpers: Caritas and Spirituality? (Notre Dame University Press) traite en profondeur de Deus caritas est (Dieu est Amour) de Benoît XVI, la première encyclique de son pontificat. Puisque ce livre représente la magna carta de notre travail – orienter et inspirer l’oeuvre de charité de l’Eglise catholique – je présente dans cet ouvrage mes propres études et autres réflexions qui analysent le sens de l’aide chrétienne, commentent les lignes directrices théologiques, spirituelles et canoniques de Deus caritas est, et illustrent les façons concrètes de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin et, de la sorte, font l’expérience de la bonté de Dieu. Le travail montre la nécessité d’une « formation du coeur » pour ceux qui sont engagés dans l’activité caritative.

Why Priests? Various Answers Guided by the Teachings of Benedict XVI (Scepter Press) est le deuxième livre. Il est écrit dans le cadre de l’ « Année du prêtre », lancée par Benoît XVI. Il aborde un certain nombre de questions très importantes auxquelles l’Eglise d’aujourd’hui se trouve confrontée. Quand – comme nous l’entendons souvent dire – il manque de prêtres, des laïcs peuvent-ils et doivent-ils assumer une partie du ministère sacerdotal ? Quand tous les hommes et les femmes ont une égale dignité aux yeux de Dieu, n’est-ce pas également le moment d’organiser des paroisses démocratiquement ? Avec la division efficace du travail dans le soin des âmes ou les structures d’organisation des paroisses, pourquoi l’Eglise a-t-elle besoin de prêtres, après tout ?

Je cherche une réponse en dialoguant avec le théologien Benoît XVI, dont les déclarations fondamentales sur le ministère des prêtres sont présentées au début de chaque chapitre. De la sorte, « plusieurs réponses » sont proposées concernant le sacerdoce, qui sont utiles pour le prêtre et sa paroisse, le séminariste et son ambiance, ainsi que pour qui s’intéresse au ministère sacerdotal et au processus de décision de l’Eglise.

Traduit de l’anglais par E. de Lavigne

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel