Deuxièmes Vêpres –
Dimanche de la 1 semaine
Lecture: Ps 113/A, 1-4.7-8
1. Le chant joyeux et triomphal que nous venons de proclamer, évoque l’exode d’Israël de l’oppression des Egyptiens. Le Psaume 113/A fait partie de ce recueil que la tradition hébraïque a appelé « Hallel égyptien ». Il s’agit des Psaumes 112-117, une sorte de fascicule de chants, utilisés en particulier dans la liturgie juive de la Pâque.
Le christianisme a repris le Psaume 113/A avec la même connotation pascale, mais en l’ouvrant à la nouvelle lecture dérivant de la résurrection du Christ. L’exode célébré par le Psaume devient donc la figure d’une autre libération plus radicale et universelle. Dante, dans la Divine Comédie, place cet hymne, selon la version latine de la Vulgate, sur les lèvres des âmes du Purgatoire: « In exitu Israël de Aegypto / chantaient-ils tous ensemble à une voix… » (Purgatoire II, 46-47). C’est-à-dire qu’il voit dans le Psaume le chant de l’attente et de l’espérance de ceux qui tendent, après la purification de tout péché, vers le but ultime de la communion avec Dieu au Paradis.
2. Suivons à présent la trame thématique et spirituelle de cette brève composition de prière. En ouverture (cf. vv. 1-2) est évoqué l’exode d’Israël de l’oppression égyptienne, jusqu’à son entrée dans la terre promise qui est le « sanctuaire » de Dieu, c’est-à-dire le lieu de sa présence au sein du peuple. La terre et le peuple sont même fondus ensemble: Juda et Israël, les termes par lesquels on désignait aussi bien la terre sainte que le peuple élu, sont considérés comme le siège de la présence du Seigneur, sa propriété et son héritage particuliers (cf. Ex 19, 5-6).
Après cette description théologique de l’un des éléments de foi fondamentaux de l’Ancien Testament, c’est-à-dire la proclamation des oeuvres merveilleuses de Dieu pour son peuple, le Psalmiste en approfondit spirituellement et symboliquement les événements constitutifs.
3. La Mer Rouge de l’exode d’Egypte et le Jourdain de l’entrée en Terre Sainte sont personnifiés et transformés en témoins et en instruments participant à la libération opérée par le Seigneur (cf. Ps 113/A, 3.5).
Au début, lors de l’exode, voilà la mer qui se retire pour laisser passer Israël et, à la fin de la marche dans le désert, voilà le Jourdain qui remonte son cours, laissant son lit au sec afin de faire passer la procession des fils d’Israël (cf. Gs 3-4). Au milieu, est évoquée l’expérience du Sinaï: ce sont à présent les montagnes qui participent à la grande révélation divine, qui s’accomplit sur leurs cimes. Semblables à des créatures vivantes, comme des béliers et des agneaux, elles tressaillent et sautent. A travers une personnification très vivante, le Psalmiste interroge alors les montagnes et les collines sur le motif de leur bouleversement: « [Qu’avez-vous] montagnes, à sauter comme des béliers, collines, comme des agneaux? » (Ps 113/A, 6). Leur réponse n’est pas rapportée: elle est indirectement donnée à travers une injonction, adressée ensuite à la terre, de trembler elle aussi « devant la face du Maître » (cf. v. 7). Le bouleversement des monts et des collines était donc un tressaillement d’adoration devant le Seigneur, Dieu d’Israël, un acte d’exaltation glorieuse du Dieu transcendant et sauveur.
4. Tel est le thème de la partie finale du Psaume 113/A (cf. vv. 7-8), qui introduit un autre événement significatif de la marche d’Israël dans le désert, celui de l’eau qui jaillit du rocher de Meriba (cf. Ex 17, 1-7; Nb 20, 1-13). Dieu transforme le rocher en une source d’eau, qui devient un lac: à la base de ce prodige se trouve sa sollicitude paternelle à l’égard du peuple.
Le geste acquiert alors une signification symbolique: c’est le signe de l’amour salvifique du Seigneur, qui soutient et régénère l’humanité, alors qu’elle avance dans le désert de l’histoire. Comme on le sait, saint Paul reprendra cette image et, sur la base d’une tradition hébraïque selon laquelle le rocher accompagnait Israël sur son itinéraire dans le désert, il relira l’événement selon une interprétation christologique: « Et tous ont bu le même breuvage spirituel – ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ » (1 Co 10, 4).
5. C’est dans ce sillon qu’un grand maître chrétien tel qu’Origène, en commentant la sortie d’Egypte du peuple d’Israël, pense au nouvel exode accompli par les chrétiens. Il s’exprime en effet ainsi: « Ne pensez pas qu’à cette époque seulement, Moïse a conduit le peuple hors d’Egypte: à présent aussi, le Moïse que nous avons avec nous…, c’est-à-dire la loi de Dieu, désire te conduire hors d’Egypte; si tu l’écoutes, elle veut t’éloigner du Pharaon… Elle ne veut pas que tu restes dans les actions ténébreuses de la chair, mais que tu ailles dans le désert, que tu parviennes au lieu privé des troubles et des fluctuations du siècle, que tu parviennes à la quiétude et au silence… Quand tu seras donc parvenu à ce lieu de quiétude, là tu pourras immoler au Seigneur, là tu pourras reconnaître la loi de Dieu et la puissance de la voix divine » (Homélie sur l’Exode, Rome 1981, pp. 71-72).
En reprenant l’image paulinienne qui évoque la traversée de la mer, Origène poursuit: « L’apôtre appelle cela un baptême, accompli en Moïse dans les nuées et dans la mer, afin que toi aussi, qui as été baptisé dans le Christ, dans l’eau et dans l’Esprit Saint, tu saches que les Egyptiens sont à ta poursuite et veulent te rappeler à leur service; c’est-à-dire au service des régisseurs de ce monde et des esprits mauvais dont tu fus autrefois l’esclave. Ils chercheront à te poursuivre, mais toi, tu descends dans l’eau et t’échappes sans dommage et, une fois lavées les taches du péché, tu remontes comme un homme nouveau prêt à chanter le cantique nouveau » (ibid., p. 107).
©L’Osservatore Romano