Résidant depuis plusieurs mois dans une paroisse parisienne, Mgr Dominique Rey déborde toujours d’initiatives et de projets. Il vient de publier un nouveau livre « Mes choix, mes combats, ce que je crois », dans lequel il revient sur ses années d’épiscopat dans le sud de la France.
Missionnaire dans l’âme, Mgr Rey a guidé le diocèse de Fréjus-Toulon pendant vingt-cinq ans, avant d’être invité à renoncer à sa charge épiscopale en janvier dernier, à l’âge de 72 ans. Il se met aujourd’hui au service de l’Église autrement, et souhaite « changer la difficulté en opportunité pour se recentrer sur Dieu ».
Zenit : Quelles sont vos missions aujourd’hui, près d’un an après avoir quitté le diocèse de Fréjus-Toulon ?
Mgr Dominique Rey : Comme évêque émérite, j’ai demandé à être accueilli dans une paroisse de Paris, et Mgr Laurent Ulrich m’a proposé d’être à Notre-Dame-des-Champs, dans le 6e arrondissement. C’est très bien d’avoir une posture de terrain proche de la réalité : je rends des services pour les messes et les confessions, pour de l’accompagnement spirituel, des pèlerinages, des conférences ou des prédications de retraites.
J’accompagne aussi des groupes de personnes qui se réunissent pour partager leur foi autour de personnalités dans des domaines philosophiques ou culturels. Et puis, j’ai développé le « French Riviera », un institut qui propose aux leaders économiques et aux entrepreneurs internationaux de pouvoir se retrouver, réfléchir ensemble. Cela m’amène à plusieurs voyages à l’étranger pour développer ce que l’on appelle des chapitres locaux, en lien avec les Églises locales.
Zenit : Vous venez d’écrire un livre « Mes choix, mes combats, ce que je crois ». Que retenez-vous de ces 25 années à Toulon ?

Évêque pendant 25 ans dans le Var © Mgr Dominique Rey
Mgr D. Rey : En restant aussi longtemps dans un même diocèse, on finit par en connaître les contours et l’histoire de nos communautés. Cela fait partie de soi-même. Une paternité n’est pas simplement une fonction qu’on exerce, c’est aussi quelque chose qui vous implique totalement. J’ai donc essayé de donner le meilleur de moi-même dans cette mission : le meilleur de mon énergie, de mes idées et de ma vision pastorale.
J’ai essayé d’apporter un élan à cette terre marquée par un christianisme très ancien, mais qui subit aussi une forte sécularisation post-moderne. Le sanctuaire de la Sainte-Baume nous rappelle que sainte Marie-Madeleine est venue jusqu’en Provence. Mais il y a aussi Cotignac avec la double apparition de la Vierge au 16e siècle, puis l’apparition de saint Joseph au 17e.
Dans ce diocèse, je me suis engagé dans une conversion pastorale afin que nos communautés puissent témoigner de l’Évangile et ne soient pas seulement des communautés de maintien, ou de « maintenance ». Nous nous sommes inspirés de spiritualités et de sensibilités diverses, et nous avons mis en place des outils pour bâtir ensemble une communion missionnaire : la communion se fait par la mission et pour la mission.
Zenit : Quelles initiatives ou quels événements ont le plus marqué votre vie d’évêque ?
Mgr Rey : J’ai été d’abord marqué par « la diaconie du Var », une initiative pour les plus défavorisés fondée dans le diocèse il y a près de 40 ans. La diaconie, c’est l’Église en posture de service, à l’image du Christ qui s’est mis au pied de ses disciples. J’ai été très sensible par tout ce réseau fraternel à l’égard des plus démunis, leur permettant de se découvrir aimés de Dieu. L’évangélisation commence par cette charité.
Ce qui m’a aussi beaucoup frappé, ce sont les événements artistiques que nous avons pu développer. Je crois qu’un des vecteurs pour communiquer la foi est la beauté. Nous avons essayé de donner une place à la beauté dans l’expression de la foi, et notamment la beauté liturgique. La foi n’est pas simplement raisonnable : elle s’exprime bien sûr par la bonté, mais aussi par la beauté.
Enfin, j’ai été profondément touché par tous ces beaux sanctuaires de Provence, avec ces paysages remplis du chant des cigales ! J’ai vécu des moments forts avec des foules de pèlerins, comme le pèlerinage des pères et des mères de famille à Cotignac, ou les processions à la Sainte-Baume… Tous ces moments intenses où la piété populaire s’exprime.
Zenit : Pour vous, quel est le plus grand défi de l’Église en France aujourd’hui ?

Le nouveau livre de Mgr Rey a été publié le 19 novembre 2025 © Éditions Artège
Mgr D. Rey : Le défi actuel de l’Église est de savoir comment nos communautés catholiques peuvent être missionnaires. Ma réponse est : par la sainteté personnelle. Les plus grands évangélisateurs ont été des saints. La cohérence de notre vie et notre témoignage sont donc des moyens concrets pour pouvoir toucher les personnes en quête de sens, de vraie fraternité et de repères solides.
En termes d’évangélisation, on ne peut pas simplement reproduire le passé. On doit d’abord partir d’une affirmation profonde de notre foi, puisque nous sommes minoritaires et parfois marginalisés. Notre parole retentit moins qu’avant, ou pas du tout. L’enjeu est donc de garder la foi avec vigueur et de pouvoir rejoindre nos contemporains là où ils sont.
On le voit d’ailleurs aujourd’hui dans la manière dont l’Église accueille et accompagne. L’Église n’existe pas seulement pour ceux qui sont à l’intérieur, mais elle existe aussi pour tous les autres. Elle doit trouver les postures pour rester à la fois ferme sur le plan de la foi et toucher les cœurs, même les plus éloigné de la foi.
Zenit : Quelle force ou quels enseignements tirez-vous des épreuves vécues ces derniers temps, notamment suite à votre départ du diocèse de Toulon ?
Mgr D. Rey : C’est vrai que le chemin vers Dieu passe par des chemins de croix. Chacun de nous en fait l’expérience dans sa propre existence, et le Christ le montre lui-même : il est venu nous sauver en montant sur le calvaire. J’ai eu moments douloureux liés à des incompréhensions, à mes propres péchés, à des erreurs de jugement ou des imprudences. Mais on peut souffrir aussi à cause d’injustices, lorsque l’on a été mal compris ou mal jugé.
Il y a donc un travail à faire pour qu’une difficulté soit reconnue et que l’on puisse la transformer en chemin de sanctification. Changer la difficulté en opportunité pour se recentrer sur Dieu. Et ensuite, cela nous amène à prendre des décisions pour l’avenir, sur notre manière de fonctionner. L’important pour moi a été de pouvoir me dire : « Je suis déchargé de cette mission. Mais malgré ma démission, ma mission continue d’une autre manière ! »
C’est un travail spirituel sur soi-même. La tentation, c’est de se révolter, de désespérer ou de fuir. Or, le vrai chemin, c’est suivre le Christ à travers l’épreuve. Il est également important d’être bien soutenu : on dit que les vrais amis sont ceux sur qui on peut compter dans les difficultés. Oui, les épreuves sélectionnent les vrais amis !
Zenit : On dit de vous que vous êtes plutôt un homme libre. Cette liberté ne vous a-t-elle pas conduit justement à vivre des souffrances plus fortes ?

Mgr D. Rey et le pape François au Vatican © Dominique Rey
Mgr D. Rey : Sans doute un peu. La liberté a un prix. Elle nous amène parfois à prendre des risques que d’autres par prudence ne prennent jamais. Comme je le dis souvent : si la voiture est au garage, elle n’aura aucun accident. Donc, j’ai pris des risques. Certains ont été très positifs et féconds. D’autres n’ont malheureusement pas fonctionné comme je l’aurais souhaité.
Je pense qu’il nous faut aujourd’hui de la liberté et du courage, ce qui manque parfois dans l’Église. On ne peut pas simplement raser les murs et être soumis à la pression médiatique. On doit en tenir compte, bien sûr, mais on ne peut pas être otage de la bien-pensance.
Ce que j’ai vécu a en effet été crucifiant. On m’a demandé de démissionner, alors que cela n’était pas prévu au départ. Le pape François m’avait dit : « Surtout ne démissionnez pas, ne démissionnez pas. » Quelques mois après, alors qu’une bonne partie des responsabilités diocésaines étaient assumées par mon coadjuteur, j’ai reçu l’invitation à démissionner.
En même temps, on ne va pas regarder tout le temps le passé. La vie est faite de tournants successifs. Le mien a été un peu anticipé, mais j’y vois positivement le fait d’avoir toutes mes facultés et mon énergie pour faire d’autres choses. Je sers l’Église d’une autre manière, sans responsabilités administratives institutionnelles, ce qui me donne de ce fait plus de liberté !
