P. Brice de Malherbe, capture @ Agnes de Riviere

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France/bioéthique : « Comprendre pour agir », par le p. Brice de Malherbe

«Les débats ne sont pas finis, et chacun peut y participer à sa manière»

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Ce mardi 15 octobre 2019 aura lieu à l’Assemblée Nationale française le vote solennel sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Ce vote achèvera la « première lecture » du projet de loi par les députés, l’étape suivant étant l’examen du texte par le Sénat français, courant janvier 2020.
Le p. Brice de Malherbe donne ici, pour les lecteurs de Zenit, quelques clefs pour comprendre les enjeux. Il avertit notamment: « L’effacement progressif de la valeur du corps combiné à la pression économique entraîne des tendances eugénistes ».
Le p. Brice de Malherbe, est enseignant à la Faculté de Théologie Notre-Dame de Paris, et il est co-directeur du département éthique biomédicale, pôle de recherche du Collège des Bernardins (Paris).
Mais tout n’est pas joué d’avance: « A court terme, les débats ne sont pas finis, et chacun peut y participer à sa manière… Il est important de continuer à promouvoir des options raisonnables et à éveiller les consciences sur les choix socialement déstructurants ».
Il rappelle l’invitation du pape François à se faire les promoteurs d’une « écologie intégrale ».
AB
Zenit – Que contient le projet de loi français?
P. Brice de Malherbe – Le projet de loi contient 34 chapitres réparti sur sept grands ensembles concernant principalement les techniques de procréation artificielle, les greffes d’organe, le traitement et la transmission des données génétiques, l’utilisation de nouvelles technologies médicales, la recherche sur l’embryon humain, le traitement des pathologies fœtales et enfin le suivi institutionnel des questions d’éthique biomédicale en France.
Comme il a été maintes fois souligné, la mesure politique phare de ce projet de loi est la concession de l’accès aux techniques de procréation artificielle aux couples de femmes et aux femmes seules. Mesure qui entraîne un nouveau mode de filiation, celui de la « déclaration conjointe anticipée » par les deux femmes qui désirent obtenir un enfant via la technique médicale. Cette mesure est accompagnée d’autres dispositions en matière de procréation artificielle et de filiation : possibilité de concevoir un enfant avec des gamètes entièrement extérieurs au couple, de conserver ses gamètes jusqu’à 10 ans en vue d’un futur « projet parental », possibilité pour des enfants issus de don de gamètes d’avoir accès à des données non-identifiantes ou même à l’identité du « donneur ».
En matière de greffes d’organes, le projet de loi autorise d’élargir les « dons croisés » à plusieurs paires de donneurs. Pour ce qui est des recherches sur l’embryon humain, le projet de loi autorise la culture des embryons in vitro jusqu’à 14 jours, autorise la modification transgénique des embryons à des fins de recherche, assouplit l’encadrement des recherches sur les cellules-souches embryonnaires, permet des recherches sur la production de gamètes à partir des cellules souches pluripotentes induites (IPs) et l’utilisation de ces cellules pour la création d’embryons et d’animaux chimères homme/animal.
Le projet ouvre la voie à des investigations génétiques plus larges dans le cadre du diagnostic prénatal, rend le recours à « l’interruption médicale de grossesse » plus facile en supprimant le délai de réflexion et l’autorisation parentale pour une femme mineure, entérine la possibilité d’avorter certains fœtus en cas de grossesse multiple. Il supprime la pratique du diagnostic préimplantatoire en vue de faire naître un enfant qui puisse être source de greffe pour un enfant déjà né (« bébé médicament »).
Institutionnellement, le projet de loi instaure une « délégation parlementaire à la bioéthique » pour chacune des deux assemblées, demande au Comité Consultatif National d’Éthique d’organiser chaque année des débats sur les questions d’éthique biomédicale, demande un examen de la loi tous les cinq ans.
 
Quels sont les enjeux de ce projet de loi ?
 
Les trois conséquences principales des dispositions de ce projet de loi sont l’ouverture en grand au développement du marché procréatique, le bouleversement apporté dans le régime de la filiation, et les tendances eugénistes accrues que cela entraîne.
L’accès à la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules supprime en effet la condition d’une infertilité médicalement constatée jusqu’ici nécessaire pour avoir accès aux diverses techniques de reproduction artificielle. Le risque est donc, comme l’a signalé le Conseil d’État, d’aller vers la PMA de convenance pour les couples homme/femme ne souffrant pas d’infertilité, pourquoi pas en l’associant à un diagnostic préimplantatoire pour éviter, selon les mots du Conseil d’État, les aléas d’une procréation charnelle[1].
Ensuite, puisque l’argument majeur avancé pour justifier cette extension est celui de l’égalité, une telle mesure ouvre une brèche en faveur de ladite « gestation pour autrui » pour les couples d’hommes, avec de nouveaux circuits financiers, même sans rémunération envisagée de la mère porteuse. Malgré les dénégations du gouvernement sur ce point, la tentative de passage en force de certains députés menés par Monsieur Jean-Louis Touraine pour légaliser la GPA a montré combien la frontière entre « PMA pour toutes » et GPA était fragile. Enfin, selon nombre d’observateurs, dont le CCNE, les nouvelles demandes d’accès à la PMA avec donneur exerceraient une pression pour lever la gratuité du « don » de gamètes. Si cela advient, ce serait le triomphe d’une logique de marché entraînant, écrivait le CCNE en 2017, « une déstabilisation de tout le système bioéthique français »[2]. Cette logique de marché est renforcée par la généralisation de la possibilité pour un homme ou une femme d’autoconserver des gamètes congelés pour un projet parental tardif et la possibilité d’une fécondation in vitro avec double don de gamètes. Nous pouvons également craindre une pression économique dans le domaine des greffes et dons d’organes, par le biais de l’extension accrue du cercle des donneurs potentiels.
Deuxième conséquence majeure, donc, le bouleversement apporté dans le régime de filiation. Le projet de loi entérine en fait la proposition du rapport Théry-Leroyer de 2014[3] d’instaurer une parenté « volontaire » où les liens charnels et généalogiques importent peu. Seule compte la volonté de celui ou celle qui s’engage à prendre soin de l’enfant conçu. Ainsi, pour deux femmes engagées conjointement dans un « projet parental », l’une sera déclarée « mère » sans avoir aucun lien génétique avec l’enfant. La distanciation du lien charnel est soulignée par la reconnaissance anticipée de l’enfant avant même sa conception. Bien sûr, l’effacement du père participe de la même logique. A partir de ce primat de la volonté, toutes les combinaisons sont possibles de paires d’adultes – ou plus – reconnus un jour parents car désirant l’être et prenant l’engagement – fragile – de prendre en charge l’enfant. Pour éviter toute « discrimination », tous les couples seront-ils demain soumis à la reconnaissance anticipée de l’enfant ? Ce serait, argumente le groupe de travail bioéthique de la conférence des évêques de France : « l’effacement total de la primauté du lien charnel, source première de solidarité, et l’instauration d’une possibilité inquiétante de contrôle de la fécondité par les autorités publiques »[4].
L’effacement progressif de la valeur du corps combiné à la pression économique entraîne des tendances eugénistes. A preuve le feu vert accordé à la création d’embryons chimériques, l’autorisation de modifications génétiques sur les embryons non transférés in utero, la création de gamètes à partir de cellules souches pluripotentes induites. Enfin, la fenêtre ouverte à la multiplication des tests génétiques sur le fœtus encourage une véritable discrimination génétique, autrement dit une forme d’  « eugénisme libéral », selon l’expression du philosophe allemand Jurgen Habermas. Alors même que beaucoup de « variantes » génétiques sont « à signification inconnue », la peur de l’anormalité risque de multiplier les interruptions dites « médicales » de grossesse.
Quelle responsabilité pour les chrétiens face à cela ?
 
Nous le savons bien, ces bouleversements nous atteignent dans notre vie chrétienne, quand ce n’est pas déjà le cas. A la fois parce que nous vivons au milieu du monde qui porte ces choix et que nous pouvons être traversés par ces tentations d’assouvir nos désirs quels qu’ils soient et de nourrir le projet illusoire d’une santé parfaite et de bébés exempts de problèmes. A court terme, les débats ne sont pas finis, et chacun peut y participer à sa manière. Il y a eu une bonne participation des catholiques aux états généraux précédant la présentation du projet de loi. Même si les réflexions émises très majoritairement parfois n’ont pas été prises en compte, il est important de continuer à promouvoir des options raisonnables et à éveiller les consciences sur les choix socialement déstructurants. D’ailleurs, la perspective de débats bioéthiques plus rapprochés accroît l’exigence de formation en ces domaines.
Sur un temps plus long, le premier engagement est sans doute de cultiver la vertu de tempérance. Chacun d’entre nous est appelé à réguler son désir par la raison, à résister à la logique consumériste qui envahit le monde de la santé. Tempérance par exemple face à la tentation de recourir aux techniques de fécondation artificielle lorsque l’enfant désiré tarde à venir. Tempérance qui invite aussi à un discernement par rapport aux offres d’une médecine très coûteuse en moyens et s’orientant vers la gestion des risques potentiels, autrement dit la prédiction, plus que vers le traitement des maladies déclarées. S’il vaut mieux prévenir que guérir, il ne s’agit pas d’extrapoler sur des risques incertains.
Nous sommes aussi encouragés à cultiver la charité. Charité envers les enfants à naître, qui nous conduit à refuser l’avortement et la réduction des embryons humains à un matériau sans âme. Charité qui nous conduit au soutien discret des couples connaissant l’épreuve de la stérilité. Charité qui nous pousse à être inventifs pour l’accueil de tous tout en expliquant patiemment pourquoi certains choix et certaines mesures sont contraires à une juste vision de l’homme. Un effort particulier est et sera à consentir envers les adultes ayant posés des choix « qui ne correspondent pas à ce que le Seigneur nous propose », pour parler comme le Saint-Père, et envers les enfants concernés par ces choix.
Enfin, le pape François, nous invite à nous faire promoteurs d’une « écologie intégrale ». A nous de répondre à cet appel. Certes, aujourd’hui, en tout cas dans un pays comme la France, la majorité ne se retrouve plus dans la foi chrétienne. Cependant, ne pouvons-nous pas nous entendre sur le fait qu’il y a chez chacun une intériorité et une ouverture à la transcendance ? Qu’une fraternité humaine authentique doit se vivre de manière intergénérationnelle, dans le respect des anciens et la protection des tous petits ? Espérons une prise de conscience en écologie humaine similaire à la prise de conscience de l’écologie environnementale. Prendre conscience par exemple que les distorsions de la filiation et la technicisation de la procréation ternissent la vérité de l’amour. Ou que l’imposition à l’homme du paradigme technologique, dans son travail comme dans la gestion de sa santé, est productrice de multiples souffrances. Plus que jamais, nous pouvons être pour demain des porteurs d’espérance.
NOTES
[1] Cf. Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique, quelles options pour demain ? 28 juin 2018, p. 67. Après discussion, le projet de loi inclut l’organisation de la lutte « contre toutes les causes d’infertilité ». Il y a là un espoir de sortir du « tout PMA ».
[2] CCNE, avis 126 du 27 juin 2017.
[3] Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, 2014. Disponible sur https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000203-filiation-origines-parentalite-le-droit-face-aux-nouvelles-valeurs-de
[4] Mgr. Pierre d’Ornellas et le groupe bioéthique de la Conférence des évêques de France, Bioéthique, quel monde voulons-nous ? Discerner des enjeux d’humanité, Bayard/Les éditions du Cerf/Mame, 2019, p. 87.
© P. Brice de Malherbe – 2019

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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