«Ad Solem» a dix ans, une ligne éditoriale en deux mots: foi et culture

Au service de la foi et de la culture

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Zenit : Vous fêtez le 10e anniversaire de la fondation de vos éditions: c’est une entreprise qui demande du courage en francophonie, qu’est-ce qui a guidé cette fondation, que désiriez-vous offrir à vos lecteurs et à vos auteurs?

Grégory Solari :Deux mots résument notre ligne éditoriale : foi et culture. La foi, c’est-à-dire le don par lequel Dieu se fait connaître à l’homme. A ce don, que nous recevons à travers un sacrement – le baptême – l’homme répond à son tour par des signes, des formes, des œuvres, qui sont de l’ordre de la culture. Le paradoxe est que ces œuvres n’existeraient pas sans la foi, et que cette foi ne pourrait pas être perçue, entendue, ou vue, sans la médiation préalable du langage humain (fide ex auditu, dit saint Paul – or, ce que l’oreille entend, ce n’est pas du bruit, ni la Parole même de Dieu, mais la sacra doctrina, c’est-à-dire la Révélation reçue et transmise par le biais de l’Eglise, qui est une matrice culturelle). La foi ne serait pas visible ni tangible sans les signes culturels dans lesquels l’homme lui permet de se rendre visible. Au fond, c’est toute la logique de l’Incarnation : Et verbum caro factum est. Les Pères de l’Eglise disaient que le Logos, avant de prendre chair, s’était fait parole. Or c’est à travers une parole, et donc un langage humain, que le Verbe de Dieu incarné, Jésus-Christ, s’est fait Homme (l’Annonciation), puis s’est humilié, comme dit saint Augustin, « usque ad hominem, usque ad panem » – jusqu’à se faire homme, jusqu’à se faire pain. Sans langage humain, il n’y aurait pas d’Eucharistie. L’irréductibilité de la culture a été manifestée et justifiée par Celui qui est à l’origine de toute culture : Jésus-Christ, le Nouvel Adam. Montrer que la foi et la culture sont comme l’avers et le revers d’une même réalité est l’objet de nos publications.

Zenit : Quelles ont été les principales étapes de votre croissance: obstacle, catalyseur ?

Grégory Solari :Le catalyseur est, paradoxalement, une insatisfaction. Il y a dix ans, le paysage éditorial francophone reflétait le paysage de l’Eglise : d’un côté des éditeurs « progressistes », pour lesquels la contestation ou l’opposition à Rome était une « manne », de l’autre des éditeurs plutôt « conservateurs » – de tendance plutôt fidéistes – qui prenaient peu en considération l’intelligence dans leur approche du mystère de Dieu. Dans les deux cas, l’être chrétien était étiolé soit par un excès de spécialisation sans piété, soit par un excès de piété sans culture. Nous avons pris place entre ces deux tendances, animés par la conviction que la grâce requiert la nature (contre un fidéisme qui ignore la culture), et que cette nature, paradoxalement, n’est rien sans la grâce qui la fait être (contre une philosophie de « l’Être pour l’Être – car il n’y a pas d’Être suprême en dehors de la sainte Trinité). La fidélité à cette conviction a fait venir à nous nos meilleurs auteurs.
Quant aux obstacles, plus qu’idéologiques, ils sont d’abord structurels. L’édition religieuse est tombée aux mains des « commerciaux ». Le livre est considéré aujourd’hui comme un produit de consommation comme un autre. Pourtant, avec la nourriture, c’est le seul produit qui pénètre au fond de vous (vous ne ressortez jamais pareil de la lecture d’un livre). Le livre chrétien a une dimension « eucharistique ». Traite-t-on la sainte eucharistie comme un morceau de pain ? Certes, le livre n’est pas Le livre, la Sainte Ecriture, mais il participe de la sacralité de la Bible. La chose est encore tangible dans les pays marqués par la Réforme, comme Genève où nous sommes installés. Plus que de réapprendre à lire, il faut réapprendre ce que le livre est : un espace de liberté (personne ne peut vous forcer à lire), un chemin fait de mots, à travers lequel vous pouvez rencontrer la Parole, le Verbe : Jésus-Christ. C’est cette rencontre que voudraient permettre tous nos livres.

Zenit : Quelles sont selon vous les perspectives d’avenir de l’édition catholique ?

Grégory Solari :Je vous répondrais d’un point de vue général. Les temps changent. Il n’est pas sûr que la chaîne « éditeur-diffuseur-libraire-lecteur » dure encore longtemps. Le lectorat diminue. Pour contrebalancer cette baisse, en francophonie, la solution pour les éditeurs religieux est de se mettre au diapason de l’actualité du jour – béatifications, canonisations, encycliques, etc. L’on retrouve ici la tendance « fidéiste » que j’évoquais plus haut. L’héritage culturel, artistique, littéraire – tout ce qui a fait que l’Eglise, depuis 2000 ans, est la matrice culturelle de l’Occident – est ignoré au profit d’une logique commerciale qui implique une rentabilité rapide. Cela ne durera pas. L’on ne peut pas servir deux maîtres, Dieu et Mammon. L’édition catholique, dans un monde marqué par les valeurs de l’utile et de la rentabilité, doit nécessairement se démarquer, car ses valeurs relèvent d’un autre ordre. « Entrer en édition », c’est aujourd’hui, d’une certaine façon, prendre le « maquis de l’Esprit ».

Zenit : Précisément, quelle est la place de l’édition catholique dans la Nouvelle évangélisation ?

Grégory Solari :Une place accessoire et en même temps indispensable. Accessoire, parce que le livre est un écrin. La parole prime sur son support (la page). Et cependant indispensable. Comment, autrement, fixer puis transmettre à travers l’espace et le temps, la parole d’un jour, d’un homme, d’un saint – de Jésus. Prenez l’Evangile (un livre !) : comment le Christ inaugure-t-il sa mission ? En lisant, après l’avoir solennellement ouvert, le livre du prophète Isaïe. Un livre inaugure le ministère du Verbe de Dieu sur terre. Un livre encore est à l’origine de celui qui fonda la civilisation chrétienne en Europe. C’était à Hippone, au 4e siècle. Saint Augustin se trouvait dans le jardin de sa maison, se demandant quelle direction il allait donner à sa vie après avoir abandonné la secte des Manichéens. Une voix se leva alors d’un jardin voisin : « Tolle, lege », « prends et lis » : saint Augustin prit le livre qu’il avait auprès de lui. Il l’ouvrit, et sa lecture fit de lui le Père de l’Occident chrétien. Cette expérience, que des milliers, des millions de chrétiens ont faite après Augustin, c’est le livre qui l’a rendue possible hier. Il la rendra possible encore demain. C’est notre conviction.

Zenit : Où trouver Ad Solem ?

Grégory Solari :Dans toute bonne librairie, et sinon, sur notre site http://www.ad-solem.com.

Propos recueillis par Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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