« Les choix du pape François, en direct », c’est le titre de l’intervention de Mgr Angelo Becciu, substitut de la Secrétairerie d’Etat, publiée dans L’Osservatore Romano, dans l’édition quotidienne en italien du 27 janvier 2017. Mgr Becciu a en effet participé à la présentation, à Rome, ce 26 janvier du livre de Andrea Tornielli sur les voyages du pape. Le livre est publié avec une interview du pape François dont nous avons traduit de larges extraits dans nos éditions de la semaine passée.
« Le livre, explique Mgr Becciu, est le récit en direct des voyages apostoliques du Saint-Père au cours de ces presque quatre années de pontificat. L’auteur mérite une juste reconnaissance pour avoir réussi à saisir les aspects symboliques des visites apostoliques et pour l’habilité avec laquelle il a été en mesure de faire transparaître, à partir de la chronique des événements, le style sobre et prophétique du pape François. À vrai dire, l’auteur s’est concentré sur les voyages internationaux, à l’exception du premier déplacement du pontificat, celui, singulier et significatif, sur l’ile de Lampédouse où le pape a voulu se rendre, décidant le voyage en quelques jours. Il a pris cette décision après avoir été profondément frappé par les nouvelles des bateaux de migrants qui s’étaient renversés dans la Méditerranée, ces abysses devenus la tombe de milliers d’enfants, de tant de nos frères et sœurs. »
Là où il faut aller encourager
Il souligne ce qu’il appelle la « touche personnelle » apportée par le pape François, depuis 2013, aux voyages apostoliques: « Le Saint-Père cherche à accepter, parmi les nombreuses invitations qu’il reçoit, surtout celles qui proviennent de pays pour lesquels il considère que sa présence peut être une aide et un encouragement, parce qu’ils vivent une transition difficile ou parce qu’ils sortent à peine de périodes de guerres civiles et de conflits interreligieux. Dans cette optique, on comprend le voyage en Amérique latine en 2015, les voyages en Asie et en Afrique, tout comme ceux qui ont été effectués à ce jour sur le continent européen et les préférences accordées aux Balkans martyrs ou à l’île grecque de Lesbos, port d’accostage de milliers de réfugiés et de migrants, beaucoup desquels fuient des zones de guerres et des situations que nous avons trop souvent feint d’ignorer. »
Il insiste sur le contact voulu par le pape, ce qui n’ets aps sans ajouter aux soucis des services de sécurité: « Une des constantes, je dirais un des incontournables, pour l’actuel successeur de Pierre, même quand il voyage, est le contact continuel et aussi libre que possible avec les gens. Le livre raconte les raisons qui ont poussé François à ne pas utiliser la fameuse papamobile avec ses vitres anti-projectiles, sur laquelle étaient montés ses deux prédécesseurs immédiats. Le pape, à la veille de son départ pour le voyage apostolique au Brésil, en juillet 2013, – son premier déplacement international motivé par la Journée mondiale de la jeunesse déjà établie par Benoît XVI – voulut choisir le moyen sur lequel il allait voyager parmi la foule, un moyen ouvert, qui lui permette à tout instant le contact direct avec les personnes, le contact entre le pasteur et son peuple. »
Le voyage étonnant en Centrafrique
Il a aussi fait part de quelques « souvenirs personnels » sur le voyage qu’il considère comme étant « l’un des plus importants du pontificat »: celui de novembre 2015 en République centrafricaine. C’était la « troisième et dernière étape » de son premier voyage en Afrique qui l’avait conduit juste avant au Kenya et en Ouganda: « Beaucoup avaient tenté de dissuader François, évoquant les risques auxquels il s’exposait dans la capitale d’un pays qui était encore le théâtre d’épisodes sanglants de guérilla, avec enlèvements et meurtres. Je me souviens bien que le pape avait dit clairement qu’il n’était pas préoccupé par les éventuels dangers qui concernaient sa personne. Mais qu’il l’était, en revanche, pour les éventuels risques que couraient la foule des fidèles présents aux cérémonies publiques ou les personnes rassemblées le long des routes pour l’accueillir et le saluer. De même qu’il se disait préoccupé du danger pour ceux qui voyageaient avec lui, pour sa suite composée de ses plus proches collaborateurs de la curie, les cérémoniaires, le personnel de la sécurité et les journalistes. »
Le livre de Tornielli avoque, souligne Mgr Becciu « le précieux travail réalisé dans les coulisses pour assurer une trève capable de tenir au moins pendant cette journée et demie de visite papale à Bangui »: « Les chefs des factions en lutte furent contactés et acceptèrent de se mettre d’accord. »
« Ce qui m’a beaucoup frappé, à peine sommes-nous arrivés à l’aéroport de la capitale centrafricaine, ce fut l’extraordinaire accueil des gens, témoignage Mgr Becciu. Toute la ville s’était déversée sur les routes pour acclamer le pèlerin de Rome dont l’intention était d’ouvrir avec une semaine d’avance la première porte sainte du jubilé extraordinaire de la miséricorde dans ce pays très pauvre et oublié de tous. »
« Oublié de tous, mais pas du pape, insiste le substitut. Je me souviens de l’émotion de la présidente du gouvernement de transition, Catherine Samba-Panza. Et de l’accueil qu’ont réservé non seulement à François, mais à nous tous, les enfants du camp de réfugiés : regards, gestes, signes, paroles qui nous disaient : « Merci d’être venus jusqu’ici, défiant tout et tout le monde ! Nous vous aimons et nous ne sommes pas un pays aussi dangereux que ce que l’on dit de nous ! » Avant la messe célébrée par le Saint-Père au stade Barthélemy Boganda de Bangui, les responsables des factions Seleka et Anti-Balaka sont venus dans la sacristie pour me donner en mains propres la trève avec le sceau afin que je la remette à François. La veille, le pape avait ouvert la porte sainte et expliqué pourquoi Bangui, Bangui l’oubliée, était devenue ce jour-là la « capitale spirituelle du monde ». »
Ils se tiennent par la main
Il cite un passage de l’interview du pape avec Tornielli : « Dans certaines circonstances, je ne peux pas parler sans gestes. Cela ne me suffit pas de lire un texte, je dois aussi faire quelque chose. Au Kenya, en novembre 2015, au stade de Kasarani, avec les jeunes : je devais parler contre le tribalisme, contre les conflits qui dérivent de l’appartenance aux différentes tribus. J’ai dit, en parlant spontanément, que le tribalisme est vaincu par l’oreille, si l’on demande à son frère pourquoi c’est ainsi et si on sait l’écouter. Il est vaincu par le cœur, avec le dialogue et avec la main tendue pour le dialogue. Puis j’ai invité quelques jeunes à s’approcher et j’ai demandé aux personnes présentes – je crois qu’elles étaient environ soixante-dix mille – de se mettre debout en se tenant toutes par la main, en signe contre le tribalisme : nous sommes une unique nation et nos cœurs doivent être comme nos mains qui se serrent. Même les autorités présentes, y compris le président Uhuru Kenyatta, ont effectué ce geste… Toujours pour en rester aux gestes : cela a été beau d’accueillir sur la papamobile l’imam de Bangui, quand j’ai salué les habitants du quartier musulman rassemblés dans un petit stade. C’est un petit signe, descendre de l’avion, en Arménie, à Gyumri, avec le catholicos, côte à côte, comme il convient à deux frères. Parfois les gestes, même petits, disent plus que beaucoup de paroles. »
Annoncer l’Evangile
Quant au but des voyages du pape, Mgr Becciu le dit clairement: « Le pape voyage pour annoncer l’Évangile, pour confirmer les frères dans la foi, pour promouvoir la vie ensemble, la fraternité entre religions, ethnies et peuples divers. Il ne représente pas une puissance terrestre, il n’a pas de pouvoirs, il n’a pas d’intérêts de type économique ou stratégique. Le pape voyage pour encourager des processus positifs en marche, pour arroser – même si c’est seulement un peu – des graines d’espérance. Et il agit à travers ses représentants dans les différents pays du monde pour favoriser la paix, les solutions négociées et le dialogue. »
Il souligne enfin la façon dont le pape voyage, évoquant une « contribution, toujours humble, tissée de prière et confiée aux circonstances établies par le Seigneur de l’histoire » et qui « porte à de petits résultats ou même de plus importants. Parfois, n’est destiné à rester pour le moment qu’un petit signe, une graine, un témoignage, une flamme dans la nuit obscure de la haine, de la terreur, de la guerre, de l’incompréhension. »
Il conclut par les paroles mêmes du pape: « Je porte toujours en moi des visages, des témoignages, des images, des expériences… Une richesse inimaginable qui me fait toujours dire : cela en valait la peine. »
© Traduction de Zenit, Constance Roques
Le pape embarque à bord d'un avion d'Alitalia © L'Osservatore Romano
Voyages pontificaux: les choix du pape, par Mgr Becciu
Là où il faut aller « encourager »