Le pape François s’est entretenu individuellement ce lundi matin, 7 juillet, au Vatican, avec six victimes de clercs ou de religieux, pour abus sexuels. Il leur a redonné de l’espérance, indique le P. Lombardi.
Six entretiens privés
Ces personnes, trois hommes, trois femmes, viennent d’Allemagne, de Grande Bretagne et d’Irlande. C’est la première rencontre de ce genre du Vatican.
Elles ont été reçues loin de l’oeil des caméras, ont participé à la messe du pape à 7h en la chapelle de la Maison Sainte-Marthe du Vatican (une homélie « très dense », « très forte », en espagnol, a indiqué le P. Federico Lombardi, sj, directeur de la salle de presse du Saint-Siège en fin de matinée),avant de rencontrer le pape pendant six entretiens privés.
Le pape les avaient rencontrées une première fois dimanche 6 juillet, après le dîner: invitées par le cardinal O’Malley, elles demeurent en effet à Sainte-Marthe. Le pape les a saluées à nouveau après la messe. Il a ensuite rencontré chacun environ une demi-heure, après le petit-déjeûner.
Les victimes ont exprimé leur « gratitude » au pape François pour son « écoute », son « attention », sa « disponibilité » et d’avoir vécu cette rencontre.
« Le pape est resté longtemps avec elles, ce qui manifeste son intention d’écouter et de comprendre ». Il a été « très touché par ces rencontres »: elles constituent une ouverture ers un avenir de « guériton et de reconstruction ».
Pour le cardinal O’Malley, le nombre restreint de personnes a permis un « dialogue très profond ».
Le pape François inscrit son action dans le sillage des mesures drastiques – « tolérance zéro » – prises par le pape Benoît XVI: transparence, lois canoniques (qui notamment suppriment la prescription), procès, sanctions, et ouverture d’une page spéciale à ce sujet sur le portail en ligne du Vatican. Le pape Benoît XVI a voulu mettre fin aux « couvertures » dont les coupables ont pu jouir dans certains pays. Il avait rencontré des victimes notamment à Malte, en Grande Bretagne, en Australie, en Allemagne.
Paroles du pape sur l’avion de Tel Aviv – Rome
« Il n’y a pas de privilèges, c’est un crime si afffeux on sait que c’est un problème grave », avait dit le pape François sur le vol de retour de Terre Sainte, le 26 mai dernier.
Il avait en effet déclaré que les absus sexuels sont comme une « messe noire », en d’autre termes, une profanation, un sacrilège: « En ce moment, il y a 3 évêques sous enquête. Un, qui est déjà condamné, dont nous étudions la peine qu’il doit faire. Il n’y a pas de privilèges. Cet abus des mineurs est un crime tellement laid. Nous savons que c’est un problème grave, partout, mais ce qui m’intéresse, moi, c’est l’Eglise. Un prêtre qui fait cela trahit le corps du Seigneur. Car ce prêtre doit mener cet enfant, cette enfant, ce petit garçon, cette petite fille, ce jeune homme, cette jeune fille à la sainteté. Et ce garçon, cette petite fille, a confiance, et celui-là, au lieu de leur apporter la sainteté, abuse d’eux, et c’est très grave ! Je vais faire une comparaison : c’est comme faire une messe noire par exemple, non ? Tu dois le mener à la sainteté et tu le mènes à un problème qui dure toute la vie. »
A cette occasion, il avait annoncé cette rencontre avec des victimes et rappelé le mot d’ordre de « tolérance zéro »: « Il y aura une messe avec 7 ou 8 victimes, à Sainte-Marthe, et puis une réunion avec eux. Moi et eux (…). Et avec le cardinal O’Malley, qui fait partie de la commission. Mais sur cela on doit aller de l’avant, de l’avant : tolérance zéro. »
Récemment, l’ancien nonce apostolique en République dominicaine, un Polonais, Jozef Wesolowski, condamné pour pédophilie par un tribunal ecclésiastique, a été réduit à l’état laïc. Suspendu dès 2013, il a deux mois, jusqu’en août, pour faire éventuellement appel. La procédure pénale auprès des organes judiciaires du Vatican se poursuivra dès que la sentence canonique sera définitive.
Le Saint-Siège, a examiné 3 420 cas d’abus sexuels présumés contre mineurs, cette dernière décennie : 848 prêtres ont été réduits à l’état laïc. Il est en train d’examiner 2 572 autres plaintes.
Le pape a également institué une Commission pour la protection des mineurs , le 22 mars dernier, avec à sa tête le franciscain des Etats-Unis, le cardinal Sean O’Malley, archevêque de Boston.
Parmi les femmes qui font partie de cette commission, Mme Mary Collins, Irlandaise, victime à l’âge de 13 ans, longtemps considérée comme une ennemie de l’Eglise. Elle a souligné que le plus grand scandale a été que des prêtres aient été couverts par certains évêques: un scandale « encore plus grave ».
La commission s’est réunie pour la seconde fois dimanche, 6 juillet. La troisième réunion aura lieu en octobre. De nouveaux membres d’Asie et d’Afrique devraient la rejoindre. Des groupes de travail vont être organisés.
Rappelons la composition significative de cette Commission. Parmi les quatre femmes, une Française, Mme Catherine Bonnet, pédopsychiatre, spécialiste de la maltraitance des enfants, et auteur de « L’enfance muselée. Un médecin témoigne » (éd. Thomas Mols, 2007). Chef de psychiatrie infanto-juvénile des cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles, il n’hésite pas à parler de « cauchemar » et de « persécution » et d’une histoire « hallucinante ».
Les membres de la Commission
Pour avoir signalé aux autorités judiciaires, en 1996, des agressions sexuelles subies par des enfants, elle a finalement été contrainte, à 62 ans, à exercer son métier comme pédopsychiatre intérimaire dans des services hospitaliers britanniques. Mais, en 2006, la commission d’enquête de l’Association mondiale de psychiatrie (WPA) a confirmé la valeur de son travail.
Elle est aussi l’auteur de « L’Enfant cassé, l’inceste et la pédophilie » (éd. Albin Michel, 1999).
Les trois autres femmes sont :
-Mme Marie Collins (Irlande), victime, fondatrice d’une ONG portant son nom, venant en aide aux victimes d’abus ;
-Mme la baronne Sheila Hollins (Royaume Uni), professeur de psychiatrie à la St George’s University de Londres, depuis 1990, et membre indépendant de la Chambre des Lords depuis 2010. Elle a trente ans d’expérience comme psychiatre et psychothérapeute avec des patients victimes d’abus sexuels ;
-Mme Hanna Suchocka (Pologne), ex-Premier ministre de Pologne, ancienne ambassadrice de Pologne près le Saint-Siège entre 2001 et 2011 : elle a reçu le Max Schmidheimy Stiftung Peace Prize et la médaille d’or de la Fondation Jean Monnet pour son travail en faveur de la défense des droits humains ;
Les quatre autres membres sont :
-le cardinal Sean Patrick O’Malley, OFM Cap. (Etats-Unis), membre du Conseil des huit cardinaux, archevêque de Boston, connu pour son action contre la pédophilie dans son diocèse au début des années 2000. Il a été l’un des membres de la Visite apostolique menée en 2010 à la demande de Benoît XVI dans les diocèses et les séminaires irlandais ;
-le prof. Claudio Papale (Italie) professeur de Droit canon à l’Université pontificale Urbanienne et membre de la section disciplinaire de la Congrégation pour la
doctrine de la foi ;
-un jésuite argentin, le P. Humberto Miguel Yáñez, directeur du département de théologie morale à l’Université pontificale Grégorienne à Rome, ancien membre du groupe théologique au symposium « Vers la guérison et le renouveau » organisé dans cette même université sur les abus;
-un jésuite allemand, le P. Hans Zollner, théologien et psychologue, vice-recteur de l’Université pontificale Grégorienne et organisateur du symposium « Vers la guérison et le renouveau ».
Le P. Federico Lombardi, a commenté l’institution de cette Commission en citant l’allocution de Jean-Paul II aux cardinaux des Etats-Unis, le 23 avril 2002: « Les gens ont besoin de savoir qu’il n’y a pas de place dans le sacerdoce et la vie religieuse pour ceux qui nuiraient à un jeune …. Tant de douleur , tant de douleur doit conduire à un sacerdoce saint, un saint épiscopat, et une Eglise plus sainte ».
Il a aussi rappelé les paroles du pape émérite Benoît XVI aux évêques irlandais, le 28 octobre 2006, les exhortant à « établir la vérité sur ce qui s’est passé », à « prendre toutes les mesures préventives nécessaires » pour éviter que de tels faits se reproduisent, et pour s’assurer que « les principes de la justice soient pleinement respectés » et, surtout, à « apporter la guérison aux victimes et à toutes les personnes touchées par ces crimes odieux ».
La condamnation la plus dure
Commentant les propos du pape sur l’avion Tel Aviv-Rome, le P. Lombardi, avait par ailleurs précisé: « Le pape a dit des choses importantes sur cette question de la pédophilie, qu’on lui a à nouveau posée. Pédophilie concernant le cas particulier de personnes exerçant un ministère dans l’Eglise catholique. Même si nous savons que le problème est beaucoup plus large. Le pape a fait cette comparaison qui est plutôt originale. C’est d’ailleurs une de ses caractéristiques, faire des comparaisons fortes. D’un point de vue sacré, le caractère sacré de la vie humaine, en particulier de la vie des innocents, des enfants innocents, violé par ce crime. Alors, la messe noire est le sacrilège, c’est quand le Corps du Christ est instrumentalisé, pour être offensé, c’est donc un crime d’un point de vue de notre foi, de notre façon de voir le sacrement de l’Eucharistie : un crime vraiment très grave, de mépris à l’égard du corps du Christ et de sa dignité. Alors, le fait de comparer le crime de la pédophilie à ceci est une condamnation d’une dureté incroyable, pour un croyant c’est peut-être même la plus dure des condamnations que l’on puisse faire car il dit: nous violons la chair du Christ, nous violons une dignité qui est pour nous sacrée, qui, pratiquement, est celle des enfants innocents. C’est donc en ce sens une comparaison qui exprime une condamnation fondamentale très forte de la part du pape face à ce genre de crime. »
Il citait les deux éléments importants dans la déclaration du pape François: la rencontre projetée au Vatican, qui se réalise ce lundi 7 juillet, et « sa volonté d’une intervention ferme, qui ne s’arrête pas non plus devant une distinction épiscopale, au cas où il y aurait de graves responsabilités qui demandent d’intervenir. Le pape n’est pas entré dans le cadre spécifique des responsabilités d’évêques par omission, mais il a également bien présent à l’esprit le problème qu’il peut y avoir aussi, chez ceux qui gouvernent, des responsabilités pour des choses qui ne sont pas faites, et pas seulement pour le mal commis personnellement. C’est un problème qu’il a bien en tête et pour lequel vaut aussi le principe qu’il a manifesté concernant les responsabilités, dont il faut tenir compte. »