ROME, lundi 24 janvier 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous la cinquième partie de la conférence que le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens a donnée le 17 janvier à Neuilly sur Seine, en région parisienne, sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l’Église ».
Nous avons publié les 6 parties de la conférence selon ce calendrier, à l’occasion de la semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21 janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier.
I. Un énoncé programmatique du Concile (20 janvier)
II. Lumières et ombres dans, situation post-conciliaire (20 janvier)
III. Parole de Dieu comme parole de salut (21 janvier)
IV. L’Église maison de la Parole de Dieu (23 janvier)
V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu (24 janvier)
VI. Renouvellement de la Lectio divina (25 janvier)
Parole de Dieu et unité de l’Église
Cardinal Walter Kasper
VI.-Renouvellement de la Lectio divina
Cette admirable citation pourrait nous servir de conclusion. Toutefois, cette année nous célébrons non seulement l’année de la Bible mais également l’année de l’Eucharistie. La question est la suivante : Qu’en est-il de l’une et de l’autre ? Dans quelle mesure notre thèse, selon laquelle l’Église vit de la Parole de Dieu, est-elle compatible avec l’autre thèse, selon laquelle l’Église est « Ecclesia de eucharistia » (Jean-Paul II), c’est-à-dire une Église qui vit de l’Eucharistie comme sacrement de l’unité ? Cette dernière thèse repose parfaitement, elle aussi, sur l’Écriture et la Tradition.
La Constitution sur la Révélation « Dei Verbum » nous fournit une indication. Dans le dernier chapitre, « La Sainte Écriture dans la vie de l’Église », il est dit : « L’Église a toujours témoigné son respect à l’égard des Écritures, tout comme à l’égard du Corps du Seigneur lui-même, puisque, surtout dans la Sainte Liturgie, elle ne cesse, de la table de la Parole de Dieu comme de celle du Corps du Christ, de prendre le pain de vie et de le présenter aux fidèles » (DV 21). Dans ce texte il est question des deux tables ; la Parole de vie et le pain de vie sont mentionnés l’un à côté de l’autre. C’est une ancienne tradition patristique, que l’on trouve encore chez Thomas a Kempis. Les Pères en arrivent même à désigner l’Écriture comme incarnation du Verbe. Selon eux, l’Église vit de l’Écriture comme de l’Eucharistie. Toutes deux sont Corps du Christ et nourriture de l’âme : elles constituent un seul et unique mystère. Ensemble elles édifient l’Église qui est elle-même le Corps du Christ.
La Constitution sur la Révélation a remis cette tradition en mémoire et en a tiré des conclusions pour rénover l’annonce, la catéchèse et la théologie. Toute la vie de l’Église doit se nourrir de l’Écriture Sainte et s’orienter sur l’Écriture (DV 22-25). Car « une si grande force, une si grande puissance se trouve la Parole de Dieu, qu’elle se présente comme le soutien et la vigueur de l’Église, et, pour les fils de l’Église, comme la solidité de la foi, la nourriture de l’âme, la source pure et intarissable de la vie spirituelle » (DV 21). Le Concile cite brièvement et clairement l’affirmation de saint Jérôme : « Ignorer les Écritures c’est ignorer le Christ » (DV 25).
La conséquence la plus importante, mais malheureusement la moins suivie jusqu’à présent, est la rénovation de la tradition biblique et patristique de la Lectio divina, c’est-à-dire de la lecture priante en commun ou en privé de l’Écriture Sainte, dans laquelle Dieu vient à nous dans son amour et engage un dialogue avec nous (DV 25). Dans une telle lecture, jointe à la prière, Jésus Christ est réellement présent (SC 7).
On ne saurait surestimer la signification œcuménique de cette rénovation de la tradition de la Lectio divina. Elle nous montre le chemin de l’œcuménisme spirituel, qui est l’âme et la véritable voie royale du mouvement œcuménique (UR 8) . Car elle nous rappelle non seulement une partie essentielle de notre patrimoine commun et nous dit ce que nous pouvons faire ensemble dès à présent, mais elle nous indique en outre ce que nous pouvons faire pour que la communion ecclésiale qui nous est déjà donnée mais qui est encore imparfaite, mûrisse jusqu’à la pleine communion. En effet, s’il est vrai que la Parole de Dieu rassemble l’Église des quatre coins de la terre, dans cette Lectio divina, surtout lorsqu’elle est célébrée liturgiquement, Dieu rassemble son peuple ; dans la Lectio divina en commun, l’unité qui existe déjà assume donc un caractère œcuménique et réalise en même temps une unité plus profonde et plus complète.
Nous pouvons faire un pas de plus. Si l’unité de foi grandit par la Parole de Dieu qui rassemble l’Église, elle peut en somme mûrir pour devenir communion eucharistique. Pour que nous puissions aller vers la célébration commune du sacrement de l’unité, il faut que la Parole de Dieu prenne sa course (2 Th 3,1) et se révèle comme parole de réconciliation (2 Co 5,19) ; il n’y a pas d’autre chemin. C’est pourquoi le dialogue œcuménique progressera dans la mesure où le travail spirituel en commun sur la Parole de Dieu donnera du champ au dialogue entre Dieu et la chrétienté divisée, un dialogue dans lequel la Parole de Dieu, comme déjà chez les prophètes et chez Jésus lui-même, appelle à la conversion et à la réconciliation. Sans cette conversion l’unité est impossible.
Je terminerai par une constatation : la Lectio divina est la réponse au malaise œcuménique ressenti par beaucoup, et au même temps elle est la réponse au malaise dans laquelle l’exégèse biblique en partie est tombé. La Lectio divina est accessible à chaque chrétien, indépendamment de toute compétence ministérielle ou professionnelle ; tous y sont invités et tous se peuvent rassembler dans l’écoute de la Parole de Dieu, par laquelle Dieu veut rassembler son peuple. Ainsi, notre thème « Parole de Dieu et unité de l’Église » se révèle comme un programme œcuménique tourné vers l’avenir.
(fin)