Rencontre avec les évêques, cathédrale de Santiago, Chili © Vatican Media

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Chili: le pape François reconnaît des "erreurs d'évaluation"

Il annonce une rencontre des évêques à Rome

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Le pape François reconnaît ses erreurs et il demande pardon dans une lettre aux évêques du Chili en date du Dimanche de la Miséricorde, le 8 avril 2018. Une lettre sans précédent.
La lettre est publiée par le Saint-Siège en espagnol, ce mercredi soir, 11 avril, vers 20h, en réponse au rapport de son envoyé au Chili, Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte. Le pape annonce une future rencontre fraternelle, à Rome, pour « faire briller la vérité ».
« J’ai commis de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation, notamment en raison d’un manque d’information véridique et équilibrée », déclare le pape François qui a pris connaissance du rapport de Mgr Scicluna.
Il dit y avoir découvert « de nombreuses vies crucifiées », ce qui lui cause « de la douleur et de la honte ».
Il demande pardon : « Dès maintenant, je demande pardon à tous ceux que j’ai offensés et j’espère pouvoir le faire personnellement, dans les semaines à venir, dans les rencontres que j’aurai avec les représentants des personnes interrogées. »
Mgr Charles J. Scicluna, président du Collège spécial d’appel dans les cas d’abus sexuels sur mineurs de la part de clercs, au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi, envoyé par le pape François pour enquêter sur le cas de Mgr Juan de la Cruz Barros Madrid, évêque d’Osorno, est arrivé au Chili pour sa mission. Il a exprimé sa disponibilité pour écouter ceux qui ont des éléments en leur possession, lors d’une conférence de presse, le 20 février 2018.
Mgr Juan Barros Madrid, nommé évêque d’Osorno en 2015, a été accusé par des laïcs de son diocèse qui réclament son départ, d’avoir été au courant des actes d’abus sexuels de son ancien mentor, Fernando Karadima, alors qu’il était séminariste. Le p. Karadima a été déclaré coupable d’abus sexuels et psychologiques par le Vatican en 2011, et condamné à se retirer dans un monastère pour une vie « de prière et de pénitence », sans aucune mission pastorale, tandis que les faits étaient prescrits pour la justice chilienne.
A propos de Mgr Barros, dont le pape avait jusqu’ici refusé la démission, le pape François a déclaré, au Chili et au Pérou (16-21 janvier), qu’il n’y avait pas d’ « évidence de culpabilité ».
Voici notre traduction, rapide, de travail de la lettre du pape François.
AB
Lettre du pape François
Chers frères dans l’épiscopat: La réception, la semaine dernière, des derniers documents qui complètent le rapport que mes deux envoyés spéciaux au Chili m’ont remis le 20 mars 2018, avec un total de plus de 2 300 pages, me pousse à vous écrire cette lettre.
Je vous assure de ma prière et je veux partager avec vous la conviction que les difficultés actuelles sont aussi l’occasion de rétablir la confiance dans l’Église – une confiance rompue du fait de nos erreurs et de nos péchés – et de guérir les plaies qui ne cessent de saigner dans le tissu de la société chilienne. Sans la foi et sans la prière, la fraternité est impossible.
Par conséquent, en ce 2e dimanche de Pâques, le jour de la miséricorde, je vous offre cette réflexion avec le désir que chacun d’entre vous m’accompagne dans l’itinéraire intérieur que je parcours ces dernières semaines, pour que ce soit l’Esprit qui nous guide par son don et non pas nos intérêts ou, pire encore, notre orgueil blessé. Parfois, quand de tels maux nous font des rides à l’âme et nous jettent dans le monde, paresseux, effrayés et calfeutrés dans nos confortables «palais d’hiver», l’amour de Dieu sort à notre rencontre et purifie nos intentions pour aimer comme hommes libres, mûrs et critiques.
Quand les médias nous font honte en présentant une Eglise presque toujours dans une nouvelle phase de lune, privée de la lumière du soleil de justice (Saint Ambroise, Hexaméron IV, 8, 32) et que nous sommes tentés de douter de la victoire pascale du Ressuscité, je crois que comme saint Thomas, nous ne devons pas avoir peur du doute (Jn 20, 25), mais craindre la prétention de vouloir voir sans faire confiance au témoignage de ceux qui ont entendu de la bouche du Seigneur la promesse la plus belle (Mt 28, 20).
Aujourd’hui, je veux vous parler non pas de sécurités, mais de la seule chose que le Seigneur nous donne d’expérimenter tous les jours: la joie, la paix, le pardon de nos péchés et l’action de Sa grâce. À cet égard, je voudrais exprimer ma gratitude à S.E. Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte, et au Rév. Jordi Bertomeu Farnós, official de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, pour son énorme travail d’écoute sereine et empathique des 64 témoins qu’ils ont récemment recueillis aussi bien à New York qu’à Santiago du Chili. Je les ai envoyés écouter avec le cœur et avec humilité.
Ensuite, lorsqu’ils m’ont remis le rapport et, en particulier, leur évaluation juridique et pastorale des informations recueillies, ils ont reconnu devant moi qu’ils s’étaient sentis débordés par la souffrance de tant de victimes de graves abus de conscience et de pouvoir et, en particulier, des abus sexuels commis par diverses personnes consacrées de votre pays contre des mineurs, auxquels a été niée prématurément l’innocence et auxquelles elle a même été volée.
La même reconnaissance la plus sincère et cordiale, nous devons l’exprimer en tant que pasteurs à ceux qui, avec honnêteté, courage et sens de l’Église, ont demandé une rencontre avec mes envoyés et leur ont montré les blessures de leur âme. Mgr Scicluna et le Rév. Bertomeu m’ont raconté comment certains évêques, prêtres, diacres, laïcs et laïques de Santiago et d’Osorno se sont rendus à la paroisse Holy Name de New York ou au siège de Sotero Sanz, à Providencia, avec une maturité, un respect et une gentillesse hors de l’ordinaire.
D’autre part, les jours qui ont suivi cette mission spéciale, ils ont été témoins d’un autre événement méritoire que nous devrions garder à l’esprit pour d’autres occasions, car non seulement le climat de confidentialité obtenu pendant la visite a été maintenu, mais jamais on n’a cédé à la tentation de transformer cette délicate mission en un cirque médiatique. À cet égard, je tiens à remercier les différentes organisations et les médias de leur professionnalisme dans le traitement de cette affaire si délicate, en respectant le droit des citoyens à l’information et la bonne réputation des déclarants.
Maintenant, après une lecture pausée des actes de cette « mission spéciale », je pense pouvoir affirmer que tous les témoignages qui y sont recueillis parlent d’une manière détachée, sans additifs ou édulcorants, de nombreuses vies crucifiées et je vous avoue que cela me cause de la douleur et de la honte. En tenant compte de tout cela, je vous ai écrit, lorsque vous étiez réunis pour votre 115ème Assemblée plénière, pour vous demander humblement votre collaboration et votre aide pour discerner les mesures à prendre à court, moyen et long terme pour rétablir la communion ecclésiale au Chili, avec l’objectif de réparer autant que possible le scandale et de rétablir la justice.
Je prévois de vous convoquer à Rome pour discuter des conclusions de la visite mentionnée plus haut et de mes conclusions. J’ai pensé à cette rencontre comme un moment fraternel, sans préjugés ni idées préconçues, dans le seul but de faire briller la vérité dans nos vies. A propos de la date, je confie au Secrétaire de la Conférence épiscopale pour me faire parvenir les possibilités. En ce qui me concerne, je reconnais et je veux que vous le transmettiez fidèlement, que j’ai commis de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation, notamment en raison d’un manque d’informations véridiques et équilibrées.
Dès maintenant, je demande pardon à tous ceux que j’ai offensés et j’espère pouvoir le faire personnellement, dans les semaines à venir, dans les rencontres que j’aurai avec les représentants des personnes interrogées. Demeurez en moi (Jn 15,4): ces paroles du Seigneur retentissent encore et encore en ces jours. Elles parlent de relations personnelles, de communion, de fraternité qui attire et convoque. Unis au Christ comme les sarments à la vigne, je vous invite à greffer dans votre prière des prochains jours une magnanimité qui nous prépare à cette rencontre et qui nous permette ensuite de traduire dans des faits concrets ce à quoi nous aurons réfléchi. Peut-être serait-il également opportun de mettre l’Église du Chili en état de prière.
Maintenant plus que jamais, nous ne pouvons pas retomber dans la tentation du verbiage ou rester dans les « généralités ». Ces jours-ci, regardons vers le Christ. Regardons sa vie et ses gestes, surtout quand il se montre compatissant et miséricordieux envers ceux qui se sont trompés. Aimons en vérité, demandons la sagesse du cœur et laissons-nous convertir.
En attendant de vos nouvelles et en demandant à Mgr Santiago Silva Retamales, président de la Conférence épiscopale du Chili, de publier cette lettre le plus rapidement possible, je vous donne ma bénédiction et je vous de mande, s’il vous plaît, de ne pas cesser de prier pour moi.
Vatican, 8 avril 2018
Traduction de ZENIT, Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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