Conclusions du colloque de Vienne sur l’Europe

Organisé par le Conseil pour la Culture et le Patriarcat de Moscou

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ROME, Vendredi 5 mai 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous les conclusions du colloque organisé à Vienne du 3 au 5 mai par le Conseil pontifical de la Culture et le Département pour les relations ecclésiales extérieures du Patriarcat de Moscou, rédigées par le père Bernard Ardura, secrétaire du Conseil pontifical de la Culture.

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Eminences,
Excellences,
Chers amis,

À l’aube du troisième millénaire, nous prenons une conscience aiguë d’être les héritiers d’une tradition bimillénaire, mieux, d’une identité culturelle européenne, alimentée par la foi au Christ, vécue à travers les traditions chrétiennes qui ont façonné, au cours des siècles, le cadre de vie des Européens unis dans l’essentiel par delà leurs diversités.

Nous avons pris conscience de notre commune analyse des défis qui, aujourd’hui, caractérisent l’Europe, et de notre commune responsabilité vis-à-vis de l’avenir du continent. Notre réunion à Vienne entend être un bout de chemin parcouru ensemble, comme disciples du Christ mettant nos pas dans les empreintes des pas du Maître, le Bon Pasteur, en toute loyauté et vérité.

Depuis trois jours, nous avons modulé, chacun à sa façon, un désir longtemps mûri, devenu plus qu’un souhait, une volonté, celle de coopérer pour donner une âme à l’Europe, conscients de la mission et de la responsabilité de nos Eglises devant Dieu et devant l’Histoire.

1. Nous prenons acte de la situation actuelle de l’Europe, dont le processus d’union connaît une période d’incertitude et dont le projet de maison commune est, en quelque sorte, en suspens après l’échec du processus d’adoption du Traité constitutionnel.

La crise qui ébranle l’Europe est d’ordre culturel : son identité chrétienne est en train de se diluer. La situation des peuples européens se caractérise par un doute profond de l’homme sur lui-même : il sait ce qu’il est en mesure de faire, mais il ne sait plus qui il est.

Cette crise menace l’avenir de l’Europe et a des conséquences démographiques dramatiques : le refus de l’enfant, les unions sans lendemain ou mariage à l’essai, les unions homosexuelles, le refus de partager sa vie avec une autre personne dans le mariage, tout cela contribue à un véritable suicide démographique européen, au nom de l’égoïsme et de l’hédonisme.

Le vide spirituel et moral qui affecte l’Europe, fruit d’une sécularisation sans borne, est tellement étranger à la nature humaine, que surgissent un peu partout les expressions les plus aberrantes du sentiment religieux indissociable de la personne humaine, puisque l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Sectes d’origine évangélique ou d’origine asiatique, communautés dans la mouvance du New Age, ressurgence du vieux paganisme pré-chrétien sont autant de réponses illusoires sinon tragiques à la soif de spiritualité d’Européens désorientés, à la recherche d’un fragile sentiment de cohésion personnelle.

La sécularisation ne s’est pas arrêtée aux portes de nos familles, de nos couvents ou de nos paroisses, elle a pénétré certains milieux ecclésiaux, au point que beaucoup de jeunes ne connaissent ni Dieu ni l’Eglise.

2. La culture est la voie privilégiée de notre coopération au service de l’Evangile, de tout homme et de tout l’homme. A la différence des antiques religions asiatiques qui voient dans les réalités de ce monde une émanation du divin, nous croyons que ce monde est la création voulu par Dieu, qui nous établit dans un rapport d’altérité et de réciprocité par rapport à Lui, source de l’amour.

Aussi, parler de l’homme, dans la tradition chrétienne de l’Europe, c’est parler de priorité de l’éthique sur la technique, du primat de la personne sur les choses, de la supériorité de l’esprit sur la matière.

Devant Dieu et devant l’Histoire, nous sommes responsable du maintien et de la promotion de cette culture chrétienne en Europe. Ainsi, face au relativisme moral et au scepticisme de la raison, il nous faut refaire l’unité spirituelle de l’Europe, l’aider à retrouver son âme toujours vivante. Or, dans l’aphasie actuelle qui voit disparaître les chrétiens de la vie publique, nous sommes en train de préparer une amnésie générale dont les effets pervers se font déjà sentir dans les difficultés de transmission de la foi et de la culture aux jeunes générations.

Devant l’athéisme pratique et l’indifférence, il nous faut approfondir ensemble la foi et la tradition de nos Eglises, pour les rendre capables de produire du fruit dans la charité, et donner l’espérance. Devant le sécularisme, il nous faut proposer une vision de l’homme et du monde tendus vers leur accomplissement en Dieu, une liturgie dont la beauté ouvre sur la sainteté de Dieu et fasse comprendre quelle est la vocation ultime de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu : devenir un saint.

Devant la solitude et la misère qui menacent une couche toujours plus grande de nos populations et accroissent les disparités entre les nantis et les défavorisés, il nous faut créer des communautés chrétiennes, vivantes et fraternelles, agissantes et solidaires.

Nous en avons davantage pris conscience au cours de ses journées d’études, de réflexion et de partage, il nous faut contribuer à une vision chrétienne de la culture, présentée à nos contemporains de façon appropriée, car notre souci n’est pas seulement de proclamer le Message du Christ ; il faut encore et surtout qu’il soit entendu et compris, pour être reçu et devenir source d’inspiration pour la vie.

En transmettant les valeurs incomparables de notre héritage culturel européen, c’est un amour vrai de la personne humaine qui nous conduit. A travers l’homme et les valeurs dont Dieu a voulu l’entourer, nous pouvons relier l’Europe d’hier à aujourd’hui et à demain, pour y faire fructifier son patrimoine spirituel et culturel. C’est cela, en autres, donner une âme à l’Europe.

L’homme est souvent attiré par des expériences extrêmes, par des pratiques transgressives, par la violation de la loi morale inscrite dans son être. Aujourd’hui plus qu’hier le Bon Pasteur doit prendre sur ses épaules la brebis égarée. Aussi avons-nous accordé une place significative à l’exaltante mission de l’éducation et de la formation. Toute éducation est la découverte d’un héritage qui fait naître l’amour et la reconnaissance. Aussi pourrons-nous contribuer à faire redécouvrir les racines chrétiennes de l’expérience humaine.

Ici la voie de la Beauté s’ouvre devant nous comme la voie royale qui conduit à la Vérité, car le Beau est la splendeur du Vrai. Cette voie, qui est celle de la culture au niveau le plus élevé est une tête de pont capable d’unir ceux qui autrefois étaient divisés, y compris ceux qui ne croient pas encore en Dieu.

3. Quelques perspectives d’avenir.

Nous en sommes convaincus : l’apport propre des forces spirituelles, c’est d’éveiller les consciences et de susciter des énergies nouvelles. Le pape Jean-Paul II déclarait à Compostelle, le 9 novembre 1982 :

« L’identité européenne est incompréhensible sans le christianisme… Encore aujourd’hui l’âme de l’Europe reste une, parce que au-delà des racines communes, elle vit des valeurs chrétiennes et humaines communes. »
– Aussi devient-il urgent de coopérer, de façon effective, auprès des institutions internationales intergouvernementales, comme la Commission Européenne, le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, les agences des Nations Unies à Paris, Genève ou Vienne.
– Face au danger des sectes,
la nécessité du discernement suppose aussi une sérieuse pastorale de la culture, afin d’aider les communautés locale à affronter cette réalité par une meilleure qualité de vie ecclésiale, afin que la vie chrétienne porte des fruits dans la vie quotidienne. Ceci implique un engagement personnel et communautaire à vivre notre foi dans l’exercice de nos responsabilités quotidiennes, professionnelles ou familiales.
– L’éducation retient notre attention, car elle permet à l’âme de l’homme d’entrer dans la réalité et de la saisir à travers les valeurs chrétiennes sans jamais perdre de vue que l’éducation pour être vraie doit être la transmission de connaissances devenues partie de l’expérience personnelle du pédagogue. Il nous faut une large ouverture sur le monde pour présenter les valeurs chrétiennes de façon compréhensible : c’est tout l’enjeu de la pastorale de la culture.
– « Ne rien préférer à l’amour du Christ » : voilà le principe supérieur qui permet de fonder une communauté et de trouver les voies d’une synergie, d’un témoignage commun de foi pour une généreuse nouvelle évangélisation de l’Europe, ce géant économique, nain spirituel.
– Il est vivement souhaitable que notre témoignage commun concerne spécialement les domaines touchés par la déconstruction de la famille, par la bioéthique et les domaines qui relèvent de la doctrine sociale de l’Eglise.
– Nous sommes convaincus de la nécessité de collaborer notamment auprès des Organisations Internationales Intergouvernementales.

La coopération au plan des organisations est positive, mais elle ne suffira pas à faire retrouver l’âme de l’Europe. Le dynamisme des chrétiens doit donner vie à de vraies communautés qui témoignent de l’amour concrètement vécu, pour exercer une influence constructive sur les foules « qui sont comme des brebis sans pasteur ». Nous n’avons qu’une seule valeur à proposer, qui est la source et l’accomplissement de toutes les valeurs spirituelles et morales, le Christ, Fils de Dieu, dont la personne nous inspire et nous attire par sa sainteté et son amour.

Pour cette raison, l’amour chrétien est un pont qui peut permettre un renouvellement des esprits et des intelligences, c’est une plateforme pratique pour la coopération dans les oeuvres de charité et pour contribuer à la formation des consciences. L’amour des disciples est la garantie de leur mission. Nos Eglises se doivent d’être des signes de Dieu dans sa sainteté, pour assurer la réconciliation et prodiguer son amour aux plus pauvres. Il nous faut encourager des contacts nouveaux et vrais, dans une profonde union spirituelle. La situation actuelle de l’Europe, qui reflète d’ailleurs en partie la situation de l’ensemble du monde, implique l’engagement des chrétiens et leur présence cohérente dans la société. La visibilité de l’Eglise dans le forum public suppose une confrontation entre la société et la vérité chrétienne, pour que soit découverte en Dieu la plénitude de sens indispensable à la liberté elle-même. Il nous faut travailler ensemble pour recréer une culture chrétienne au sein de laquelle l’amour de Dieu et du prochain deviendront forces de transformation par la puissance de l’Esprit.

Sa Sainteté le Patriarche de Moscou Alexis II écrivait, au mois de février dernier, à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI : « J’en suis convaincu, un des devoirs prioritaires de nos Eglises qui possèdent une vision commune sur de nombreux problèmes du monde contemporain, doit être aujourd’hui la défense et l’affirmation, à l’intérieur de la société, des valeurs chrétiennes dont l’humanité vit depuis plus d’un millénaire. »

S’adressant aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, le 30 mars dernier, Sa Sainteté le Pape Benoît XVI revenait sur ce thème :

« Actuellement, l’Europe doit faire face à des questions complexes de grande importance, telles que la croissance et le développement de l’intégration européenne, la définition toujours plus précise de politiques communes au sein de l’Union et le débat sur son modèle social. Pour atteindre ces objectifs, il sera important de s’inspirer, avec une fidélité créative, de l’héritage chrétien qui a apporté une contribution tout à fait particulière à la formation de l’unité de ce continent. En tenant compte de ses racines chrétiennes, l’Europe sera capable de donner une orientation sûre au choix de ses citoyens et de ses peuples, elle renforcera sa conscience d’appartenir à une civilisation commune et elle consolidera l’engagement de tous dans le but de faire face aux défis du présent en vue d’un avenir meilleur. »

Permettez-moi de conclure par ces mots de Robert Schuman, Père de l’Europe, auquel nous avons emprunté le titre de notre rencontre : « Donner une âme à l’Europe » :

« Il faut que l’Europe devienne une sauvegarde pour tout ce qui fait la grandeur de notre civilisation chrétienne : dignité de la personne, liberté et responsabilité de l’initiative individuelle et collective, épanouissement de toutes les énergies morales de nos peuples. Une telle mission culturelle sera le complément indispensable et l’achèvement d’une Europe qui jusqu’ici a été basée sur la coopération économique. Elle lui confèrera une âme, un anoblissement spirituel et une véritable conscience commune. »

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ZENIT Staff

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