Le pape François redit le « oui » de l’Eglise « à la redécouverte des racines juives du christianisme » et son « non » « à toute forme d’antisémitisme » et sa « condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent ».
Le pape François s’est en effet rendu à la grande synagogue de Rome, ce dimanche 17 janvier, à 16h. Il a tout d’abord déposé des roses blanches au mémorial de la déportation des juifs de Rome par les nazis, en 1943. Une déportation qu’il évoque dans son discours, ainsi que la Shoah, en saluant spécialement les survivants présents et en invitant à ne jamais oublier les larmes des victimes juives de cette « idéologie » qui prétendait « remplacer Dieu par l’homme ».
Le pape a été accueilli par la présidente de la communauté juive de Rome, Mme Ruth Dureghello, puis par Renzo Gattegna, président de l’Union des communautés juives d’Italie (UCEI), et par le grand rabbin de Rome, Riccardo Shmuel Di Segni.
Le discours du pape a été suivi de l’échange de cadeaux : le grand rabbin a offert au pape un tableau de George De Canino représentant un chandelier à sept branches – Menorah – figuré comme un arbre à sept branches, et un calice. Le pape a offert au grand rabbin un manuscrit de cinq feuillets d’un commentaire juridique du Lévitique, d’origine yéménite (Codice Vaticano ebr. 700, XIVe siècle).
La rencontre s’est achevée par le chant du Ani Maamin – « Je crois » – la profession de foi si souvent chantée par les juifs assassinés dans les camps d’extermination nazis. Le pape l’a écoutée, le visage baissé, grave.
Il a ensuite rencontré le grand rabbin de façon privée.
Dans son discours, le pape François a filé l’image choisie par Jean-Paul II des « frères aînés dans la foi », soulignant le lien « indissoluble » entre juifs et chrétiens. Il a affirmé que l’alliance de Dieu avec le peuple juif est « irrévocable ».
Il a souhaité une plus grande collaboration encore pour le bien de la ville de Rome, mais aussi dans le domaine de l’écologie, et au service de la paix et de la justice dans le monde – Europe, Terre sainte, Moyen-Orient, Afrique… Pour le pape, la Shoah impose d’être désormais « vigilant » pour réagir sans retard devant toute forme d’offense à la « dignité humaine ».
Il a affirmé, sous les applaudissements : « Ni la violence ni la mort n’auront le dernier mot devant Dieu, qui est le Dieu de l’amour et de la vie. »
Voici notre traduction intégrale des paroles du pape qui se présente comme « évêque de Rome ».
A.B.
Discours du pape François
Chers frères et sœurs,
Je suis heureux de me trouver avec vous aujourd’hui dans cette Grande synagogue. Je remercie de leurs paroles courtoises le Dr Di Segni, Mme Dureghello et l’Avocat Gattegna, et je vous remercie tous de votre accueil chaleureux. Toda rabba, merci!
Lors de cette première visite que je fais dans cette synagogue en tant qu’évêque de Rome, je désire vous exprimer, en l’étendant à toutes les communautés juives, le salut fraternel de paix de cette Eglise et de toute l’Eglise catholique.
Nos relations me tiennent beaucoup à cœur. A Buenos Aires déjà, j’avais l’habitude de me rendre dans les synagogues pour y rencontrer les communautés qui s’y réunissent, suivre de près les fêtes et les commémorations juives et rendre grâce au Seigneur qui nous donne la vie et qui nous accompagne sur le chemin de l’histoire.
Au cours du temps, un lien spirituel s’est créé, qui a favorisé la naissance d’authentiques relations d’amitié et qui ont aussi inspiré un engagement commun.
Dans le dialogue interreligieux, il est fondamental que nous nous rencontrions comme des frères et sœurs devant notre Créateur et que nous lui rendions louange, que nous nous respections, et que nous nous apprécions mutuellement et que nous cherchions à collaborer. Et dans le dialogue judéo-chrétien, il y a un lien unique et particulier, en vertu des racines juives du christianisme : juifs et chrétiens doivent donc se sentir frères, unis par le même Dieu et par un riche patrimoine spirituel commun (cf. Déclaration Nostra aetate, 4), sur lequel se fonder pour continuer à construire l’avenir.
Par ma visite, je suis les pas de mes prédécesseurs. Le pape Jean-Paul II est venu ici il y a trente ans, le 13 avril 1986. Et le pape Benoît XVI a été parmi vous il y a déjà six ans.
A cette occasion, Jean-Paul II a forgé cette expression de « frères aînés » et en effet vous êtes nos frères et nos sœurs aînés dans la foi. Nous appartenons tous à une unique famille, la famille de Dieu, qui nous accompagne et qui nous protège comme son peuple.
Ensemble, en tant que juifs et en tant que catholiques, nous sommes appelés à assumer nos responsabilités pour cette ville, en apportant notre contribution, avant tout spirituelle, et en favorisant la résolution des différents problèmes actuels. Je souhaite que grandisse toujours plus la proximité, la connaissance réciproque, et l’estime entre nos deux communautés de foi.
C’est pourquoi il est significatif que je sois venu parmi vous aujourd’hui, le 17 janvier, alors que la Conférence épiscopale italienne célèbre la Journée du dialogue entre catholiques et juifs.
Nous venons de commémorer le 50e anniversaire de la Déclaration du concile Vatican II, Nostra ætate, qui a rendu possible le dialogue systématique entre l’Eglise catholique et le judaïsme. Le 28 octobre dernier, place Saint-Pierre, j’ai pu saluer aussi de nombreux représentants juifs et je me suis exprimé ainsi : « Dieu mérite une gratitude particulière pour la véritable transformation qu’a subie, au cours de ces 50 années, la relation entre les chrétiens et les juifs. L’indifférence et l’opposition se sont transformées en collaboration et bienveillance. D’ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères. Le Concile, avec la déclaration Nostra ætate, a tracé la route : « oui » à la redécouverte des racines juives du christianisme ; « non » à toute forme d’antisémitisme et condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent. »
Nostra ætate a défini théologiquement pour la première fois, de façon explicite, les relations de l’Eglise catholique avec le judaïsme. Elle n’a naturellement pas résolu toutes les questions théologiques qui nous concernent mais elle y a fait référence de façon encourageante, en fournissant un stimulant très important pour des réflexions ultérieures nécessaires.
A ce propos, le 10 décembre 2015, la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme a publié un nouveau document qui affronte les questions théologiques qui ont émergé ces dernières décennies, depuis la promulgation de Nostra ætate. En effet, la dimension théologique du dialogue judéo-chrétien mérite d’être toujours plus approfondie, et je désire encourager tous ceux qui sont engagés dans ce dialogue, à continuer dans ce sens avec discernement et persévérance.
Justement, d’un point de vue théologique, le lien indissoluble qui unit chrétiens et juifs apparaît clairement. Les chrétiens, pour se comprendre eux-mêmes, ne peuvent pas ne pas se référer à leurs racines juives, et l’Eglise, tout en professant le salut par la foi dans le Christ, reconnaît le caractère irrévocable de l’Ancienne Alliance, et l’amour constant et fidèle de Dieu pour Israël.
Avec les questions théologiques, nous ne devons pas perdre de vue les grands défis que le monde d’aujourd’hui doit affronter.
Celui d’une écologie intégrale est désormais prioritaire, et, en tant que chrétiens et juifs, nous pouvons et nous devons offrir à l’humanité tout entière le message de la Bible sur la protection de la Création.
Conflits, guerres, violences et injustices ouvrent des blessures profondes dans l’humanité, et nous appellent à renforcer l’engagement pour la paix et pour la justice. La violence de l’homme contre l’homme est en contradiction avec toute religion digne de ce nom, et en particulier les trois grandes religions monothéistes.
La vie est sacrée, en tant que don de Dieu. Le cinquième commandement du Décalogue dit : « Tu ne tueras pas » (Ex 20, 13). Dieu est le Dieu de la vie, et il veut toujours la promouvoir et la défendre. Et nous, créés à son image et à sa ressemblance, nous sommes tenus de faire de même. Tout être humain, en tant que créature de Dieu, est notre frère, indépendamment de son origine ou de son appartenance religieuse. Toute personne doit être regardée avec bienveillance, comme Dieu le fait, lui qui tend à tous sa main miséricordieuse, indépendamment de leur foi et de leur provenance, et qui prend soin de ceux qui ont le plus besoin de Lui : les pauvres, les malades, les marginaux, les sans-défense. Là où la vie est en danger, nous sommes encore plus appelés à la protéger. Ni la violence ni la mort n’auront le dernier mot devant Dieu, qui est le Dieu de l’amour et de la vie.
Nous devons le prier avec insistance afin qu’il nous aide à mettre en pratique en Europe, en Terre sainte, au Moyen Orient, en Afrique et dans tout autre partie du monde, la logique de la paix, de la réconciliation, du pardon et de la vie.
Au cours de son histoire, le peuple juif a dû faire l’expérience de la violence et de la persécution, jusqu’à l’extermination des juifs européens durant la Shoah.
Pour la seule raison de leur appartenance au peuple juif, six millions de personnes ont été victimes de la barbarie la plus inhumaine, perpétrée au nom d’une idéologie qui voulait remplacer Dieu par l’homme.
Le 16 octobre 1943, plus de mille hommes, femmes et enfants de la communauté juive de Rome ont été déportés à Auschwitz. Aujourd’hui, je désire me souvenir d’eux de façon spéciale : leurs souffrances, leurs angoisses, leurs larmes ne doivent jamais être oubliées. Et le passé doit nous servir de leçon pour le présent et pour l’avenir. La Shoah nous enseigne qu’il faut toujours la plus grande vigilance pour pouvoir intervenir rapidement pour défendre la dignité humaine et la paix.
Je voudrais exprimer ma proximité à chaque témoin de la Shoah encore vivant. Et je salue particulièrement ceux qui sont présents ici aujourd’hui.
Chers frères aînés, nous devons vraiment être reconnaissants pour tout ce qu’il a été possible de réaliser ces cinquante dernières années, parce qu’entre nous ont grandi et se sont approfondies la compréhension réciproque, la confiance mutuelle et l’amitié.
Prions ensemble le Seigneur afin qu’il conduise notre chemin vers un avenir bon, meilleur. Dieu a pour nous des projets de salut, comme le dit le prophète Jérémie :« Je connais mes projets pour vous – oracle du Seigneur – des projets de paix et non de malheur, pour vous accorder un avenir plein d’espérance » (Jérémie 29, 11).
Que le Seigneur nous bénisse et nous protège. Qu’il fasse briller sur nous son visage et nous donne sa grâce. Qu’il tourne vers nous son visage et nous accorde la paix (cf. Nombres 6,24-26). Shalom alechem !
[Texte original : italien, et hébreu]
© Traduction de Zenit, Anita Bourdin
Manuscrit offert par le pape François au Grand rabbin Riccardo Di Segni
Discours du pape François à la grande synagogue de Rome
« Non » à toute forme d’antisémitisme (traduction complète)