Face à « l’accroissement du pluralisme culturel », le Saint-Siège plaide pour « une affirmation ferme du droit à la liberté religieuse » : « c’est une condition de respect mutuel et d’égalité réelle dans le contexte d’une société pluraliste », a affirmé Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les relations avec les Etats, devant le Conseil de l’Europe, à Strasbourg, le 10 septembre 2018.
L’archevêque intervenait à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire de la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur le thème “Développement humain et intégral et universalité des droits dans un contexte multilatéral”. « Les droits de l’homme de chaque personne ne sauraient être dissociés des droits de l’homme de tous les hommes », a-t-il notamment souligné.
Mgr Gallagher a noté « une tendance croissante au nationalisme politique et au fondamentalisme idéologique, qui semblent de moins en moins compatibles avec une société fondée sur les principes de la démocratie et des droits humains ». En outre, « une partie de la culture libérale dominante a évolué vers une interprétation radicalement individualiste de certains droits, ou vers l’affirmation de nouveaux droits. De telles interprétations des droits, objectivement éloignées des textes fondateurs, contribuent à rendre beaucoup plus difficile un consensus universel », a-t-il estimé, craignant un « conflit d’anthropologies ».
Pour le Vatican, a-t-il ajouté, « la liberté religieuse revêt une importance particulière dans la construction des droits de l’homme, car cela protège la relation qui a pour but ultime l’existence. Cette relation constitue le noyau de la dignité transcendante de la personne ». « La liberté religieuse témoigne de l’ouverture d’une société démocratique : c’est reconnaître les limites de la compétence de l’État lorsqu’il s’agit de traiter des questions à la fois intimes et définitives, dans leur dimension individuelle et communautaire. »
Voici notre traduction du discours.
AK
Discours de Mgr Gallagher
Excellences,
Chers représentants du Secrétariat du Conseil de l’Europe,
Mesdames et messieurs,
Je tiens tout d’abord à vous remercier de votre présence à cette conférence organisée par la Mission permanente du Saint-Siège près le Conseil de l’Europe. Je remercie particulièrement Guido Raimondi, président de la Cour européenne des droits de l’homme, et Emmanuel Decaux, Professeur émérite de l’Université Panthéon Assas, qui ont accepté d’intervenir à ce dialogue sur le thème de l’universalité des droits humains. Je me réjouis également de la participation à cette réunion de représentants d’ONG d’inspiration religieuse, qui travaillent activement dans le domaine multilatéral. La Conférence d’aujourd’hui fait partie d’une série de manifestations voulues par le Saint-Siège pour marquer le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le point d’orgue de cet anniversaire sera une conférence internationale au Vatican, en décembre prochain, organisée par le Dicastère pour le service du développement humain intégral.
Certes, le Conseil de l’Europe a pour référence la plus immédiate et statutaire la convention européenne des droits de l’homme. Cependant, elle est profondément liée à la déclaration universelle. Tant par la genèse du texte, qui se situe dans les années qui suivent immédiatement la seconde Guerre mondiale, que par sa fécondité pour la rédaction des documents fondateurs sur les droits de l’homme, mais aussi parce que le caractère universel des droits de l’homme exige un dialogue constant entre les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme et la communauté internationale dans son ensemble.
Pour le Saint-Siège, le 70e anniversaire de la déclaration universelle est l’occasion de réaffirmer son engagement en faveur de l’homme et pour servir sa cause, dans un contexte, nous en sommes conscients, où le précieux patrimoine des droits de l’homme, que la communauté internationale avait solennellement proclamé comme fondement d’un nouvel ordre au lendemain des horreurs de la guerre, apparaît sérieusement remis en question, tant en théorie que dans la pratique.
Nous croyons fermement que le principe de la dignité inhérente à tout être humain, avec les droits inaliénables qui en découlent, inscrit dans le Préambule de la déclaration universelle[1], a une convergence naturelle et profonde avec la compréhension biblique de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et avec le principe de l’amour fraternel, qui sont la base de la conception chrétienne de l’homme et du monde[2]. Ils sont aussi une claire expression de la nature qui unit objectivement le genre humain[3]. Ces concepts , le pape François a eu l’occasion de les rappeler dans son discours devant le corps diplomatique au début de l’année, en rappelant le 70e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Si nous avons choisi « le défi de l’universalité » comme thème de ce colloque, c’est parce que nous croyons que l’universalité des droits représente la question cruciale de notre temps, un véritable sujet stantis aut cadentis sur lequel se joue la possibilité que les droits humains continuent à marquer l’horizon commun pour la construction de nos sociétés, le point de référence obligatoire pour l’exercice du pouvoir politique, l’indicateur de la route à suivre pour la communauté internationale.
Les deux orateurs précédents ont déjà souligné avec la compétence qui les distingue les éléments qui sont en jeu, notamment d’un point de vue juridique. Pour ma part, je voudrais m’arrêter à trois défis majeurs qui, dans le contexte historique actuel, se posent à la reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme, pour ensuite chercher des pistes de réponse possibles. Les trois défis sont : un modèle de développement social qui n’est pas suffisamment inclusif ; les dérives liées au pluralisme culturel croissant ; et les persistantes et graves violations des droits humains qui se produisent dans différentes parties du monde.
Le premier défi à l’universalité des droits est celui qui découle du modèle de développement social que nous poursuivons, tant au niveau des économies avancées qu’au niveau mondial. Ces dernières années, nous assistons à une plus grande dégradation du tissu social dans les sociétés occidentales. Cette dégradation est due à de nombreux facteurs : la croissance des inégalités économiques, l’appauvrissement de certains secteurs de la population, la précarité du travail, le redimensionnement parfois drastique des systèmes de protection sociale. D’une manière générale, nous assistons à une crise dans la mise en œuvre des droits sociaux qui touche particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité et, dans de nombreux cas, risque de porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Au niveau mondial aussi, malgré la croissance globale de l’économie mondiale, des populations entières restent dans la misère, aggravée par le fait que la révolution communicative leur a permis de regarder de près comment d’autres peuples sont confortablement assis au banquet de l’opulence.
La situation sociale que nous vivons, dans les pays développés comme dans les pays en développement, a un poids non négligeable dans la remise en cause du discours sur les droits de l’homme, qui prend de la vigueur dans de nombreux domaines. Sans justifier ces positions, nous devons essayer de les comprendre et d’y remédier afin de répondre à un problème de plus en plus grave de cohésion sociale dont nous ne pouvons rester de simples spectateurs.
Si nous assistons avec une certaine crainte, à l’échelle mondiale, à l’émergence dans certains pays de modèles de croissance économique sans démocratie et sans droits, nous devons également craindre de construire des sociétés fondées sur l’affirmation des libertés individuelles, mais pauvres en justice sociale. La question est donc de savoir si les modèles de développement que nous poursuivons, en raison de leur manque d’inclusivité, sont compatibles, à long terme, avec l’affirmation de l’universalité des droits humains.
Un deuxième défi à l’universalité des droits découle du pluralisme culturel croissant que nous vivons au sein de nos sociétés. Ce n’est certainement pas un phénomène nouveau : en 1948 déjà, lors du processus de négociation de la déclaration universelle, nous avons été confrontés à cette nécessité d’intégrer des perspectives culturelles et religieuses différentes. Et au fil des décennies, arrivait la critique récurrente, quoique non justifié, de ceux qui voulaient voir dans la proclamation des droits humains uniquement l’héritage de la culture occidentale.
Mais aujourd’hui, ce pluralisme semble subir un changement. D’une part, nous assistons à une tendance croissante au nationalisme politique et au fondamentalisme idéologique, qui semblent de moins en moins compatibles avec une société fondée sur les principes de la démocratie et des droits humains. D’autre part, une partie de la culture libérale dominante a évolué vers une interprétation radicalement individualiste de certains droits, ou vers l’affirmation de nouveaux droits. De telles interprétations des droits, objectivement éloignées des textes fondateurs[4], contribuent à rendre beaucoup plus difficile un consensus universel. Ainsi, un « conflit d’anthropologies » risque de se déclencher, exacerbé par le processus de mondialisation et de mobilité humaine.
Le troisième défi découle de l’instabilité de l’ordre international et des menaces croissantes contre la paix. Il ne s’agit pas ici d’une contestation théorique à l’universalité des droits, mais plutôt à la diffusion inquiétante de violations systématiques et très graves de ces droits, qui remettent en cause la communauté internationale, dans la mesure où elles mettent en cause sa capacité à construire un ordre fondé sur les principes qu’elle proclame et qu’elle a volontairement et pour la plupart accepté en ratifiant les neuf principaux traités des droits de l’homme élaborés suite à la déclaration, dont les deux Pactes internationaux sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels adoptés en 1966.
Le pape François a parlé plusieurs fois d’une « troisième guerre mondiale en morceaux » [5] et la nature propre de la guerre nous amène à affirmer que la paix ne saurait être créée ni maintenue par le respect des droits humains, à moins qu’il n’y ait de clairs éléments de justice. Les difficultés évidentes à respecter les lois internationales relatives aux droits de l’homme ne sont pas une excuse pour les ignorer. Au contraire, ces difficultés doivent conduire à un effort encore plus grand pour intégrer ces considérations dans une réalité active. C’est ce que nous devons constamment viser pour réduire cet écart entre la théorie et la pratique.
J’ai mentionné trois défis à l’universalité des droits, parmi d’autres qui pourraient être mentionnés. Je voudrais maintenant offrir quelques pistes de réponse, du point de vue particulier du Saint-Siège, en m’inspirant à la fois de la doctrine sociale de l’Église et des perspectives qui, encore aujourd’hui, 70 ans plus tard, peuvent ouvrir le texte de la déclaration universelle, texte que Jean Paul II a qualifié de « jalon sur le long et difficile chemin du genre humaine » [6].
Concernant le premier des défis mentionnés, celui relatif au modèle de développement social qui n’est pas suffisamment inclusif aujourd’hui, je crois qu’il est fondamental de se référer à un aspect qualifiant de la déclaration universelle : l’affirmation simultanée des droits « politiques et civil » et des droits « économiques, sociaux et culturels ». Ce point est, à mon avis, essentiel mai souvent oublié. Il est vrai que la protection et la promotion des premiers ont une dynamique différente par rapport aux deuxièmes, mais aucune des deux catégories ne peut se développer sans l’autre. Quand, par exemple, les droits économiques et sociaux se désagrègent, toute la construction des droits de l’homme s’affaiblit et les libertés civiles et politiques sont également plus susceptibles d’être victimes de l’oppression causée par l’égoïsme individualiste ou le populisme. L’article 22 de la déclaration universelle résume cela en disant : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays » En ce qui concerne le Conseil de l’Europe, je pense que la recherche de plus grandes synergies pourrait renforcer l’interdépendance entre les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme et ceux protégés par la Charte sociale.
Cette vision reflète pleinement ce que, du point de vue de la doctrine sociale, nous appelons le « développement humain intégral » et que Paul VI résumait, il y a plus de cinquante ans, dans la formule : « le développement de tout homme et de tout l’homme » [7]. D’abord « de tout homme » : pour reprendre les termes de l’agenda 2030 pour le développement durable, « personne ne doit être laissé derrière ». De notre point de vue, cela signifie donner la priorité à tous les êtres humains en situation de faiblesse, au risque d’être simplement rejetés, des pauvres aux chômeurs, des migrants aux jeunes sans éducation, des femmes victimes de violence, des personnes âgées vivant dans la solitude, des enfants à naître aux handicapés : une attention qui se concrétise dans l’engagement charitable et social diversifié que l’Église catholique et les ONG inspirées des catholiques continuent d’assumer dans le monde. En outre, le développement intégral signifie « développement de tout l’homme », c’est-à-dire l’homme dans toutes ses dimensions: à partir des besoins élémentaires de survie, au droit à l’éducation, à la possibilité de participer à la vie communautaire, à la nécessité de vivre librement sa foi et sa foi. Peut-être oublions-nous facilement que la promotion d’un humanisme intégral est un élément essentiel pour la croissance des sociétés démocratiques. L’objectif de promouvoir les libertés fondamentales de toute personne est indissociable de celui de construire une société juste : c’est le reflet de l’universalité des droits.
Concernant le deuxième défi, celui de l’accroissement du pluralisme culturel, je pense qu’il faut chercher une réponse dans une affirmation ferme du droit à la liberté religieuse. C’est une condition de respect mutuel et d’égalité réelle dans le contexte d’une société pluraliste.
La liberté religieuse revêt une importance particulière dans la construction des droits de l’homme, car cela protège la relation qui a pour but ultime l’existence. Cette relation constitue le noyau de la dignité transcendante de la personne, dans lequel se reflètent également les différentes visions de l’homme[8]. Il est bien connu que la liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de culte ou de professer sa foi ; elle inclut, comme le stipule l’article 18 de la déclaration, la liberté de « manifester, seul ou en commun, tant en public qu’en privé, sa propre religion ou sa conviction par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».
La liberté religieuse témoigne de l’ouverture d’une société démocratique : c’est reconnaître les limites de la compétence de l’État lorsqu’il s’agit de traiter des questions à la fois intimes et définitives, dans leur dimension individuelle et communautaire. La distance croissante entre les cultures religieuses et non religieuses, ainsi que les grandes différences entre les différentes visions religieuses et parfois au sein de mêmes traditions, exigent que l’État évite de prendre position pour l’une ou l’autre des visions du monde. Lorsque l’État est indirectement contraint de le faire, il devrait respecter ses citoyens, en permettant autant que possible aux individus et aux communautés de vivre conformément à leurs convictions les plus profondes. Pour reprendre les mots du Pape François : « La construction de sociétés inclusives exige comme condition une compréhension intégrale de la personne humaine, qui peut se sentir vraiment accueillie quand elle est reconnue et acceptée dans toutes les dimensions qui composent son identité, y compris son identité religieuse »[9]. Ce n’est qu’avec cette attitude de neutralité bienveillante qu’il sera possible de favoriser un sentiment d’appartenance et le dialogue nécessaire entre des personnes et des groupes appartenant à des traditions culturelles différentes. Il me semble que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme offre, à cet égard, des éléments importants.
Cette tâche peut sembler difficile, mais elle est essentielle, précisément pour promouvoir l’affirmation de l’universalité des droits. En effet, c’est à travers ces traditions culturelles et religieuses que notre compréhension de la personne humaine et de sa dignité inaliénable s’est forgée au fil de l’histoire. Nous devons reconnaître qu’une affirmation correcte de l’universalité des droits de l’homme n’est pas possible sans tenir compte de ces approches historiquement et culturellement déterminées et, même, qu’elle dépend de leur contribution. Avec le patrimoine qu’elle offre, chaque vision a aussi ses limites, qui peuvent être comprises à travers un dialogue ouvert avec d’autres visions du monde[10]. Quiconque souhaite surmonter ce difficile travail de médiation, par une affirmation universelle abstraite et a-historique de la dignité humaine et de ses valeurs, commettrait une erreur tragique, car une telle approche finirait par éteindre la lymphe vitale qui nourrit dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps le sens du respect pour la dignité de la personne humaine[11].
Certes, le croissant pluralisme met parfois à l’épreuve la possibilité de trouver une entente commune sur la manière dont certaines des valeurs fondamentales devraient s’exprimer dans le contexte d’une société pluraliste. Mais ici justement, le respect de la liberté religieuse peut venir en aide, à travers la recherche d’accommodements raisonnables ou la reconnaissance d’espaces nécessaires à l’objection de conscience. Ces éléments, loin de rompre la cohésion sociale, peuvent la promouvoir, en exprimant l’acceptation de la difficulté de vivre ensemble, le respect de l’autre et de la pluralité des points de vue, et la reconnaissance de la nécessité d’aller plus loin dans la recherche commune de ce qui protège la dignité universelle de la personne humaine.
Enfin, le troisième défi concerne l’instabilité de l’ordre international, avec les violations généralisées et graves qui continuent de se produire dans de nombreux pays : c’est un défi énorme, qui conduit souvent à s’interroger sur l’efficacité de l’approche fondée sur les droits humains pour le bien-être de l’humanité et la construction de la paix dans le monde. Il n’y a bien sûr pas de réponse facile à ce défi, mais il me semble qu’un chemin peut s’ouvrir sur la base de ce qui est mentionné à l’article 1 de la Déclaration : après avoir affirmé que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », celle-ci ajoute : « Ils sont dotés de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». C’est là un point essentiel et peut-être trop souvent oublié : toute la construction des droits de l’homme suppose comme condition sine qua non de reconnaître, dans un esprit de fraternité, que mes droits et ceux de l’autre sont liés et interdépendants. Donc, si la dignité et les droits des autres sont ignorés ou bafoués, ma dignité et mes droits sont alors également en danger.
C’est ce à quoi nous assistons de plus en plus souvent : les graves injustices économiques et sociales qui touchent l’humanité ont également un impact direct en Europe ; la crise des migrants et des réfugiés, entre autres choses, nous l’a appris. Cela peut constituer un enseignement important pour un système de protection régionale des droits tel que celui du Conseil de l’Europe. Ce système, parfois, face à des difficultés croissantes dans le domaine des droits de l’homme, pourrait être tenté de se refermer sur lui-même, satisfait de ses succès, oubliant que la contribution qu’il peut offrir aux pays voisins est un élément essentiel de la protection des droits de l’homme dans son pays.
« Le développement est le nouveau nom de la paix », affirmait Paul VI il y a plus de cinquante ans[12]. Une approche intégrale de la question de la paix, y compris le soutien au développement des nations les plus pauvres, implique également la responsabilité de la protection de l’environnement, qui est un élément essentiel de la promotion et de la protection des droits humains. C’est l’enseignement que le pape François a voulu donner dans l’encyclique Laudato Si’. Il y souligne à plusieurs reprises que « tout est en relation » : le respect de notre vie et de celle des autres ; une économie juste et la jouissance des droits ; l’état de santé des institutions démocratiques et la sauvegarde de la création ; le respect de l’environnement, la promotion de la justice et la sauvegarde de la paix. « Tout est relation », peut être une autre façon d’exprimer l’universalité des droits.
Pour répondre aux nombreux aspects de la crise mondiale que nous vivons actuellement, le pape François a promu, à cet égard, le concept d’ « écologie intégrale ». « Il n’y a pas deux crises distinctes, dit-il, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une crise socio-environnementale unique et complexe. Les lignes directrices pour une solution exigent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour restaurer la dignité des exclus et en même temps prendre soin de la nature » [13].
Je suis conscient qu’avec cette perspective, nous sortons du terrain des droits compris dans leur sens strict ; toutefois, le sens d’une écologie intégrale réside précisément dans le fait de se rappeler que l’avenir des droits de l’homme, leur défense et leur protection, leur caractère universel, doivent être soutenus comme faisant partie d’un tout.
En conclusion, je crois que le 70e anniversaire de la Déclaration universelle est une bonne occasion pour relancer cette « foi dans les droits humains fondamentaux, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits humains et des droits des femmes », exprimée avec éloquence dans le préambule. En dernière analyse, l’universalité des droits repose sur le caractère universel de la personne humaine elle-même[14], qui lui est intrinsèque en raison de son ouverture naturelle à une vérité qui la dépasse. Dans cette ouverture à la vérité et au bien universel se trouve le fondement de l’unité de l’humanité. C’est précisément sur cette ouverture commune que se fonde l’universalité de la famille humaine. C’est pourquoi les droits de l’homme de chaque personne ne sauraient être dissociés des droits de tous les hommes au sein de la communauté, comme l’affirment à juste titre les premières lignes du préambule de la Déclaration universelle : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».
Merci de votre attention.
1] « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » : préambule.
2] « Pour le Saint-Siège, en effet, parler des droits de l’homme, c’est avant tout reproposer la place centrale de la dignité de la personne, dans la mesure où elle a été voulue et créée par Dieu à son image et ressemblance. Le Seigneur Jésus lui-même, guérissant le lépreux, rendant la vue aux aveugles, s’entretenant avec le publicain, épargnant la vie de la femme adultère et invitant à soigner le voyageur blessé, a fait comprendre que tout être humain, quelle que soit sa condition physique, spirituelle ou sociale, mérite respect et considération. D’un point de vue chrétien, il existe donc une relation significative entre le message évangélique et la reconnaissance des droits de l’homme, dans l’esprit des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme » : François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près-le Saint-Siège (8 janvier 2018).
3] Cf. Ibid.
4] « Il faut aussi garder à l’esprit que sans cette recherche de la vérité, chacun devient une mesure de soi et de son action, ouvrant la voie à l’affirmation subjectiviste des droits, de sorte que le concept de droit humain, qui a en soi une valeur universelle, est remplacé par l’idée de droit individualiste. Cela nous conduit à être substantiellement insensibles aux autres et à favoriser la mondialisation de l’indifférence qui découle de l’égoïsme, fruit d’une conception de l’homme incapable d’accepter la vérité et de vivre une authentique dimension sociale » : François, Discours au Conseil de l’Europe (25 novembre 2014).
5] Cf., entre autres, Conférence de presse au retour du voyage apostolique en Corée, 18 août 2014 ; Homélie de la messe au sanctuaire militaire de Redipuglia, 13 septembre 2014 ; Homélie de la messe à Sarajevo, 6 juin 2015 ;
6] Jean-Paul II, Discours à l’Assemblée générale des Nations Unies (2 octobre 1979).
7] Paul VI : Encyclique Populorum Progressio (26 mars 1967), n. 14.
8] « La source et la synthèse de ces droits est, dans un certain sens, la liberté religieuse, entendue comme le droit de vivre dans la vérité de sa propre foi et en conformité avec la dignité transcendante de sa propre personne » : Jean-Paul II, Encyclique Centesimus Annus (1er mai 1991), n.47 ; « On pourrait dire que, parmi les droits et libertés fondamentaux ancrés dans la dignité de la personne, la liberté religieuse a un statut spécial. Lorsque la liberté religieuse est reconnue, la dignité de la personne humaine est respectée à sa racine et l’éthique des institutions des peuples est renforcée. Inversement, lorsque la liberté religieuse est bafouée, lorsque l’on tente d’empêcher une personne de professer sa religion ou sa foi et de vivre selon celle-ci, la dignité humaine est offensée et, en même temps, la justice et la paix sont menacées, qui sont fondées sur cet ordre social juste construit à la lumière de la vérité et du bien suprême » : Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la Paix (1er janvier 2011).
9] François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près-le Saint-Siège (8 janvier 2018).
10] « Pour relever le défi de la diversité religieuse dans un monde qui ne sera plus hégémonisé par la culture occidentale, il faut trouver une voie qui, en définissant le contenu du droit à la liberté religieuse, évite les écueils d’un universalisme sourd aux différences culturelles et religieuses et d’un particularisme qui tombe dans une conception relativiste des droits » : Silvio Ferrari, « La liberté de religion à l’époque de la diversité », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica 26 (2018), 290.
11] Cf. l’appel lancé par le pape François, dans son discours au Conseil de l’Europe le 25 novembre 2014, à relever les défis de la « multipolarité » et de la « transversalité » du dialogue.
12] Paul VI, Encyclique Populorum Progressio (26 mars 1966), nos 76 à 80.
13] François, Encyclique Laudato si’ (24 mai 2015) n. 139.
14] « Les droits de l’homme sont toujours plus présentés comme le langage commun et le substrat éthique des relations internationales. Tout comme leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance sont autant de garanties de protection de la dignité humaine. Mais il est évident que les droits reconnus et exposés dans la Déclaration s’appliquent à tout homme, cela en vertu de l’origine commune des personnes, qui demeure le point central du dessein créateur de Dieu pour le monde et pour l’histoire. Ces droits trouvent leur fondement dans la loi naturelle inscrite au cœur de l’homme et présente dans les diverses cultures et civilisations. Détacher les droits humains de ce contexte signifierait restreindre leur portée et céder à une conception relativiste, pour laquelle le sens et l’interprétation des droits pourraient varier et leur universalité pourrait être niée au nom des différentes conceptions culturelles, politiques, sociales et même religieuses. La grande variété des points de vue ne peut pas être un motif pour oublier que ce ne sont pas les droits seulement qui sont universels, mais également la personne humaine, sujet de ces droits » : Benoît XVI, Discours à l’Assemblée générale des Nations Unies (18 avril 2018).
Mgr Gallagher @ eclj.org
Conseil de l'Europe : le Saint-Siège plaide pour "une affirmation ferme du droit à la liberté religieuse"
Intervention de Mgr Gallagher sur les Droits de l’homme