ROME, Lundi 25 août 2008 (ZENIT.org) – Le 6 août dernier, dans le cadre de ses vacances dans le Sud-Tyrol, le pape Benoît XVI a rencontré le clergé du diocèse de Bolzano-Bressanone, dans la cathédrale de Bressanone. Il a répondu aux questions posées par quelques prêtres et séminaristes.
Dans cette troisième question, le pape se penche sur la question de la maladie et de la souffrance et dans la quatrième, il évoque le respect de la création.
Willi Fusaro – Très Saint-Père, je suis le père Willi Fusaro, j’ai 42 ans et je suis tombé malade l’année de mon ordination sacerdotale. J’ai été ordonné au mois de juin 1991; puis en septembre de la même année il m’a été diagnostiqué une sclérose multiple. Je suis coopérateur paroissial auprès de la paroisse du Corpus Domini de Bolzano. La figure de Jean-Paul II m’a beaucoup frappé, surtout dans la dernière période de son pontificat, lorsqu’il portait avec courage et humilité, devant le monde entier, sa faiblesse humaine.
Etant donné votre proximité avec votre bien-aimé prédécesseur, et sur la base de votre expérience personnelle, quelles paroles pouvez-vous m’offrir et offrir à chacun de nous pour aider véritablement les prêtres âgés, malades, à bien vivre de manière féconde leur sacerdoce au sein du presbyterium et de la communauté chrétienne ? Merci !
Benoît XVI – Merci. Je dirais moi aussi qu’à mon avis les deux parties du pontificat de Jean-Paul II sont tout aussi importantes. La première partie au cours de laquelle nous l’avons vu en géant de la foi, avec un courage incroyable, une force extraordinaire, une véritable joie dans la foi, une grande lucidité, il a porté jusqu’aux confins de la terre le message de l’Evangile. Il a parlé avec tous, il a ouvert de nouvelles voies avec les Mouvements, avec le dialogue interreligieux, avec les rencontres œcuméniques, avec l’approfondissement de l’écoute de la Parole divine, avec tout… avec son amour pour la Sainte liturgie. Il a réellement – nous pouvons le dire – abattu non les murs de Jéricho, mais les murs entre deux mondes, avec la force de sa foi, et ce témoignage demeure inoubliable, il reste une lumière pour ce nouveau millénaire.
Mais selon moi, les dernières années de son pontificat n’étaient pas moins importantes, en raison de cet humble témoignage de sa passion. Comment il a porté la Croix du Seigneur devant nous et réalisé la Parole du Seigneur : « Suivez-moi, en portant avec moi, et derrière moi, la Croix » ! Cette humilité, cette patience avec laquelle il a accepté la quasi destruction de son corps, sa croissante incapacité à utiliser la parole, lui qui avait été un maître de la parole. Et ainsi il nous a montré – me semble-t-il – de manière visible, cette vérité profonde que le Seigneur nous a racheté avec sa Croix, avec la Passion comme acte d’amour extrême. Il nous a montré que la souffrance n’est pas seulement un « ne pas », quelque chose de négatif, l’absence de quelque chose, mais une réalité positive. Que la souffrance acceptée dans l’amour du Christ, dans l’amour de Dieu et des autres est une force rédemptrice, une force de l’amour tout aussi puissante que les grandes actions qu’il avait accomplies dans la première partie de son pontificat. Il nous a enseigné un nouvel amour pour les personnes qui souffrent et fait comprendre ce que veut dire : « dans la Croix et par la Croix nous sommes sauvés ». Dans la vie du Seigneur également nous trouvons ces deux aspects. La première partie, lorsqu’il enseigne la joie du Royaume de Dieu, porte ses dons aux hommes puis, dans la seconde partie, l’entrée dans la Passion, jusqu’au dernier cri sur la Croix. Et ainsi il nous a enseigné qui est Dieu, que Dieu est amour et qu’en s’identifiant avec notre souffrance d’êtres humains il nous prend entre ses mains et nous fait entrer dans son amour et seul l’amour est le bain de la rédemption, de la purification et de la renaissance.
C’est pourquoi il me semble que nous tous – et toujours à nouveau dans un monde qui vit d’hyper-activité, de jeunesse, d’être jeune, fort, beau, de réussir à faire de grandes choses – nous devons apprendre la vérité de l’amour qui se fait passion et rachète ainsi l’homme et l’unit avec Dieu amour. Je voudrais donc remercier tous ceux qui acceptent la souffrance, qui souffrent avec le Seigneur et je voudrais nous encourager tous à avoir un cœur ouvert à l’égard des personnes qui souffrent, des personnes âgées, et à comprendre que leur passion est précisément une source de renouveau pour l’humanité et crée en nous l’amour et nous unit au Seigneur. Mais à la fin, il est toujours difficile de souffrir. Je me souviens de la sœur du cardinal Mayer. Elle était très malade, et il lui disait quand elle s’impatientait : « Mais vois-tu, tu es à présent avec le Seigneur ». Et elle répondit : « Pour toi c’est facile de dire cela, parce que tu es en bonne santé, mais moi je suis dans la passion ». C’est vrai, dans la passion vraie il devient toujours difficile de s’unir réellement au Seigneur et de demeurer dans cette disposition d’union avec le Seigneur qui souffre. Prions donc pour toutes les personnes qui souffrent et faisons tout ce que nous pouvons pour les aider, montrons notre gratitude pour leur souffrance et assistons-les autant que nous le pouvons, avec un grand respect pour la valeur de la vie humaine, précisément de la vie qui souffre jusqu’à la fin. C’est un message fondamental du christianisme, qui vient de la théologie de la Croix : que la souffrance, la passion, est présence de l’amour du Christ, est un défi pour nous à nous unir à sa passion. Nous devons aimer les personnes qui souffrent non seulement par les paroles, mais également avec toute notre action et notre engagement. Il me semble que c’est la seule manière d’être réellement chrétien. J’ai écrit dans mon Encyclique Spe salvi que la capacité d’accepter la souffrance et les personnes qui souffrent est une mesure de notre propre humanité. Lorsque cette capacité fait défaut, l’homme se trouve réduit et redimensionné. Prions donc le Seigneur pour qu’il nous aide dans notre souffrance et nous aide à être proches de toutes les personnes qui souffrent dans ce monde.
Karl Golser – Très Saint-Père ! Je m’appelle Karl Golser, je suis professeur de théologie morale ici à Bressanone et directeur de l’Institut pour la justice, la paix et la protection de la création, et également chanoine. Je me souviens avec plaisir de la période où j’ai pu travailler avec vous à la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Comme vous le savez, l’Eglise catholique a forgé en profondeur l’histoire et la culture de notre pays. Toutefois aujourd’hui, nous avons parfois l’impression que, en tant qu’Eglise, nous nous sommes un peu retirés dans la sacristie. Les déclarations du magistère pontifical sur les grandes questions sociales ne trouvent pas l’écho nécessaire au niveau des paroisses et des communautés ecclésiales.
Ici, dans le Haut-Adige, par exemple, les autorités et de nombreuses associations attirent fortement l’attention sur les problèmes environnementaux et en particulier sur les changements climatiques : les thèmes principaux sont la fonte des glaciers, les éboulements en montagne, les problèmes liés au coût de l’énergie, à la circulation et à la pollution atmosphérique. Il y a de nombreuses initiatives en faveur de la protection de l’environnement.
Dans la conscience moyenne de nos chrétiens, toutefois, tout cela a bien peu de chose à voir avec la foi. Que pouvons-nous faire pour renforcer davantage dans la vie des communautés chrétiennes le sens de notre responsabilité à l’égard de la création ? Comment pouvons-nous arriver à envisager toujours davantage ensemble la Création et la Rédemption ? Comment pouvons-nous vivre de manière exemplaire un style de
vie chrétien qui soit durable ? Et comment unir celui-ci à une qualité de vie, qui soit attrayante pour tous les hommes de notre terre ?
Benoît XVI – Je vous remercie beaucoup cher professeur Golser : vous pourriez assurément répondre mieux que moi à ces questions, mais j’essaierai tout de même de dire quelque chose. Vous avez ainsi abordé le thème de la création et de la rédemption et je pense que ce lien indissoluble doit faire l’objet d’une attention renouvelée. Au cours des dernières décennies, la doctrine de la création avait presque disparu en théologie, elle était presque imperceptible. A présent nous nous apercevons des dégâts que cela a provoqués. Le rédempteur est le créateur et si nous n’annonçons pas Dieu dans cette grandeur totale qui est la sienne – de créateur et de rédempteur – nous dévalorisons également la rédemption. En effet, si Dieu n’a rien à dire dans la création, s’il est relégué simplement dans un domaine de l’histoire, comment peut-il réellement comprendre toute notre vie ? Comment pourra-t-il apporter réellement le salut à l’homme dans sa plénitude et au monde dans sa totalité ? Voilà pourquoi, selon moi, le renouveau de la doctrine de la création et une nouvelle compréhension de l’indissolubilité de la création et de la rédemption revêtent une très grande importance. Nous devons le reconnaître à nouveau : Il est le creator Spiritus, la Raison qui est au commencement et dont toute chose naît et dont notre propre raison n’est qu’une étincelle. Et c’est Lui, le créateur lui-même, qui est également entré dans l’histoire et peut entrer dans l’histoire et opérer en elle précisément parce qu’il est le Dieu de l’ensemble et non seulement d’une partie. Si nous reconnaissons cela, il s’ensuivra bien sûr que la rédemption, le fait d’être chrétiens, la foi chrétienne tout simplement, signifieront toujours et quoi qu’il en soit aussi une responsabilité à l’égard de la création. Il y a vingt ou trente ans, on accusait les chrétiens – je ne sais pas si l’on soutient encore une telle accusation – d’être les vrais responsables de la destruction de la création, parce que la parole contenue dans la Genèse – « Soumettez la terre » – aurait conduit à l’arrogance à l’égard de la création dont nous constatons aujourd’hui les conséquences. Je pense que nous devons à nouveau apprendre à comprendre combien est fausse cette accusation : tant que la terre a été considérée comme la création de Dieu, la tâche de la « soumettre » n’a jamais été comprise comme le commandement de la rendre esclave, mais plutôt comme le devoir d’être les gardiens de la création et d’en développer les dons, de collaborer nous-mêmes de manière active à l’œuvre de Dieu, à l’évolution qu’il a placée dans le monde, afin que les dons de la création soient mis en valeur et non piétinés et détruits.
Si nous observons ce qui est né autour des monastères, comment dans ces lieux sont nés et continuent de naître de petits paradis, des oasis de la création, on constate que toutes ces choses ne sont pas seulement des mots, mais là où la Parole du Créateur a été comprise de manière correcte, où il y a eu une vie avec le créateur rédempteur, on s’est efforcé de sauver la création et non de la détruire. C’est également dans ce contexte que s’inscrit le chapitre 8 de la Lettre aux Romains, où on dit que la création souffre et gémit de la soumission dans laquelle elle se trouve et qu’elle attend la révélation des fils de Dieu : elle se sentira libérée lorsque viendront des créatures, des hommes qui sont des fils de Dieu et qui la traiteront en partant de Dieu. Je crois que c’est précisément la réalité que nous pouvons constater aujourd’hui : la création gémit – nous le percevons, nous l’entendons presque – et attend des personnes humaines qui la regardent en partant de Dieu. La consommation brutale de la création commence là où Dieu est absent, là où la matière est désormais pour nous uniquement matérielle, là où nous sommes nous-mêmes les dernières instances, où le tout est simplement notre propriété, que nous consommons uniquement pour nous-mêmes. Et le gaspillage des ressources de la création commence là où nous ne reconnaissons plus aucune instance au-dessus de nous, mais ne voyons plus que nous-mêmes ; il commence là où il n’existe plus aucune dimension de la vie au-delà de la mort, où dans cette vie nous devons nous accaparer tout et posséder la vie avec la plus grande intensité possible, où nous devons posséder tout ce qu’il est possible de posséder.
Je crois donc que des instances vraies et efficaces contre le gaspillage et la destruction de la création ne peuvent être réalisées et développées, comprises et vécues que là où la création est considérée en partant de Dieu ; là où la vie est considérée en partant de Dieu et a des dimensions plus grandes – dans la responsabilité devant Dieu – et un jour elle nous sera donnée par Dieu en plénitude et jamais ôtée : en donnant la vie, nous la recevons.
Ainsi, selon moi, nous devons tenter par tous les moyens à notre disposition de présenter la foi en public, en particulier là où il y existe déjà une sensibilité vis-à-vis de la foi. Et je pense que la sensation que le monde est peut-être en train de nous échapper – parce que nous-mêmes le laissons s’échapper – et le fait de s’inquiéter des problèmes de la création, tout cela donne justement à notre foi l’occasion appropriée de parler publiquement et de se faire valoir comme instance de proposition. En effet, il ne s’agit pas seulement de trouver des techniques qui préviennent les dommages, même s’il est important de trouver des énergies alternatives, entre autres. Mais tout cela ne sera pas suffisant si nous-mêmes ne trouvons pas un nouveau style de vie, une discipline faite également de renoncements, une discipline de la reconnaissance des autres, auxquels la création appartient autant qu’à nous qui pouvons en disposer plus facilement ; une discipline de la responsabilité à l’égard de l’avenir des autres et de notre propre avenir, parce que c’est une responsabilité devant Celui qui est notre Juge et en tant que Juge est Rédempteur, mais aussi véritablement notre Juge.
Je pense donc qu’il est nécessaire de mettre en tout cas ensemble les deux dimensions – création et rédemption, vie terrestre et vie éternelle, responsabilité à l’égard de la création et responsabilité à l’égard des autres et de l’avenir – et qu’il est de notre devoir d’intervenir ainsi de manière claire et décidée dans l’opinion publique. Pour être écoutés nous devons dans le même temps montrer par notre exemple, par notre style de vie, que nous parlons d’un message auquel nous croyons et selon lequel il est possible de vivre. Et nous voulons demander au Seigneur qu’il nous aide tous à vivre la foi, la responsabilité de la foi de manière que notre style de vie devienne un témoignage, et à parler de telle façon que nos paroles portent de manière crédible la foi comme orientation pour notre époque.
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Traduction française : Zenit