Arrivée à Port Louis, Ile Maurice © Vatican Media

Arrivée à Port Louis, Ile Maurice © Vatican Media

Conférence de presse Antananarivo-Rome (3) : « obéir aux institutions internationales »

« Je me suis senti humble et tout petit devant cette grandeur de la ‘souveraineté’ populaire »

Share this Entry

« Il faut obéir aux institutions internationales », a affirmé le pape François. « Nous devons avancer en renforçant les institutions internationales : les Nations Unies…, l’Union européenne pour qu’elle soit plus forte, non pas dans le sens de la domination, mais dans le sens de la justice, la fraternité, l’unité pour tous. Je crois que c’est une des choses importantes. »
C’est ce que le pape a répondu à une question d’un journaliste de l’île Maurice sur le sort du peuple de Chagos, en exil forcé depuis des années, qui veut retourner sur sa terre lors de la Conférence de presse que le pape a donnée dans l’avion Antananarivo-Rome, le 10 septembre 2019, au terme de son voyage apostolique au Mozambique, à Madagascar et à l’île Maurice (4-10 septembre).
Le pape a aussi mis en garde contre « la colonisation idéologique » qui « cherche à effacer l’identité des autres pour les rendre égaux », qui fait « des propositions idéologiques qui vont à l’encontre de la nature » du peuple, contre ses « valeurs ».
Le pape a partagé ses impressions du voyage à l’île Maurice en disant qu’il avait été « beaucoup frappé » par « la capacité d’unité interreligieuse », du « dialogue interreligieux ». « C’est un signe de maturité de ton pays », a-t-il dit au journaliste.
« Une autre chose » qui avait « frappé » le pape dans tous les trois pays était « le peuple ».
« C’était le peuple qui voulait être avec le pape, a-t-il expliqué. Je me suis senti humble et tout petit devant cette grandeur de la ‘souveraineté’ populaire. Et quel est le signe qui montre qu’un groupe de gens forme un peuple ? La joie. »
Voici la réponse du pape François :
Je voudrais réaffirmer la Doctrine de l’Église sur ce point. Les organisations internationales, quand nous les reconnaissons et que nous leur donnons la capacité de juger au niveau international – pensons au Tribunal international de La Haye ou aux Nations Unies -, lorsqu’elles se prononcent, si nous sommes une unique humanité, nous devons obéir. Il est vrai que les choses qui semblent justes pour toute l’humanité ne seront pas toujours justes pour nos poches, mais il faut obéir aux institutions internationales. C’est pour cela qu’on été créées les Nations Unies, qu’on été créés les tribunaux internationaux, afin que lorsqu’il y a un conflit interne ou entre les pays, on y aille pour le résoudre comme des frères, comme des pays civilisés.
Il y a ensuite un autre phénomène qui, je ne sais pas, je le dis clairement, je ne sais pas si cela peut s’appliquer à ce cas. Maintenant le cas particulier, je le laisse de côté. J’ai dit qu’il me semble juste de se référer aux organisations internationales. Mais il y a un phénomène. Lorsque se produit la libération d’un peuple et que l’État dominant voit qu’il doit s’en aller – en Afrique, il y a eu de nombreuses libérations de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique, de l’Italie… ils ont dû s’en aller -, certaines se sont bien passées, mais il y a toujours la tentation de s’en aller « en se remplissant les poches ». Oui, j’accorde la libération à ce peuple, mais j’emporte avec moi « quelques miettes »… Par exemple, je donne la libération à ce pays, mais « au-dessus du sol » : le sous-sol reste à moi. C’est un exemple, je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est pour donner un exemple. Il y a toujours cette tentation. Je crois que les organisations internationales doivent mettre aussi en place un processus d’accompagnement, en reconnaissant aux puissances dominantes ce qu’elles ont fait pour ce pays et en reconnaissant leur bonne volonté de s’en aller, et en les aidant afin qu’elles partent complètement, dans la liberté et la fraternité. C’est un lent travail culturel de l’humanité et en cela, les institutions internationales nous aident beaucoup, toujours, et nous devons avancer en renforçant les institutions internationales : les Nations Unies pour qu’elles retrouvent cet esprit…, l’Union européenne pour qu’elle soit plus forte, non pas dans le sens de la domination, mais dans le sens de la justice, la fraternité, l’unité pour tous. Je crois que c’est une des choses importantes.
Mais je voudrais ajouter quelque chose en profitant de votre intervention. Aujourd’hui, il n’y a pas de colonisations géographiques – au moins pas trop… –, mais il y a des colonisations idéologiques, qui veulent entrer dans la culture des peuples et changer cette culture et homogénéiser l’humanité. C’est l’image de la mondialisation comme une sphère : tous égaux, tous les points équidistants du centre. Mais la véritable mondialisation n’est pas une sphère, c’est un polyèdre où tous les peuples, toutes les nations conservent leur propre identité tout en s’unissant à toute l’humanité. En revanche, la colonisation idéologique cherche à effacer l’identité des autres pour les rendre égaux ; et ils viennent avec des propositions idéologiques qui vont à l’encontre de la nature de ce peuple, contre l’histoire de ce peuple, contre les valeurs de ce peuple. Nous devons respecter l’identité des peuples. C’est une prémisse qu’il faut toujours défendre. L’identité des peuples doit être respectée, et c’est ainsi que nous chassons toutes les idéologies. Merci.
Oui, avant de donner la parole à EFE – qui est la privilégiée de ce voyage : elle est « vieille », elle a 80 ans ! – je voudrais dire quelque chose de plus sur le voyage, quelque chose qui m’a beaucoup frappé. De ton pays [Maurice], ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la capacité d’unité interreligieuse, de dialogue interreligieux. On n’annule pas la différence des religions, mais on souligne que nous sommes tous frères, que nous devons tous parler. Et c’est un signe de maturité de ton pays. En parlant avec le premier ministre, hier, j’ai été frappé de voir comment ils ont élaboré cette réalité et la vivent comme une nécessité de coexistence. Il y a aussi une commission inter-cultuelle qui se réunit… La première chose que j’ai trouvée hier, en entrant dans l’évêché – c’est une anecdote – c’est un magnifique bouquet de fleurs. Qui l’a envoyé ? Le Grand Imam. Oui, des frères : la fraternité humaine qui est à la base et qui respecte toutes les croyances. Le respect religieux est important, c’est pourquoi je dis aux missionnaires : « Ne faites pas de prosélytisme ». Le prosélytisme vaut pour la politique, pour le monde du sport – mon équipe, la tienne… – c’est valable pour tout cela, mais pas pour la foi. « Mais pour vous, pape, que signifie évangéliser ? ». Il y a une phrase de saint François qui m’a beaucoup éclairé. François d’Assise disait à ses frères : « Apportez l’Évangile, et si nécessaire par les paroles aussi ». Cela signifie qu’évangéliser, c’est ce que nous lisons dans les Actes des Apôtres : le témoignage. Et ce témoignage provoque une question : « Mais toi, pourquoi vis-tu ainsi, pourquoi fais-tu cela ? ». Alors j’explique : « Pour l’Évangile ». L’annonce vient après le témoignage. Avant, tu vis en chrétien et, si on te demande, tu annonces. Le témoignage est le premier pas, et le protagoniste de l’évangélisation n’est pas le missionnaire, mais l’Esprit Saint qui pousse les chrétiens et les missionnaires à rendre témoignage. Les questions viendront ensuite ou elles ne viendront pas, mais le témoignage de la vie, c’est cela le premier pas. C’est important pour éviter le prosélytisme. Quand vous voyez des propositions religieuses qui vont dans la voie du prosélytisme, elles ne sont pas chrétiennes. Elles cherchent des prosélytes, pas des adorateurs de Dieu en vérité, à partir du témoignage. Je saisis cette occasion de dire cela à propos de votre expérience interreligieuse qui est si belle. Et le premier ministre m’a aussi dit que quand l’un demande de l’aide, on donne également à tous et personne n’est offensé parce qu’ils se sentent frères. Et cela fait l’unité du pays. C’est très, très important. Ensuite, dans les rencontres, il n’y avait pas seulement des catholiques, il y avait des chrétiens d’autres confessions et de musulmans, des hindous, mais tous étaient frères. J’ai aussi vu cela à Madagascar et aussi [au Mozambique], lors de la rencontre interreligieuse des jeunes pour la paix, où les jeunes de différentes religions ont voulu exprimer comment ils vivent leur désir de paix. Paix, fraternité, coexistence interreligieuse, pas de prosélytisme. Ce sont des choses que nous devons apprendre pour la coexistence. C’est quelque chose que je dois dire
Et puis une autre chose qui m’a frappé – et je me réfère à cette rencontre dans ton pays et ensuite dans les trois pays, mais j’en prends un, Madagascar, parce que nous sommes partis de là – : le peuple. Le peuple était dans les rues, le peuple autoconvonqué. À la messe, au stade, sous la pluie, il y avait le peuple, et il dansait sous la pluie, il était heureux. Heureux, je reprendrai cela après. Et aussi pendant la veillée nocturne [des jeunes à Madagascar] et à la messe – on dit qu’il y avait plus d’un million de personnes (je ne sais pas, ce sont les statistiques officielles qui le disent, je vais un peu au-dessous, disons huit cents milles), mais le nombre n’a pas d’importance, ce qui nous intéresse, c’est le peuple, les gens qui sont venus à pied depuis l’après-midi d’avant, qui étaient à la veillée et qui ont dormi sur place. J’ai pensé à Rio de Janeiro en 2013, quand ils dormaient sur la plage. C’était le peuple qui voulait être avec le pape. Je me suis senti humble et tout petit devant cette grandeur de la « souveraineté » populaire. Et quel est le signe qui montre qu’un groupe de gens forme un peuple ? La joie. Il y avait des pauvres, il y avait des gens qui n’avaient pas mangé cet après-midi-là pour être sur place, mais ils étaient joyeux. En revanche, quand les personnes ou les groupes s’éloignent de ce sens populaire de la joie, ils perdent la joie. C’est un des premiers signes, la tristesse des personnes seules, la tristesse de ceux qui ont oublié leurs racines culturelles. Avoir conscience d’être un peuple, c’est avoir conscience d’avoir une identité, d’avoir une façon de comprendre la réalité, et cela rapproche les gens. Mais le signe que tu es dans le peuple, et non dans une élite, c’est la joie, la joie commune. Je tenais à souligner cela. Et c’est pour cette raison que les enfants saluaient ainsi, parce que leurs parents transmettaient leur joie.
Merci ! C’est ce que je voulais dire sur ce voyage, ensuite, s’il me vient à l’esprit quelque chose d’autre, je le dirai. Et maintenant, la « privilégiée » !
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
 

Share this Entry

Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel